4) Le mécanisme de l’intercompréhension

L’ensemble de ces commentaires a retenu notre attention. Pourquoi ? Si l’on accepte de confronter ces commentaires à l’analyse que dresse Paul Ladrière de l’agir communicationnel et plus précisément de l’intercompréhension comme mécanisme coordinateur de l’action, un certain nombre de constats peuvent être émis. Rappelons préalablement la teneur de sa réflexion. Elle consiste à souligner que ‘« dans l’agir communicationnel, la coordination des actions d’une pluralité d’intervenants se réalise au moyen du mécanisme de l’intercompréhension entendue dans toute son amplitude »’ 581 . Paul Ladrière précise sa pensée : ‘« l’intercompréhension fonde la coordination sur un savoir partagé et ce type de coordination est, non seulement une condition nécessaire de la réussite d’un plan d’action, mais elle est créatrice d’un lien rationnellement motivé »’ 582 . Dans notre cas précis, l’intercompréhension semble impossible à atteindre dans la mesure où il y a peu, ou pas de savoir partagé, producteur d’accord acquis au terme de tentatives de compréhension mutuelle. Que ce soit Jacques Morandat ou François Devevey, Bruno Hocquart de Turtot ou Bernard Gourinchas, ni les uns ni les autres n’ont fait preuve d’une connaissance ne serait-ce qu’approximative des chartes existantes et notamment de celle ratifiée par l’ensemble des syndicats de journalistes français, la Charte de Munich. ‘« Le lien rationnellement motivé’ », engendré par la coordination des actions basée sur l’intercompréhension paraît difficile à tisser. En effet, nous nous interrogeons de savoir ce qui motive ‘« rationnellement’ » notre interlocuteur à dire que ‘« l’entreprise de presse ne peut pas prendre la charte de ses salariés »’ sauf à sous-entendre que les journalistes prônent des valeurs qui ne sont pas partagées par les employeurs. Jacques Morandat va plus loin que les sous-entendus et nous explique que les visées diffèrent selon que l’on est journaliste ou employeur : ‘«De temps en temps, y’ a des grosses discussions entre les directeurs d’agence journalistes qui parlent déontologie tout le temps. Ils sont autant journaliste que directeur d’agence et ceux qui ne sont pas issus du milieu journalistique et qui disent « attendez, on est là pour faire fonctionner les entreprises pas pour parler déontologie’ » 583 . Ce n’est pas ici sans rappeler les conclusions de Bruno Hocquart de Turtot : ‘« et pour faire partager cette vision aux journalistes, ça c’est absolument impossible’  ». Jacques Morandat est, quant à lui, plus optimiste car à son avis ‘« formaliser, le texte ensemble ce n’est pas un problème. Avoir un consensus ensemble sur un texte déontologique, ça n’est pas un problème’ ». Pour résumer, les éditeurs et les journalistes mènent le même combat, dans des environnements et des approches parallèles, mais comme il se plaît à le répéter ‘« c’est donnant donnant’ ». Là encore, tout le monde le sait, mais personne l’ose le dire…

Notes
581.

Ladrière P., op. cit., p 289.

582.

Ibid., p 290.

583.

Nous pensons, dans ce cas précis, à la réflexion de J.D Reynaud qui note que : «  l’employeur admet d’autant plus facilement cette autonomie du métier qu’il est lui-même issu du métier », op. cit., p 100.