b) Un calcul rationnel : « ce qui est efficace est juste »

Enfin si nous soumettons, à l’instar des discours syndicaux, les discours patronaux à l’analyse de la compétence morale dressée par Dominique Memmi, un certain nombre de remarques peut d’emblée être faites.

Si l’on cherche, dans l’argumentation du discours patronal, le ou les principes de détermination des normes, nous disposons d’un lot commun de principes républicains, laïques, démocratiques voire d’essence humaniste (Ouest-France, par exemple). Cela dit, si l’on soumet ce même discours à la question de la justification rationnelle des normes éthiques de telle sorte que celles-ci perdent leur caractère arbitraire et subjectif et puissent assurer un consensus transculturel, au sens de culture d’entreprise, qu’en est-il ? Il est intéressant de noter que les justifications procèdent toutes d’un calcul d’intérêts qui fige la définition d’une éthique professionnelle dans une approche stratégique donc utilitariste. Production normative, certes, mais surtout moyen notamment d’éviter les contentieux, d’éviter de laisser à l’appréciation des juges, ce qui relève de la seule responsabilité de l’entreprise de presse. Jean-Pierre Vittu de Kerraoul, président de la FNPF, souligne avec force que ‘« pour que l’intervention de la presse sur tout ce qui fait la vie sociale soit légitime (…) il faut qu’elle fixe, après concertation entre éditeurs et journalistes, des règles déontologiques propres à chaque titre et ayant pour objet de répondre aux questions qui ne peuvent ou ne doivent pas être traités par la loi »’ 595 . Jacques Morandat, dans un style toujours plus direct, affirme quant à lui, que l’élaboration de la charte de la FFAP vise à prendre le contre-pied du vide juridique. Bruno Hocquart de Turtot le dit aussi sans détour ‘« il s’agit d’éviter les contentieux’ ». Foin de l’exigence de neutralité et de mise entre parenthèses des fins pratiques, dispositions que requiert la compétence éthique, seules prévalent la liberté de la presse et celle du citoyen, deux notions essentielles sur lesquelles nos interlocuteurs font valoir leur approche. L’inquiétude qu’expriment les patrons de presse à l’égard de la loi porte sur la possibilité de voir celle-ci garantir que chacun se plie aux même règles. La presse crie dès lors à l’ingérence. Les éditeurs de presse inversent volontiers les rôles, que Lacordaire se plaisait à attribuer : ‘« c’est la loi qui libère et la liberté qui opprime’ », et donnent au contenu normatif une visée d’efficacité – ce qui est efficace est juste - qui nous éloigne de l’exigence de neutralité. Qu’on ne s’y trompe pas, ‘« le vrai patron de presse, il ne cherche pas le profit, il cherche à remplir une mission mais il ne peut la remplir que s’il y a équilibre économique ’» et ce sans ingérence juridique et politique. La justification est imparable et rappelle la consubstantialité entre deux notions que nous avons présentées comme a priori antinomiques : économie et éthique. Comme le rappelle Adam Smith ‘« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais de leur souci de leur intérêt propre »’ 596

Notes
595.

Vittu de Kerraoul J.P., « Liberté de la presse, Liberté du citoyen », in Médiaspouvoirs, N°4, nouvelle série, p 132.

596.

Adam Smith cité par Clerc D., « éthique, mode ou mouvement de fond », in Alternatives économiques, op. cit., p 6.