2) Approche qualitative : les caractéristiques des acteurs

Notre hypothèse, qu’une analyse qualitative viendra confirmer ou infirmer, est de dire que cette situation reflète le positionnement respectif des protagonistes et leurs rapports entre eux. La production d’énoncés modaux, dans les discours des syndicats de journalistes, procède, nous semble-t-il, d’une volonté d’autonomiser l’action syndicale en distribuant les compétences aux acteurs directement visés. Comme nous l’avions déjà souligné, il s’agit moins de défier le patronat, que de construire contre lui des espaces d’autonomie. Tu dois, nous voulons, ils peuvent tels sont les consignes syndicales qui guident l’action collective. Les discours patronaux obéissent à la même logique (distribution des compétences aux acteurs) à la différence notoire, qu’ils ne conçoivent le pôle patronal que par rapport à des ‘« salariés’ » (maintien du lien de subordination) qui, à leur tour, assument un vouloir, un devoir, un pouvoir et un savoir propres présupposant la quête d’objets de valeurs déterminés (l’indépendance par exemple). En posant les choses ainsi, le discours des instances patronales fait apparaître l’éditeur de presse comme seul maître à bord (celui qui fait faire), car c’est bien lui, et lui seul, qui est habilité à prendre une décision. Nous voyons déjà apparaître la question fondamentale de la répartition des pouvoirs de décision entre les deux adversaires sociaux et discursifs. Comme le dit l’un des membres du SNJ : ‘« Qui mieux que le SNJ, premier et principal syndicat de journalistes, pourrait le faire ? ’».

L’enjeu est double : d’une part, la conquête du pouvoir notamment celui de la représentation normative de la profession et, d’autre part, la négation de son adversaire ‘(« une entreprise ne peut pas prendre la charte de ses salariés ’»(FFAP) par exemple (souligné par nous).

Notre analyse s’affine lorsque nous nous penchons sur l’ordre d’importance, au regard des protagonistes, des modalités de l’action. Les discours sont en effet très largement dominés par un ‘« devoir-faire’ » présenté comme un impératif catégorique de la compétence virtuelle des acteurs concernés. Cette fréquence du devoir-faire n’est pas étonnante dans la mesure où, ce qui est en jeu, relève de la définition normative des pratiques professionnelles des journalistes, donc de la prescription. Elle est rejointe par une forme de volontarisme qu’exprime l’emploi massif, dans les différents discours, de la modalité du vouloir-faire. Or à cet égard, nous prenons la précaution de relever, avec Greimas, la remarque suivante : ‘« La structure modale de devoir-faire comporte indiscutablement des affinités sémantiques avec celle du vouloir-faire’ » et de s’interroger sur l’opportunité de ‘« les réduire à une seule structure modale virtualisante’  » 603 . L’opération consisterait dès lors à réduire le devoir-faire au vouloir-faire ou inversement. Toujours selon Greimas ‘« les représentants de l’attitude psychologisante auront tendance à voir dans le devoir-faire du sujet un vouloir transféré du destinateur, les tenants de la logique interpréteront plutôt le vouloir-faire comme un devoir-autodestiné’  » 604 . Nous serions tentés, à notre tour, de les subsumer dans une seule et même structure modale (nécessité +volontarisme) mais la fréquence importante de la modalité du pouvoir-faire et celle de son contraire, le ne pas pouvoir-faire, nous invite à la prudence. Seule, une analyse qualitative et détaillée nous permettra de décrire de façon pertinente les compétences distribuées dans les discours des différents acteurs syndicaux et patronaux et leur possible agencement dans le cadre d’une seule et même structure modale.

Rappelons que la rhétorique syndicale, si elle ne vise pas toujours le même objectif, s’adresse à la fois aux journalistes, aux patrons de presse et parfois à l’État. Ces derniers, en tant que sujets de faire ou anti-sujets, vont être dotés par manipulation syndicale (au sens sémiotique du terme), d’un certain nombre de caractéristiques c’est-à-dire de compétences pour reprendre une terminologie greimasienne.

Notes
603.

Greimas A.J. et Courtès J., op. cit., p 96.

604.

Idem.