II) Les syndicats de journalistes : devoir-faire journalistique et « pouvoir-savoir-faire » syndical

Si le journaliste ne ‘» sait »’ pas toujours ce qui se trame (et c’est par-là que la parole syndicale est justifiée), l’une de ses caractéristiques principales est de ‘« devoir’ » ou ‘« ne pas devoir ’» faire et ce sur les conseils avisés des différents syndicats de journalistes. En voici quelques exemples :

‘« Avec leur syndicat, les journalistes ont le devoir de préserver leurs acquis sociaux » ; « Ils ont le devoir de tout dire’ » ; ‘« Ils devront chercher l’appui de toutes les forces démocratiques ayant intérêt à défendre une liberté fondamentale’ » ; ‘« Le journaliste ne doit faire aucune concession à la facilité et dont la principale qualité est la vigilance’  »

‘«Ces règles doivent être respectées par tous, journalistes et employeurs’ » ; ‘« Que l’on ne compte pas sur eux (les journalistes) pour s’adonner à quelque auto-flagellation que ce soit car il n’y en a aucune nécessité ’» ; ‘« Il nous incombe à nous, journalistes, de ne pas baisser les bras et de défendre sans cesse ce à quoi nous sommes attachés, à savoir la liberté d’expression dans le respect de notre déontologie’  »

‘« Il incombera aux journalistes de veiller au respect des règles traditionnelles du journalisme » ; « Les principes inscrits dans la charte du journaliste doivent continuer d’inspirer les professionnels que nous sommes’  » ; ‘« Le journaliste ne doit pas user de son influence pour aider un annonceur » ; « S’ils doivent respecter leur éthique professionnelle, les journalistes de la PQR ne sont pas en revanche liés par les « règles et usages » du syndicat patronal’ » ; ‘« Le journaliste doit pouvoir répondre avec une clarté qui lui est aujourd’hui encore interdite »’

‘« Ce combat ne saurait laisser indifférent les journalistes CFDT, qui doivent se saisir de ces problèmes déontologiques partout où ils se posent’ » : ‘« Un métier qu’il (le journaliste) doit pratiquer en ayant le souci de l’honnêteté intellectuelle et de la vérité des faits’ ».

Ici, la définition et la distribution de la compétence du devoir sont différemment abordées. Lorsqu’elle - la compétence du devoir- revient à la fois au syndicat-destinateur et aux journalistes, l’obligation (devoir-faire) dès lors partagée, amorce l’action collective et légitime le rôle du syndicat : ‘« il nous incombe à nous’ » ; ‘« les professionnels que nous sommes’  » ; ‘« il aurait fallu aller plus loin ’» ; ‘« il nous faut reconnaître que les principes déontologiques de notre profession’ » ; ‘« mais doit-on accepter de mettre notre profession sous tutelle (…)’ » ; ‘« la profession doit réfléchir ’» ; ‘« il faut réfléchir à un organisme garantissant que cette charte ne restera pas un vœu pieux »’, etc. Ici, ce n’est pas tant la pratique professionnelle telle qu’elle pourrait être envisagée dans un cadre éthique qui mobilise la compétence du devoir mais bien plutôt ce qu’il faut faire dans le cadre d’une action collective syndicale : ‘« Avec leur syndicat, les journalistes ont le devoir de préserver leurs acquis sociaux’ » (SNJ-CGT) ; ‘« Dans notre syndicat, depuis 1947, nous respectons les droits de chacun, ce qui ne va pas sans l’accomplissement par tous des devoirs qui incombent doublement à un journaliste, parce que c’est un professionnel syndiqué’  » (SGJ-FO). Les syndicats de journalistes exercent donc leur faire-devoir-faire dans la perspective de motiver les journalistes, pour ne pas dire les enjoindre, à rallier les causes diversement défendues : la liberté d’expression, les acquis sociaux, une liberté fondamentale, etc. Quelques prescriptions autour des notions d’honnêteté, de vérité des faits, et de vigilance viennent ponctuer leur discours mais ce, sans grand déballage éthique. Notons d’ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un devoir-être (modalités réalisantes), fondement d’un comportement éthique, mais bien d’un devoir-faire (modalités virtualisantes) qui vient à l’appui d’une rhétorique légitimante de l’action syndicale. A ce sujet, nous ne manquerons pas de relever les propos d’Algirdas Greimas qui souligne que ‘« Loin d’être d’origine technologique, l’efficacité, considérée non pas tant comme réussite, mais plutôt comme une démarche qui permet d’obtenir des résultats (…) bénéficie certainement de la dominance, à notre époque, du faire sur l’être ’» 605 . Le journaliste doit en effet ‘« réfléchir, défendre, préserver, ne pas baisser les bras, respecter, veiller, etc. »’ autant d’énoncés du faire qui appartiennent au registre de l’action syndicale. Nous voyons ici corroborée l’homologie entre l’une des valeurs de prédilection des syndicats de journalistes, l’autonomie, et leurs pratiques manipulatoires car enfin s’il est un devoir-faire essentiel c’est bien celui qui conduirait le journaliste sinon à se syndiquer du moins à se mobiliser. En effet, plus grande est l’unité syndicale derrière l’action, plus conséquente est son autonomie. L’objectif est donc, in fine, de conjoindre l’action des journalistes avec celle de leurs syndicats devenus destinateurs-prescripteurs. Or n’est-ce pas là la réponse à la question que posait, en d’autres circonstances, Christian Delporte ‘: « De quels moyens de coercition un syndicat, auquel, par définition, nul n’est tenu d’appartenir, peut-il bien disposer ?’  » 606 . Nous serions enclins de répondre, a priori, que c’est par la coïncidence de leur vouloir que des sujets individuels –les journalistes – s’instituent en sujet collectif - le syndicat -. Or, il n’en est rien. La stratégie discursive des syndicats de journalistes vise plutôt à fédérer leurs troupes derrière un devoir-faire garant de l’unité syndicale. Nous concluons avec Yves Delahaye : ‘« la modalité du devoir, lorsqu’elle imprègne un texte, donne à son contenu un caractère de nécessité, voire de fatalité, qui tend à effacer ce que le vouloir implique de liberté et à n’en faire que l’instrument autoritaire du destin ou de la Providence »’ 607 .

Le devoir-faire, même s’il est partout présent, ne doit pas pour autant dissimuler l’existence, dans les discours des syndicats, d’éléments ‘« positifs’ » témoignant d’une attitude volontariste. Cela dit, à qui attribue-t-on l’expression d’un vouloir-faire ?

‘« Le bureau national du SNJ a décidé d’en faire le thème principal du prochain congrès’ » ; ‘« il y a à engager un énorme travail de réflexion, de proposition, d’action »’ ; ‘« L’éthique du métier de journaliste a fait l’objet de nombreux débats et les résolutions n’ont pas manqué de réaffirmer les grands principes qui régissent notre profession »’ ‘« Nous voulons engager avec eux une large réflexion ’» ; ‘« On souhaite un autre avenir à la formation déontologique (…)’ »

‘« Notre syndicat avait déjà demandé que le bénéfice des aides de l’État soit retiré aux entreprises qui ne respectent ni le code du travail, ni la loi (…)’ » ‘« Le réalisme consiste à rappeler, ce que nous n’avons cessé de faire depuis l’apparition de cette formule – que ce n’est pas l’entrée de quelques confrères dans les CA, voire dans le capital des entreprises qui suffira à faire appliquer des mesures qui déplaisent à nos employeurs’ » ; ‘« En tout état de cause, le SGJ-FO fera tout pour que la liberté de la presse soit respectée »’.

‘« Il est urgent de débattre pour redéfinir les conceptions de l’exercice d’une profession en perdition (…)’  » ; ‘« Leur cri de colère dénoncera l’information souvent malmenée et conformiste, comme la souhaitent les patrons de presse qui ne parlent plus que de produits’ » ‘« Par leur vote Ils –les journalistes- leur signifieront qu’ils veulent s’engager vers une autre conception de l’information et des relations sociales »’ ; ‘« ils –les représentants du SNJ-CGT- sont à l’image du SNJ-CGT, c’est-à-dire différents, indépendants mais déterminés à faire bouger les choses (…) »’ ; ‘« Ils sont nombreux ceux qui souhaitent encadrer l’information »’ ; ‘« face aux marchands d’infos, le SNJ-CGT appelle les journalistes à lutter pour conquérir de nouveaux droits protégeant la p’ rofession »

‘« L’USJ-CFDT est prête à mener avec les autres syndicats une nouvelle démarche dans ce sens’  » ; ‘« La CFDT veut aller plus loin (…)’ » ; ‘« Nous proposons de lancer une réflexion, la plus large possible, autour d’un projet de charte des devoirs des journalistes français’ » ; ‘« Pour les journalistes CFDT, il est urgent que la profession se donne elle-même les moyens d’éviter ces dérives ’» ; ‘« Pour ce faire, ils proposent l’annexion de la Charte de Munich (…) à la convention collective »’ ; ‘« en tout état de cause, l’USJ-CFTD proposera à l’ensemble des organisations syndicales d’organiser (…)’  » ; ‘« Pour l’USJ-CFDT, il est urgent que les journalistes se saisissent de ces problèmes de déontologie avant que d’autres ne le fassent’ » ; ‘« C’est l’USJ-CFDT qui demande la mise en place d’un observatoire des médias’  » ; ‘« C’est elle encore qui réclame un comité d’éthique national »’.

Notes
605.

Greimas A.J., op. cit., 1983, p 16.

606.

Delporte, op. cit., 1999, p 273.

607.

Delahaye Y., op. cit., 1977, p 162.