2) Un devoir d’obéissance

Les conditions de production d’une représentation normative de la profession mobilisent largement la modalité du ‘« devoir-faire »’ dont le champ d’application est à géométrie variable. Il nous faut d’abord distinguer ce qui, du point de vue du devoir, incombe aux journalistes de ce qui relève de la responsabilité patronale. S’agissant de la FNPF, il est sans doute intéressant de noter le contexte qui sous tend la logique de distribution du devoir-faire aux journalistes et qui rejoint la problématique soulevée ci-dessus : ‘« Je crois que si l’on s’en tient à des fonctions, collecte, traitement et diffusion, on va vite s’apercevoir que la profession de journaliste est conçue comme l’ensemble des personnes qu’effectue l’ensemble des tâches que l’on a reconnu être celles du journaliste. En revanche, si l’on reconnaît aux journalistes l’obligation morale je pense que l’on se retrouve dans une vision cohérente de la place du journaliste dans une échelle d’information’  ». Ce contexte est important à replacer dans la mesure où il est susceptible d’expliquer l’absence quasi totale du journaliste pourvu d’un devoir-faire dans le discours de la FPNF. Le journaliste, à défaut d’obligation morale reconnue, est présumé exécutant. Et François Devevey d’expliquer ‘« le journaliste accepte, en entrant dans une relation de salarié, que son œuvre de création soit censurée, soit acceptée ou refusée, qu’elle soit publiée ou non. Ce rapport là est un rapport de hiérarchie. Il tient à un lien de subordination »’. Ici, le devoir-faire du journaliste est implicite mais bien réel : il s’agit d’un devoir d’obéissance et notamment celui qui consisterait à mettre en pratique un certain nombre de valeurs, fussent-elles érigées par la direction. Or, aucune mention n’est faite en ce sens. En revanche, la FNPF s’attribue un ‘« devoir-faire’ » au nom du fédéralisme : ‘« un organisme fédéral (…) qui, de plus, est tenu de prendre des positions consensuelles, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas se permettre de prendre une position qui aille contre la volonté de l’un de ses adhérents »’. C’est dire la nécessité de concertation entre les différents adhérents qui, comme le souligne François Devevey, ‘« n’ont pas toujours des intérêts divergents’ ». Or à défaut de concertation, la prise en charge de la représentation normative de la profession par chacun des adhérents est paradoxalement qualifiée de ‘« nécessité’ », sorte de devoir-faire par défaut. Ce constat témoigne de l’ambiguïté du problème. Nous avons en effet été surpris de ne relever aucune mention aux valeurs qui pourraient inspirer la profession et qui, au sein de la FNPF, feraient l’objet d’un large consensus. Le discours de la FNPF, via la distribution de la modalité du devoir-faire, conforte la relation factitive qui lie les principaux acteurs et souligne l’étroitesse de la marge de manœuvre de ses membres. Le lien de subordination est présenté comme un devoir pour le journaliste dont on nie volontiers les convictions susceptibles de former un horizon éthique. Il est certes doté d’un savoir – le savoir se traduit en convictions- mais ce savoir est présenté comme l’apanage d’une minorité : ‘« Ce que je constate c’est que le nombre de journalistes formés à leur métier est de l’ordre de 15 %, qui ont acquis le B.Aba de la déontologie, qui ont acquis la formation juridique, qui savent ce qu’il y a dans la loi de 81, qui sont capables d’intuiter l’ensemble des droits et des devoirs ».’