2) La Grande enquête de la FNPF

Nous voudrions rassembler dans ce paragraphe deux enquêtes issues du même commanditaire : la Fédération nationale de la presse française. Conduites en 1998, ces enquêtes recensent d’une part l’existence des codes et autres chartes de déontologie de la presse française et, d’autre part, les commentaires de ceux, que François-Xavier Alix a nommé ‘« les grands témoins de la presse française »’ 649 . L’enquête se scinde en deux parties distinctes : l’une consacrée aux contentieux et l’autre à la déontologie. Nous ne retiendrons, pour notre travail, que la seconde. Deux axes majeurs sont mis en exergue : l’existence d’un code de déontologie et le contenu de ces codes.

Sur le premier point, il est intéressant de relever qu’à la question, dont la formulation est hasardeuse, ‘« Qui est en charge, au sein du titre, des moyens qui lui sont propres pour la mise en œuvre de la déontologie ?’ », les réponses désignent très majoritairement le directeur de publication (62 %). L’enquête relève plus loin que ‘« l’existence au sein du titre, d’un code ou d’une charte de déontologie reste encore marginale puisque seuls 13% des titres déclarent en être dotés, la PQR se distinguant évidemment de l’ensemble avec 66% des titres dotés d’un code de déontologie’ » 650 . Il est à noter qu’il serait judicieux de connaître la proportion de journaux issus de la PQR qui fait ici référence aux ‘« Règles et Usages de la PQR’ ». Selon l’enquête encore, ‘« la plupart des codes existants est récente, c’est-à-dire créée après 1990, tous ayant été rédigés à l’initiative de la direction de la publication, en concertation avec la rédaction et son directeur, qui en sont les signataires conjoints ’» 651 . Enfin, elle conclut, sur ce point précis, que ‘« la proposition par les organisations professionnelles de branche, d’une référence déontologique conduit à la multiplication des codes de déontologie dans les entreprises de presse et à une meilleure association des rédactions à leur mise en œuvre »’ 652 .

S’agissant du contenu de ces codes, l’enquête mentionne que ‘« ne prévoyant qu’exceptionnellement des sanctions, la plupart des textes de référence déontologique rappellent les règles essentielles du journalisme en terme de responsabilité, de contrôle de l’information, de respect de la vie privée et de présomption d’innocence’  » 653 . D’après les personnes interrogées, les codes décrivent plutôt ce qu’il faut faire que ce qu’il faut éviter, beaucoup mêlant les deux. Elles s’accompagnent, semble-t-il, de nombreuses réunions au cas par cas, de mises à jour qui selon la FNPF ‘« témoignent d’un débat permanent autour de la déontologie »’ 654

Les avis des ‘« grands témoins de la presse française’ » sont, sur les questions d’éthique et de déontologie, nettement plus partagés. Rappelons le contexte de ces entretiens :

‘« Le rapporteur avait pour mission de rencontrer 28 éditeurs, pour la plupart, directeurs de la publication de leur propre titre, afin de recueillir leur point de vue sur la façon de conjuguer au mieux la liberté de la presse et le respect de la personne. Ces entretiens ont porté sur trois interrogations principales :
- Comment jugez-vous les lois qui régissent la presse en France ?
- Qu’est-ce que la déontologie à vos yeux et quelles méthodes mettez-vous en œuvre dans votre entreprise ?
- Qu’attendez-vous de la Fédération en ce domaine ? »’ 655

Notons que cette enquête s’appuie sur une méthode qualitative et non quantitative comme en témoignent les questions relativement ouvertes qui en constituent l’essence.

S’agissant du volet exclusivement déontologique de l’enquête nous avons retenu les éléments suivants, extraits du rapport officiel intitulé, pour cette partie, ‘« La déontologie, combat quotidien »’ : ‘« En ce qui concerne les chartes ou textes similaires, une grande diversité de situation est constatée chez les éditeurs rencontrés. De nombreux textes existent soit au niveau du titre soit au niveau du groupe, soit au niveau du syndicat ou de la fédération. Leur objet peut varier : des principes directeurs de l’entreprise au seul traitement du fait-divers et des affaires de justice ou au digest de législation, du projet rédactionnel complet à la Charte régissant les rapports avec les annonceurs. Les possesseurs de tels textes mettent l’accent, pour la plupart, sur « l’effort durable » dont ils sont l’aboutissement et sur l’intérêt d’un travail en commun. Plusieurs titres n’ont pas de document de ce genre. La plupart des éditeurs concernés disent y penser ou même en avoir un en gestation : s’ils déclarent bénéficier d’une « culture forte » au sein de leur titre, ils considèrent néanmoins que la formaliser serait « positif ». Leur attitude découle parfois d’une prévention contre de tels écrits. D’un côté on s’inquiète d’une ambiguïté éventuelle : ces chartes ne seraient-elles pas à double tranchant ? S’agit-il de gérer les relations employeur salarié ou éditeur lecteur ?’ » Plus loin, l’auteur de l’enquête précise que ‘« le régime de la délégation et de la remontée hiérarchique prévaut dans les grandes équipes, tandis que le directeur de la publication est plus souvent mis à contribution directement dans les rédactions plus restreintes’ ». La question de la formation, quant à elle, suscite, chez les éditeurs, des remarques relativement critiques. François-Xavier Alix explique qu’une ‘« majorité d’entre eux met en cause la formation initiale donnée dans les écoles, ce qui les conduit à une mise en cause de la compétence des journalistes »’ 656 . Qualifiée de ‘« variable’ », ‘« la qualité déontologique des journalistes est largement remise en cause ’» par une majorité des éditeurs.

Enfin, en guise de conclusion, l’auteur propose, dans la mesure où des règles de conduite claires se formaliseraient en charte, ‘« la définition d’un triple niveau d’élaboration : C’est au niveau de chaque publication que doit se placer la pierre angulaire de l’édifice à construire ; que chaque éditeur promeuve, s’il le souhaite, la charte de son entreprise. Au niveau du syndicat un second étage peut récapituler ce qui est commun au type de publications qu’il englobe. Ces deux niveaux clairement distingués, il reste un rôle capital pour la Fédération : donner le cap, dire les grandes valeurs, la spécificité de l’éditeur’  » 657 . In fine, nombreux sont les éditeurs qui appellent de leurs vœux la création, au sein de la Fédération, d’un ‘« observatoire des médias’ » dont les appellations varient entre ‘« comité d’éthique’ », ‘« banques de données’ » ou encore ‘« centre de recherches’ ». Qu’en est-il deux ans après l’enquête, de l’acquisition par la FNPF d’une personnalité déontologique ? La question a été posée à François Devevey en ces termes :

‘« observatoire de l’Information’

A la première question, François Devevey a apporté une réponse laconique : ‘« Non, rien n’a été fait’ ». Quant à la seconde question, la réponse faite par le directeur de la FNPF laisse à penser que le rôle de la FNPF, souhaité voir jouer par les éditeurs, est délégué : ‘« Elle aimerait bien, elle aimerait bien. Ce qu’est en train de réaliser Jean-Marie Charon constitue les prémices de cet observatoire. On va voir comment ça se passe » »’ 658 .

Notes
649.

S’agissant des conditions de réalisation de l’enquête, nous renvoyons le lecteur à la revue Médiaspouvoirs, op.cit., pp. 123-125.

650.

Enquête FNPF, op. cit., 1998, p 121.

651.

Ibid., pp.120-121.

652.

Idem.

653.

Ibid. p 12.

654.

Idem.

655.

L’auteur de l’enquête a eu la bienveillance de nous transmettre l’intégralité de ses notes personnelles et du rapport officiel de l’enquête, retranscrite dans le N°4 (nouvelle série) de Médiaspouvoirs, « Déontologie des médias », 3ème trimestre 1998, p 123.

656.

Idem.

657.

Idem.

658.

F. Devevey (FNPF) fait allusion aux entretiens de l’information, dont les premiers ont eu lieu à l’occasion de l’université de la communication, à Hourtin, en août 2001, sur le thème suivant « traitement de l’information scientifique ».