4) Les quatorzièmes rencontres de Pétrarque : les niveaux de responsabilité

Sur la même période, en juillet 1999, les quatorzièmes rencontres de Pétrarque, organisées à Montpellier sous l’égide de France Culture et en collaboration avec Le Monde, tentaient d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : « A quelles règles les journalistes doivent-ils s’astreindre ? Quels sont leurs devoirs ? A qui doivent-ils rendre des comptes ? Faut-il leur imposer un code écrit de déontologie ? Parmi les personnalités à s’exprimer, notons la présence de Roland Cayrol, Jean-Marie Charon, Michaël Palmer, Enrico Benedetto, Bernard Spitz ou encore Jean-Noël Jeanneney 663 . Si tous s’accordent à reconnaître l’importance du rôle des médias dans une démocratie, les avis divergent quelque peu sur les solutions à mettre en œuvre pour une pratique journalistique vertueuse. Roland Cayrol prône l’instauration d’un ‘« » bidule » chargé de contrôler les dérives mais aussi et surtout de les « sanctionner » ».’ C’est aussi l’avis du maître des requêtes au Conseil d’État, Bernard Spitz, qui souligne le vide existant entre la justice pénale et la justice civile et d’expliquer ‘« entre les deux, il faudrait prévoir un « machin »’ » en référence au ‘« bidule’ » évoqué par Roland Cayrol. Jean-Marie Charon pose ‘« la responsabilisation’ » comme pivot de la réflexion et pense, au contraire, que l’idée d’une sanction conduirait à la déresponsabilisation. Michaël Palmer, quant à lui, rappelle que ‘« les journalistes ont intégré très tôt la notion que leur travail est d’abord jugé par leurs pairs »’ et concentre sa réflexion essentiellement sur les conditions de production des textes journalistiques. 

Un ‘« machin’ », un ‘« bidule’ », Enrico Benedetto en a fait l’expérience via l’Ordre des journalistes italien. Correspondant à Paris pour le journal italien La Stampa, Enrico Benedetto rappelle que si un Ordre a été créé c’est parce que l’on estimait que la profession était en ‘« désordre’ ». Or le premier à faire ce constat, explique le journaliste italien, non sans une pointe d’ironie, ‘« fut un ancien journaliste plus connu pour ces activités extra rédactionnelles : Benito Mussolini ».’ Toujours en vigueur, cet Ordre, considéré par Enrico Benedetto comme ‘« une machine à exclure »’, prévoit trois types de sanction : d’abord le blâme, puis la suspension et enfin l’expulsion de la profession. Et de s’interroger : ‘« pourquoi avoir conservé cette structure ?’ ». Enrico Benedetto ironise ‘« parce qu’il vaut mieux un jury de confrères pour condamner les crimes de lèse déontologie »’.

Au-delà des divergences exprimées sur les solutions à envisager, il est à noter que les points de vue par lesquels sont approchées les questions de déontologie posent plusieurs niveaux de responsabilité. Le premier est celui qui revient aux journalistes eux-mêmes, auxquels ‘« l’on doit faire confiance »’ souligne Michaël Palmer. En dépit du ‘« décalage profond qui existe entre la société et les journalistes sur les questions de déontologie’ » rappelle Jean-Marie Charon, la responsabilité individuelle doit être pointée. Le second niveau de responsabilité incombe aux entreprises de presse. Jean-Marie Charon est d’ailleurs très clair à ce sujet : ‘« il faut reposer le problème aux entreprises : c’est à vous de prendre en charge les questions de formation’ ».Or c’est naturellement que se dégage un troisième niveau de responsabilité qui, cette fois-ci, revient aux ‘« écoles de journalisme’ ». Il faut, précise Roland Cayrol, ‘« enseigner la déontologie sur des cas précis »’. Ce dernier allant même jusqu’à étendre une formation au citoyen en faisant référence au travail mené en ce sens par le CLEMI. Les troisième et quatrième niveaux de responsabilités sont pointés par Jean-Noël Jeanneney. Celui-ci met en exergue le ‘« rôle de l’État’ », d’une part, et celui, d’autre part, du ‘« public’ ». Pour lui, il existe deux formes de réactivité du public à l’égard des dérives : le désabonnement et le zapping et de souligner avec conviction : ‘« le public est largement responsable de la presse qu’on lui donne ».’

Notes
663.

Nous disposons de l’enregistrement de l’émission dans son intégralité. Les citations qui suivent sont extraites de cet enregistrement.