2) Charte rédactionnelle : tentatives, élaborations et échecs

Jules Clauwaert, président d’honneur de l’ESJ de Lille et éditorialiste à Nord é clair, a présenté à l’occasion d’un article paru dans les Cahiers du Journalisme, les diverses tentatives d’élaboration des chartes rédactionnelles en France. Il en retrace l’historique rappelant que ce mouvement a été mené sous l’impulsion du ‘« groupement des rédacteurs en chefs des quotidiens régionaux’ » créé à la suite d’un séminaire fondateur au CPJ en 1970. Devenu plus tard une association, ce groupement affiche pour principale mission : ‘« la défense du pluralisme de la presse, qui passe par la défense de l’identité de chaque titre ’» 667 . Parmi ceux qui s’engagent dans l’aventure, on notait la présence d’Eugène Brulé d’Ouest-France, Paul Bentz du Républicain Lorrain, Fernand Cousteaux, de la Dépêche du midi, André Desthomas de La Montagne, Guy Bonnet de la Nouvelle République et Louis Guéry en tant que ‘« conseiller permanent’ ». Avant d’entrer dans les détails des motivations qui ont conduit le groupement a proposé l’élaboration, pour chaque quotidien régional, d’une charte rédactionnelle, Jules Clauwaert prend la précaution de donner une définition de la notion. La charte rédactionnelle est un document qui ‘« permet de définir l’orientation philosophique ou doctrinale ou politique du journal, ses références, le système de valeurs ou de société auquel il adhère, en même temps que les règles qui s’imposent à tous dans sa mission. Cette charte, signée entre les différentes parties, protégerait la rédaction aussi bien contre elle-même, que contre l’éditeur ou des tiers, si les uns ou les autres oubliaient les règles communes’ »  668 . Plusieurs raisons ont motivé le groupement à envisager l’élaboration de chartes rédactionnelles. Selon l’auteur, ‘« il s’agit, à travers les évolutions de toutes sortes dans les entreprises et dans les métiers du journalisme, de garantir cette identité, incarnée au jour le jour par une direction et une équipe rédactionnelle. D’où l’idée de l’élaboration, dans chaque entreprise de presse, d’une charte rédactionnelle liant les propriétaires, la direction, la rédaction en chef et les journalistes »’ 669 . Le contexte s’y prêtait puisque l’une des inquiétudes majeures de la fin des années 80 était l’accélération du phénomène de concentration des titres et le développement des groupes de presse. Jules Clauwaert explique que ‘« pour permettre à la commission des opérations de la presse dont le rapport Vedel (1978) demandait la création, de contrôler efficacement s’il y a atteinte au pluralisme, c’est-à-dire à l’indépendance ou à la pensée de chaque journal concerné, le groupement des rédacteurs en chef propose l’institution d’une charte rédactionnelle’  ». Telle était l’origine du projet. Le Groupement y voyait un certain nombre d’avantages dont un qui mérite d’être souligné : ‘« Sans être une bible apportant réponse à tout, elle responsabiliserait les journalistes (…) Ce texte serait d’autant plus apprécié que le journal, se trouvant en état de monopole de fait, déclare publiquement pratiquer le pluralisme interne : notion qui mérite d’être précisée »’ 670 . Au-delà de la défense du pluralisme, argument avancé en masse, il semble qu’il y ait en filigrane une autre préoccupation que l’on sent poindre dans ce rappel historique : la notion de clause de conscience, accordée aux seuls journalistes, n’est manifestement pas là pour contenter l’ensemble. ‘« Elle est une garantie individuelle »’, note l’éditorialiste. Or le Groupement vise bien plutôt ‘«la reconnaissance de l’existence collective des journalistes dans une entreprise de presse »’ et l’auteur de rappeler ‘« Moins que jamais, en effet, dans une entreprise de presse, sans l’audiovisuel comme dans l’écrit, une rédaction ne pourra se réduire à la juxtaposition d’un certain nombre de journalistes’ » 671 . L’entité ‘« équipe rédactionnelle’ », en dépit des nombreux efforts du Groupement pour l’imposer achoppera sur son statut juridique jusqu’alors inexistant, le gouvernement estimant la voie contractuelle préférable à l’intervention du législateur. Dès lors, Jules Clauwaert conclut sur les échecs d’une tentative de reconnaissance juridique des ‘« chartes rédactionnelles’ » et de son corollaire ‘« l’entité rédactionnelle’ » mais souligne le succès de l’idée qui, depuis, à fait son chemin. Nous retiendrons, pour l’essentiel de ce bref aperçu historique de l’élaboration des chartes rédactionnelles, qu’il s’agissait surtout de protéger l’identité d’un journal à travers sa rédaction et ce, au nom du pluralisme. Nous verrons, à travers notre analyse, si ces motivations sont restées intactes.

Notes
667.

Clauwaert J. op. cit., 1996, p 85.

668.

Ibid., p 86.

669.

Ibid., p 85.

670.

Ibid., p 87.

671.

Ibid., p 88.