Chapitre VIII : Recension des chartes des médias français 

I) La dispersion des approches éthique et déontologique de la pratique journalistique

1) Une enquête laborieuse

Louis Guéry explique, à l’occasion du bilan qu’il dresse de la recension des codes et des chartes, qu’il ne s’attendait pas à un grand succès de cette pêche aux renseignements et avoue qu’il a été agréablement surpris : ‘« alors qu’habituellement, dans ce genre de sondage, les réponses sont plutôt rares, presque tous mes correspondants m’ont répondu’ » 672 . Nous aurions souhaité, à notre tour, dresser le même constat, mais malheureusement notre pêche aux renseignements n’a pas rencontré le même succès. Pourtant, nous avions pris d’infinies précautions dans l’élaboration de notre enquête. La première d’entre-elle visait à ne pas faire perdre du temps aux directeurs de publication dont nous savons par ailleurs qu’ils font l’objet de multiples sollicitations. La rédaction de notre questionnaire a donc été réduite à sa plus simple expression. La seconde précaution consistait à prévoir, à l’issue d’une relance téléphonique, un second envoi du questionnaire qui aurait pu s’égarer parmi les multiples préoccupations de nos interlocuteurs. Or, en dépit de ces mesures, nombreux ont été ceux qui n’ont pas pu (ou pas souhaité) répondre. Notre enquête fut donc relativement laborieuse et a nécessité plusieurs mois de travail. Certains ont répondu un an après l’envoi du questionnaire, d’autres encore ont fait l’objet, sur leur demande, de multiples relances 673 . Tantôt agacé, parfois découragé, nous avons toutefois tenu à mener cette enquête jusqu’à son terme en regrettant qu’elle ne fût pas suffisamment exhaustive. Au-delà de ces remarques, sans doute inhérentes à toutes les enquêtes de terrain, nous voudrions ici rapporter quelques éléments anecdotiques qui ont fait de cette enquête une expérience tout à fait unique du discours de la profession à l’égard des questions de déontologie. Si certains ont eu la bienveillance de nous répondre avec un souci de transparence, d’autres au contraire, dans une rhétorique zélée, ont fait preuve d’une stratégie quasi défensive. Ainsi Alain Hiest nous a précisés, en préambule de sa lettre, et en qualité de ‘« directeur-médiateur ’» du Progrès : ‘« je réponds succinctement à votre courrier (en ayant l’impression de subir une colle de l’ENA) »’ et de poursuivre ‘« LE PROGRES n’a pas de charte déontologique élaborée formellement. Celle-ci s’est formée au fil de ses 140 ans d’existence, par implication personnelle de ses présidents, directeurs, rédacteurs en chef, chefs de services et journalistes’  » 674 . Toujours à titre anecdotique, il est intéressant de souligner la réponse du quotidien Le Parisien qui nous a fait savoir, via son ‘« directeur marketing’ », que ‘« la rédaction applique strictement la charte de juillet 1918, révisée en 1939 »’ 675 . Or s’il s’agit, comme nous le pensons, de La Charte du SNJ, elle fut certes rédigée en juillet 1918 mais révisée et complétée en janvier 1938 676 . Le Parisien n’est pas le seul quotidien à faire preuve sinon de méconnaissance du moins d’approximations en la matière. Benoît Luizet, directeur général des ‘« Nouvelles calédoniennes ’», nous répond : ‘« nous ne disposons pas de charte déontologique pour notre titre. Toutefois, nous appliquons des procédures non écrites en la matière en respectant les principes clés déontologiques de la profession’ » 677 . Aucune précision n’est faite concernant ces principes, pourtant ‘« clés’ », en matière de déontologie. Cette imprécision se retrouve aussi dans la réponse de Pierre-Henri Arnstam, directeur général délégué, chargé de la rédaction à France 2. Ce dernier nous précise dans un courrier que ‘« les principes essentiels de déontologie des journalistes sont déjà inscrits dans les textes qui régissent la profession’ » et de citer ‘« la charte des devoirs du journaliste ’» 678 . Or s’agit-il de La Charte du SNJ (1918 révisée en 1938), de la Charte de Bordeaux (1954) ou de celle de Munich (1971) ? 679 . Nous n’en savons rien. Cela dit, nous subodorons qu’il s’agit de celle du SNJ à laquelle il est clairement fait référence dans l’avenant audiovisuel. France 3, autre chaîne du service public, souligne dans un document intitulé ‘« Le projet éditorial pour l’information »’, rédigé à l’occasion de la convention cadre du 6 et 7 juin 2001, que ‘« l’information à France 3 est régie par les textes fondamentaux de la République, par les lois sur la presse, et par les textes reconnus dans la presse française et européenne comme fondements de la déontologie professionnelle’ » 680 . Ici, la piste européenne aurait pu nous conduire à la Charte de Munich, or celle-ci a été adoptée par la Fédération internationale des journalistes (FIJ) et ratifiée par l’ensemble des représentants des syndicats de journalistes européens, dont les syndicats français, mais non par l’ensemble de la presse française 681 . Nous restons donc dubitatifs. Par ailleurs, et dans la même veine, le rédacteur en chef du Républicain Lorrain nous laisse aussi dans le flou : ‘« Nous continuons à nous fonder sur les principes de la charte de déontologie des journalistes qui a fait l’objet de nombreuses mises à jour ainsi que sur les principes et les droits qui sont exprimés dans la convention collective des journalistes »’ 682 . Les deux références implicites sont sans doute celles de La Charte du SNJ et l’article 5 intitulé ‘« principes professionnels’ » de la CCNTJ. Or deux mois auparavant, c’est le rédacteur en chef adjoint du même journal qui nous répondait : ‘« en réponse à votre courrier en date du 23 mars dernier, nous vous prions de bien vouloir trouver, ci-dessous, les coordonnées de deux organismes auprès desquels vous pourrez obtenir les renseignements demandés : la commission de la carte et le SPQR ’» 683 . Ici, la référence, même implicite, à une quelconque charte ou autres principes est inexistante.

Ces anecdotes corroborent nos premières impressions suscitées par l’absence de réponse à la question ‘« Comment positionnez-vous votre charte ou code par rapport à la Charte dite de Munich ?’ ». Plusieurs cas de figure ont été rencontrés. Le premier a consisté à ne pas y répondre. Le second cas de figure révélait la méconnaissance du document par la plupart de nos interlocuteurs ‘: « Je ne connais pas une charte de Munich »’ (Robert Amlung, Arte info) ; ‘« ?’ » (Laurent Vissuzaine, Le Courrier Picard) ; ‘« A franchement parler, je ne connais pas le contenu de la Charte Bavaroise »’ (Vincent Hugueux, L’Express) ; ‘« Je ne connais pas la Charte de Munich. Votre question me fait penser à un bac de Philo »’ (Marcel Quiviger, Le Télégramme de Brest). Rappelons que la question avait été aussi posée aux interlocuteurs patronaux qui ont avoué leur méconnaissance du document. Le dernier cas de figure consistait donc à répondre. Seuls trois de nos enquêtés ont répondu : La Croix, La Nouvelle République et La République du Centre. Parmi eux, nous retiendrons la réponse d’Hervé Guemerom pour La Nouvelle République : ‘« Les Journalistes de la NR nous ont dits qu’ils n’avaient pas besoin d’un code puisque la Charte de Munich était suffisante à l’exercice du métier. Or, on remarque que presque personne ne l’a lue »’ 684 . Pourtant, comme nous l’avons signalé plus haut, selon l’enquête internationale conduite par J. Clement Jones, ‘« la Charte de Munich est le document le plus représentatif de la position de la presse française »’ 685 . Représentative certes, mais manifestement méconnue par une partie de la communauté médiatique française.

Notes
672.

Guéry L., op. cit., 1996, p 75.

673.

Nous avons envoyé trois fax en moins d’un mois pour la même rédaction, sans qu’aucune réponse ne nous parvienne.

674.

Hiest Alain, correspondance du 30 mars 2000, voir annexe.

675.

Le Parisien, correspondance du 5 avril 2000, voir annexe.

676.

Le site du Centre de formation des journalistes de Paris mentionne aussi, dans son volet déontologie, une révision de la Charte du SNJ en 1939.

677.

Luizet Benoît, correspondance électronique du 17 avril 2000, voir annexe.

678.

Arnstam Pierre-Henri, correspondance du 29 mai 2000, voir annexe.

679.

La charte de Bordeaux fut adoptée lors du deuxième congrès de la FIJ, en 1954. Cette déclaration vise surtout à proscrire les fautes professionnelles graves. Si elle reste en vigueur aux yeux de la FIJ, il est toutefois difficile de dire dans quelles mesures les journalistes, membres des syndicats, des fédérations ou des associations professionnelles nationales, tiennent compte de l’existence du document ou en observent les préceptes.

680.

Le projet éditorial pour l’information, France 3, convention cadres, 6-7 juin 2001, introduction, p2, voir annexe.

681.

Les six pays membres de la CEE étaient à l’époque : la France, l’Allemagne fédérale, l’Italie, la Belgique, les Pays-bas et le Luxembourg.

682.

Padiou M., correspondance électronique du 5 juillet 2000, voir annexe.

683.

Manuguerra V., correspondance du 4 avril 2000, voir annexe.

684.

Guemerom H. réponse au questionnaire, datée du 30 mars 2000, voir annexe.

685.

Clement Jones.J., op. cit., 1980, p 23.