Avant d’en arriver aux critères de rédaction d’une charte, nous voudrions dresser un bilan intermédiaire des volets ‘« motivation’ » et ‘« fonction(s)’ » de la charte maison. Qu’il s’agisse de l’expression d’un besoin, d’un souci, d’une nécessité ou d’un constat, tous expriment une sensibilité et une conception stratégiquement orientée de la responsabilité des médias. Daniel Cornu avait déjà souligné le phénomène de prolifération déontologique qui témoigne, selon lui, ‘« d’un intérêt porté dans et par les médias aux questions d’éthique normative »’ 689 . Mais ce même auteur, précise plus loin : ‘« elle relève tout autant d’une pente utilitariste »’ sur laquelle les entreprises de presse se laissent volontiers glisser. En effet, le recours à un usage stratégique de l’éthique et de la déontologie est ici clairement établie et rejoint totalement l’idée originelle dont s’inspire ce recours : ‘« protéger l’identité d’un journal’ ». L’entreprise de presse, comme toutes les entreprises, possède une histoire qui vient nourrir sa culture et ses valeurs. Nombreux d’ailleurs sont nos interlocuteurs à s’en réclamer. Comme le note Philippe Bernoux, ‘« L’entreprise, son organisation, sa politique ne sont pas des réponses mais est un construit par des acteurs intégrants les contraintes comme élément des stratégies »’ 690 . Arrêtons-nous sur la réflexion du sociologue pour mieux comprendre les enjeux stratégiques de l’intégration de normes, quelles qu’elles soient, au sein de l’entreprise de presse. Parmi les éléments constitutifs de la définition d’une organisation, il en est un qui a retenu toute notre attention : ‘« le système d’autorité’ ». Nous postulons que l’élaboration de chartes, qu’elles soient rédactionnelles ou déontologiques, est un des éléments qui permet d’asseoir le système d’autorité dans l’entreprise de presse.
Philippe Bernoux introduit aussi sa réflexion par un postulat qu’il emprunte à Michel Crozier et Erhard Friedberg : ‘« l’organisation est à étudier comme un phénomène autonome, c’est-à-dire obéissant à ses propres règles de fonctionnement et non déterminé par des contraintes extérieures »’ 691 . L’auteur poursuit avec un second postulat : ‘« l’option de l’analyse stratégique apparaît aujourd’hui la plus pertinente pour comprendre le phénomène organisationnel’ » 692 . L’analyse stratégique s’articule autour de trois concepts clés qui sont le pouvoir, la zone d’incertitude et le système d’action concret 693 . La rédaction d’une charte, dans l’entreprise de presse, relève de ces trois registres constitutifs de l’analyse stratégique.
Cornu D., op. cit., 1997, p 15.
Bernoux P., op. cit., 1985, p 116.
Ibid., p 117.
Ibid., p 118.
Nous renvoyons le lecteur aux définitions de ces concepts in Bernoux P., op. cit., pp. 166-167.