1) « Le conseil de discipline » du SNJ

Yves Lorelle précise, dans un article au titre prophétique, ‘« La déontologie des journalistes va-t-elle à la dérive ? »’ : ‘« Il existe une charte du journaliste élaborée par le SNJ mais d’une part, elle n’engage que les syndicats qui l’adoptèrent (les entreprises de presse la méconnaissent totalement et la plupart des professionnels l’ignorent) et, d’autre part, elle n’est assortie d’aucun organe d’application »’ 725 . A ces propos, nous voudrions apporter deux nuances essentielles. La première tient au fait que, hormis le SNJ qui en fut l’initiateur, les autres syndicats de journalistes, certes, s’y réfèrent mais ne l’ont en aucun cas adopté officiellement, contrairement à celle de Munich, ratifiée par l’ensemble des syndicats français. Beaucoup, donc, lui préfèrent la Charte de Munich. La seconde nuance porte sur l’organe d’application qui devrait accompagner la Charte du SNJ. Pour mieux comprendre cette inextricable situation, il faut remonter à la source, c’est-à-dire au contenu même de la Charte du SNJ. La quête de professionnalisation que mène le SNJ, à sa création, l’accule à appréhender le rôle du ‘« code de l’Honneur professionnel des journalistes’ » comme structurant 726 . ‘« Un journaliste digne de ce nom’ » apparaît donc comme la première figure du professionnalisme proposée aux journalistes. Il fallut attendre la création du statut légal du journaliste, en mars 1935, puis la délivrance de la carte d’identité des journalistes professionnels, un an plus tard, pour voir le SNJ, en 1938, réviser son ‘« code’ ». Le Journaliste, daté du mois de février 1938, précise dans un article présentant la nouvelle mouture, que ‘« le conseil d’administration a jugé opportun de procéder à une révision et à une mise au point de ce texte ancien’ » 727 . Aucune raison explicite à la révision du code n’est mentionnée par le conseil d’administration. Cela dit, il nous semble qu’il en eut une qui justifiait cette soudaine révision : l’établissement du statut légal du journaliste. Pourquoi ? Qu’est-ce qui distingue le code d’honneur de 1918 de celui de 1938 ? Outre des précisions et la suppression d’éléments parmi lesquels ‘« la diffamation’ », la calomnie et les accusations sans preuve viennent étoffer le contenu du code. Ce qui change profondément la teneur de ce code, c’est l’apparition d’un ‘« Conseil de discipline’ ». Il s’agit, pour le SNJ, qui vient de gagner la bataille du statut légal mais qui perd en même temps le monopole de la représentation professionnelle, de contrer la juridiction légale. Le propos est explicite : ‘« un journaliste digne de ce nom, en matière d’honneur professionnel, ne reconnaît qu’une seule juridiction, celle de ses pairs, représentée par le Conseil de discipline, qui veille au respect des règles du présent code, et auquel il reste soumis, même après une décision de justice »’ 728 . Le message se veut autoritaire et inféode une ‘« décision de justice’ » à l’avis des pairs, donc du SNJ. Le syndicat poursuit son verrouillage et se positionne comme l’unique interlocuteur en matière d’honneur professionnel.

Nous disposons d’un bulletin du ‘« Journaliste’ » intitulé ‘« nouvelle série’ » et daté de mai 1948 qui, en manchette, comme à l’accoutumée, reprend le code d’honneur professionnel désormais appelé ‘« Charte des devoirs des journalistes’ » 729 . Or la mention faite à la reconnaissance ‘« d’une seule juridiction, celle de ses pairs, représentée par le Conseil de discipline (…)’ » a disparu. Aujourd’hui, si l’on observe la Charte du SNJ, cette mention a été réintégrée mais elle en a supprimé sinon l’intérêt du moins la compréhension puisque désormais ‘« un journaliste digne de ce nom ne reconnaît que la juridiction de ses pairs en matière d’honneur professionnel’  ». Or, naturellement, et comme l’a déjà fait remarquer Christian Delporte : ‘« mais de quelle juridiction parle-t-on ? »’ ‘ 730 ’ ‘.’ Donc, il est important de dire qu’originellement, du moins à partir de 1938, le SNJ avait doté son code d’Honneur professionnel d’un organe d’application, le Conseil de discipline. Nous pensons que cet organe a disparu sous l’influence de deux événements : le premier est celui de la seconde Guerre Mondiale, durant laquelle a pointé, sous le régime de Vichy, l’instauration de conseils de discipline d’une toute autre nature. Le second événement, tient, nous semble-t-il, à la perte du monopole de la représentation syndicale des journalistes par le SNJ. En 1948, le premier et principal syndicat de journalistes doit composer désormais avec le syndicat CGT-FO et le Syndicat CGT. Or, pour éviter les tensions entre les centrales syndicales, le SNJ a, sans doute, été acculé à remanier quelque peu son message hégémonique.

Avant d’en arriver à l’analyse comparative des deux documents, nous avons fait le choix de les décliner dans leur intégralité.

  • Charte de Munich :

Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain.

De ce droit au public à connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes

La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics.

La mission d’information comporte nécessairement des limites que les journalistes eux-mêmes s’imposent spontanément. Tel est l’objet de la déclaration des devoirs formulée ici.

Mais ces devoirs ne peuvent être effectivement respectés dans l’exercice de la profession de journalistes que si les conditions concrètes de l’indépendance et de la dignité professionnelle sont réalisées. Tel est l’objet de la déclaration des droits qui suit.

  • Déclaration des devoirs :

Les devoirs essentiels du journaliste dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements sont :

  • Déclaration des droits :
  • Charte du SNJ :

Un journaliste digne de ce nom prend la responsabilité de tous ses écrits, même anonymes ;

  • Tient la calomnie, les accusations sans preuves, l’altération des documents, la déformation des faits, le mensonge, pour les plus graves fautes professionnelles ;
  • Ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souveraine en matière d’honneur professionnel ;
  • N’accepte que des missions compatibles avec la dignité professionnelle
  • S’interdit d’invoquer un titre ou une qualité imaginaires, d’user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque
  • Ne touche pas d’argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journalistes, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ;
  • Ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière
  • Ne commet aucun plagiat cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque ;
  • Ne sollicite pas la place d’un confrère, ni ne provoque son renvoi en offrant de travailler à des conditions inférieures ;
  • Garde le secret professionnel ;
  • N’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ;
  • Revendique la liberté de publier honnêtement ses informations
  • Tient le scrupule et le souci de justice pour des règles premières ;
  • Ne confond pas son rôle avec celui du policier.

Notes
725.

Lorelle Y. « La déontologie du journalisme va-t-elle à al dérive ? », in Communication et Langages, 4e trimestre 1992, p 101.

726.

Notons qu’il s’agissait à l’époque d’un « code » et non d’une charte. Qu’il était de bonne augure de parler d’honneur et non de déontologie ou, même, d’éthique.

727.

Le Journaliste, n°124, février 1938.

728.

Idem.

729.

Le Journaliste s’interrompt en 1940 avec le numéro 145. En 1946, il réapparaît et sa numérotation repart du numéro 1. (Sources SNJ).

730.

Delporte C., op. cit., 1997, p 31.