2) Charte de Munich : des devoirs ET des droits

La Charte de Munich a été rédigée et approuvée à Munich, les 24 et 25 novembre 1971 et adoptée depuis par la Fédération internationale des journalistes (FIJ), par l’Organisation internationale des journalistes (OIJ) et par la plupart des syndicats de journalistes d’Europe, ce qui inclut la totalité des syndicats de journalistes français groupés dans une Union nationale des syndicats de journalistes. D’après François Greyer, chargé de retracer l’historique des codes de déontologie dans la presse internationale : ‘« la Déclaration de 1971 constituait pour l’époque la tentative la plus heureuse de codification des principaux devoirs des journalistes et des droits correspondant à ces devoirs pour tous les membres du personnel des moyens d’information en Europe occidentale, où, cela va sans dire, règne une relative liberté de la presse’ » 731 .

Voyons cependant, ce qui distingue fondamentalement les chartes du SNJ et de Munich, puisque l’une et l’autre, à l’évidence, ne satisfont pas les éditeurs de presse française qui ne s’y réfèrent jamais. Sur la forme, d’abord, notons que la Charte de Munich est beaucoup plus conséquente que la Charte du SNJ. Elle comporte deux volets, droits et devoirs, là où la Charte du SNJ n’en retient qu’un : les devoirs du journaliste (treize articles), objet exclusif du texte. La Déclaration de Munich a donc ceci d’intéressant qu’elle distingue deux parties dont l’une est consacrée, dans l’ordre, aux devoirs et obligations des journalistes (huit articles), et l’autre, à la définition de ses droits (cinq articles). La formulation de la Charte du SNJ est nettement plus autoritaire. Si elle a recours à un usage massif de l’impératif comme mode grammatical qui exprime à la fois le commandement et la défense, elle renforce ses prescriptions d’ordre moral par la négation qui contraint doublement : ne reconnaît que, n’accepte que, s’interdit de, ne touche pas de, ne signe pas, ne commet pas, ne provoque pas et n’abuse pas. Ce constat, de pure forme, s’il peut paraître extrait à brut, n’en demeure pas moins témoin du caractère directif qu’anime cette charte et de la définition négative qui domine : la charte énumère ce que les journalistes ne doivent pas faire sans réellement insister sur ce qu’ils doivent faire. Outre ce bref constat qui porte sur les injonctions du mode impératif tantôt affirmatif tantôt négatif, plusieurs écueils à éviter sont mis en exergue par la Charte du SNJ : la calomnie, la diffamation, les accusations sans preuves et le plagiat - quatre travers dont il est explicitement rappelé qu’ils relèvent de la responsabilité des journalistes – puis la réclame commerciale et financière qui apparaissent comme les sirènes du journaliste. Cette partie de la charte vise surtout à proscrire les fautes professionnelles graves et à rappeler les responsabilités qui sont celles d’un journaliste dans sa pratique. Précisons que si les fautes, l’honneur, la dignité et le secret sont expressément qualifiés de professionnels, le journaliste demeure ‘« digne de ce nom’ ». Soulignons, aussi, qu’un certain nombre d’éléments mériteraient d’être sinon rafraîchis du moins modifiés. Ainsi le terme de ‘« réclame commerciale’ » ne paraît guère approprié. Quant à l’article 8, qui stipule qu’un journaliste digne de ce nom ‘« ne sollicite pas la place d’un confrère, ni ne provoque son renvoi en offrant de travailler à des conditions inférieures »’, il n’est plus à l’ordre du jour. Il est vrai qu’à l’époque de la création de la Charte du SNJ, la profession était coutumière de ce genre de pratique 732 . Aujourd’hui la profession est protégée par une convention collective qui prévoit une grille de salaires. Une telle situation, si elle devait se rencontrer, serait immédiatement dénoncée et condamnée au regard de la loi.

Sur le fond, maintenant, les différences s’accentuent.Éminemment corporatiste, la charte du SNJ tranche avec celle de Munich pour deux raisons essentielles : la première tient à l’absence notoire, dans la charte du SNJ, du ‘« droit à l’information du public’ » comme liberté fondamentale de tout être humain, alors même qu’elle constitue le préambule de la Charte de Munich. La seconde tient à l’absence, elle aussi notoire, des droits des journalistes, pourtant prévus dans la charte bavaroise 733 . Là, où la Charte de Munich présente comme un droit le refus de se subordonner à tout ce qui serait contraire à la ligne générale de l’organe d’information, la charte du SNJ en fait un devoir : ‘« n’accepte que des missions compatibles avec sa dignité professionnelle’ ». Pour la première, la référence à la clause de conscience ne fait aucun doute, pour la seconde, elle apparaît moins évidente.

Notes
731.

Greyer F. cité par cité par Clement Jones J., op. cit., 1980, p 14.

732.

Voir le cas de Max et Alex Fischer « Un Renvoi scandaleux » relaté dans le bulletin du SNJ, daté d’octobre 1922, en première partie de cette thèse, p 62.

733.

Cette remarque doit être pondérée si l’on prend en compte le contexte d’émergence de la charte du SNJ. En effet, en 1918, la profession de journaliste ne dispose ni d’un statut, ni même d’une convention collective, lesquels viendront plus tard.