Le Livre de Style du Monde est un savant mélange entre les chartes issues de la PQR, dans lesquelles sont fortement marqués l’identité du journal et son rapport au lecteur, et celles, plus généralistes, de la profession au premier rang desquelles ‘« la Charte de Munich’ » dont le contenu est intégralement reproduit dans ce Livre. Il y est en effet question de ‘« son histoire et de sa vocation »’, ‘« du contrat de lecture établi avec les lecteurs’ » mais aussi de ‘« sa mission première qui est celle d’informer ».’ Le Monde a donc des principes, des règles, des usages, une discipline collective et le fait savoir.
Avant d’entreprendre l’analyse des éditoriaux respectifs de Jean-Marie Colombani et d’Edwy Plenel, nous aborderons le volet consacré aux principes en vigueur dans le quotidien dit de référence. Ces principes s’articulent autour du quotidien, noyau dur de la démarche, et se déclinent en cinq axes : Le Monde et…ses valeurs (1) ; les médias (2) ; l’information (3) ; le commentaire (4) ; ses lecteurs (5). Notons que seuls ‘« les valeurs’ » et ‘« les lecteurs’ » sont introduits par un adjectif possessif ‘« ses’ » qui exprime sinon un lien d’appartenance du moins un intérêt tout particulier. De tailles inégales, ces différents axes contribuent indistinctement à définir le journal, à présenter sa fonction et à rappeler la mission du journaliste du Monde dans un contexte qui vient sans cesse justifier le positionnement du journal. Ainsi, il se dégage un certain nombre sinon d’oppositions du moins d’interactions qui viennent judicieusement rappeler les convictions du quotidien :
Le contexte tel qu’il est présenté par « Le Monde » |
Le positionnement du journal « Le Monde » |
Pressions politiques, économiques et autres | Le Monde oppose une ferme résistance |
Pluralité des opinions | Respect de la diversité des points de vue dans ses pages Débats et dans son courrier des lecteurs |
Contre le nationalisme et le repli | Il choisit le parti de l’ouverture et de la coopération internationales |
Refus du racisme et de l’exclusion | Il met au premier plan de ses engagements le combat pour la justice et la solidarité |
Des lecteurs déjà sollicités par de nombreux médias | Ne pas négliger les informations et les commentaires des autres médias |
Époque devenue plus obscure et moins lisible | Il a l’ambition d’être un lieu de discussion où s’affrontent des idées, où s’esquissent des hypothèses, où se cherchent des solutions |
Un univers souvent obscur | Le goût de la pédagogie, la nécessité de hiérarchiser l’actualité, l’honnêteté et l’effort constant pour équilibrer le traitement de l’information |
Diversité de la société | Il s’intéresse à tous les domaines de la société |
Pouvoirs financier, entrepreneurial, syndical, politique, administratif | Refus d’obéir aux stratégies de communication |
La mondialisation des économies, des cultures, des sociétés | Le Monde est un quotidien international |
Pour chacun des axes correspondent des convictions qui traduisent un positionnement extrêmement explicite du journal Le Monde. Les valeurs telles que la justice, la pluralité, la résistance, la coopération, l’ouverture, la solidarité, l’honnêteté, la vigilance, la liberté, l’égalité, la fraternité, rappelant l’attachement du journal à la République, sont présentées comme autant de critères qui viennent inspirer la pratique journalistique, au Monde. Ces premières pages viennent aussi rappeler aux lecteurs, la définition du quotidien ‘« Le Monde’ » et son ambition : ‘« il se définit comme un quotidien politique d’information générale, dans la mesure où il a pour ambition de participer à la formation du citoyen et de l’aider à s’orienter dans l’espace public »’ 759 . C’est dire l’importance du contexte dans lequel le journal évolue, la démocratie, et le rôle qu’il s’assigne dans cet environnement : formateur et sherpa du lecteur-citoyen. La chose n’est pas aisée, mais elle demeure, pour chaque journaliste du Monde, ‘« une ambition’ », ‘« un idéal’ », ‘« une visée’ » aurait écrit Paul Ricoeur, car enfin, comme l’explique Jean-Marie Colombani : ‘« Ils - les journalistes - doivent aussi se rappeler que, dans une démocratie, un quotidien de qualité constitue un espace public où se développe le mûrissement des décisions’ ».
Le Livre de Style du Monde, p 6.