d) Le Monde Diplomatique : une stratégie similaire

Au-delà de ces constats, dont on ne peut nier la pertinence, et avant même d’en tirer une analyse notamment du champ lexical de la transparence, nous voudrions rapprocher cette rhétorique avec celle employée, en toute autre circonstance, par le directeur de la publication du Monde Diplomatique, Ignacio Ramonet. En effet, en observant le discours du Livre de Style du Monde, nous avons été tentés de le rapprocher d’un article du Monde Diplomatique, publié en octobre 1998 et intitulé : ‘«Contre le mimétisme. Qui sont les lecteurs du Monde Diplomatique’». Nous avons constaté de nombreuses convergences dans les procédés argumentatifs utilisés. Ignacio Ramonet s’est efforcé, dans une longue introduction, à présenter le contexte de ‘«l’ère de l’information globale »’ et son lot de méfaits : ‘« de gigantesques concentrations sont en cours (…) rachats et fusions se succèdent (…) Beaucoup de grands journaux ont été déjà rachetés par des mégagroupes de communication »’ et d’expliquer : ‘« Dans le nouveau schéma industriel, l’information est avant tout une marchandise ; et cela l’emporte de loin sur la mission fondamentale des médias : éclairer et enrichir le débat démocratique »’. Plus loin, il s’en prend au ‘« mimétisme médiatique’ » et dénonce avec virulence ‘« l’influence de la télévision’ » qui a contribué à ‘« déconceptualiser l’information et à la replonger peu à peu dans le marécage du pathétique »’ 761 . Une fois le contexte clairement campé, l’auteur a opéré sa transition vers le meilleur des mondes possibles : ‘« Dans ce contexte médiatique général, délétère et dangereux, où en est le Monde Diplomatique ?’ » et de répondre : ‘« il se porte bien ; son tirage a doublé ; les ventes et les abonnements ne cessent de croître, Le Monde Diplomatique va bien et dégage chaque année une marge bénéficiaire (…)’  ».

Ignacio Ramonet, pour justifier la démarche d’une enquête auprès du lecteur du Monde Diplomatique, rappelle que ‘« c’est (…) pour écouter les sans voix que nous avons effectué ces deux enquêtes »’. Les résultats sont sans surprise : ‘« l’ensemble des lecteurs, pour ainsi dire, fait parti de ce noyau (en référence au noyau dur = le lectorat du Monde Diplomatique). Ce qui est extrêmement rare dans la presse aujourd’hui. Tous titres confondus. Et traduit une adhésion exceptionnelle à notre journal et aux valeurs qu’il défend »’.

S’agissant du Livre de Style du Monde, le procédé est moins grossier puisque les considérations qui viennent émailler la présentation du contexte dans lequel évolue le quotidien, sont relativement distillées. Cela dit, elles procèdent aussi d’une stratégie de positionnement du journal dont la subtilité réside dans l’usage de l’ellipse : il y a nous et les autres (figures de l’exception ‘–» ce qui est rare ’» souligne Ignacio Ramonet et de l’excellence ‘–» un journal de qualité’ » reprend Jean-Marie Colombani). Certes les contextes, tels qu’ils sont présentés dans les deux documents, diffèrent de registre. Mais ils servent habilement l’identité respective des deux supports. Précisons d’ailleurs, ce qui nuancera quelque peu cette comparaison, que Le Monde possède 51 % du capital du Monde Diplomatique. Ceci dit, nous ne pensons en aucun cas que ce contrôle du capital ait un quelconque rapport avec la manière dont Ignacio Ramonet justifie le positionnement de son journal.

Notes
761.

Ramonet I., «Contre le mimétisme. Qui sont les lecteurs du Monde Diplomatique», in Le Monde Diplomatique, octobre 1998, p 14.