e) Des Lumières à la Face cachée du Monde

Revenons à l’usage de l’ellipse. Elle est une sorte de médiation furtive qui oblige le lecteur à ne considérer que les éléments dont elle rend compte. Ainsi, s’agissant du Livre de style du Monde, l’usage d’oppositions telles que : obscur vs éclairage ; cachées, occultées vs mise à nu ; difficulté vs facilité ; incertitude vs intelligibilité, clarté, lisibilité ; pressions vs résistance, permettent d’asseoir, sans nuance possible, la mission du quotidien. A l’instar des ‘« Lumières’ », Le Monde vient éclairer l’opinion publique plongée dans l’obscurité. Mais pas seulement. Face aux ‘« réalités cachées »’ Jean-Marie Colombani rappelle que ‘« en publiant son « Livre de style », donc en mettant à nu les normes régissant son activité, Le Monde décrit la spécificité du métier de journaliste (…)’  ». Non seulement son rôle est d’éclairer, mais aussi de se rendre ‘« transparent’ ». Or l’argument vaut bien au-delà du Livre de Style, qui peut sonner comme une opération de communication, au sens de mise en partage. En effet, un an après sa sortie, alors même que l’argumentaire de ce Livre s’articule autour de la volonté d’incarner ‘« Les lumières’ », ‘« la transparence’ » et ‘« la clarté’ », Pierre Péan et de Philippe Cohen contre argumentent justement la thèse des ‘« Lumières’ » avec ‘« La face cachée du Monde ’», titre de leur ouvrage. Outre la polémique qu’il a suscitée et dont la plupart des médias s’est fait l’écho, il est intéressant de noter que les premières salves du Monde ontconsisté à repositionner le journal tel qu’il est présenté dans le Livre de Style et à ne retenir, des 634 pages de l’ouvrage, qu’un élément, à leurs yeux, essentiel : ‘« » Le Monde » est-il un danger pour la démocratie ? ».’ A priori, il existe une cohérence certaine entre le discours tenu dans le Livre de Style et les réponses adressées aux accusations de Pierre Péan et de Philippe Cohen. Poursuivons cette analyse. Cette cohérence se retrouve dès les premières lignes dans l’article d’Edwy Plenel : ‘« c’est peu dire que leur tableau est sombre. Là où les salariés et les lecteurs du Monde pensent être les acteurs ou témoins d’une aventure collective, menée au nom du professionnalisme et de l’indépendance, ils n’ont trouvé que l’équipée d’un « redoutable trio »’ (…) » 762 . On retrouve, ici, la thématique de l’obscurité ‘(« le tableau est sombre’ ») développé dans le Livre de Style et celle d’une discipline collective transformée, pour le coup, en aventure puisqu’elle y inclut témoins et acteurs.

Notes
762.

Plenel E., op. cit., 26 février 2003.