b) « Le respect dû au lecteur »

Aux côtés des termes de ‘« renommée’ » et de ‘« succès’ » sur lesquels les rédacteurs du document ne s’étalent pas, le premier paragraphe met d’emblée en exergue ce à quoi les journalistes de L’Express semblent attachés : ‘« le respect dû au lecteur, à son intelligence comme à sa curiosité’  ». Le pari de l’hebdomadaire ne réside pas sur ‘« le confort de lecture’ » susceptible de conduire à ‘« la conquête du lectorat »’ mais sur son intelligence et sa curiosité. La tournure paraît quasi pléonastique tant il est vrai que parier sur l’intelligence et la curiosité du lecteur, c’est déjà l’expression d’un respect. Pour ce faire, un certain nombre de valeurs doivent mobiliser l’ensemble de la rédaction de l’hebdomadaire : ‘« la rigueur, la tolérance, le pluralisme, l’inventivité, l’engagement éclairé et la fiabilité »’.

Au-delà de ces considérations, d’autres recommandations viennent rappeler aux journalistes de L’Express l’incompatibilité d’exercer des responsabilités politiques (…) avec le statut de journaliste mais aussi le lien de subordination qui l’oblige auprès de la direction de la rédaction. Vincent Hugueux a d’ailleurs fait preuve de clarté à ce sujet : ‘« Un texte de cette nature procède par essence d’un compromis. Il s’agissait d’énoncer clairement des principes fermes, sans que la direction puisse percevoir cette initiative comme une tentative de grignotage de ses prérogatives, ce qui est nullement notre ambition ’» 800 . Cette subordination, à laquelle sont soumis les journalistes de L’Express, n’est pas la seule. Il en est une seconde qui relève des ‘« convictions’ » des rédacteurs et qui constitue un bel exemple de compromis : ‘« L’Express est un organisme vivant. Ses journalistes sont ouverts au changement, pleinement conscients des impératifs de la concurrence et attentifs aux mutations de la société dans laquelle ils évoluent. Convaincus de la nécessité de subordonner ces exigences aux valeurs, mentionnées plus haut, ils se trouvent associés, notamment par le biais de leur instance élue, à la réflexion relative au devenir de L’Express et aux choix qui en découlent’ ».

Quelles remarques pouvons-nous dresser à l’issue de cette analyse ? La première tient aux nombreux points de convergence qui existent entre les prédications de la charte d’indépendance de L’Express et celle de Munich. Rappelons-nous que Vincent Hugueux nous avait répondu, à son sujet : ‘« A franchement parler, je ne connais pas le contenu de la charte bavaroise’  » 801 . Ces points de convergence portent notamment sur le volet ‘« déclaration des droits’ » mais aussi sur le respect du lecteur et de son droit à être informé, même si la chose n’est pas formulée ainsi. Cela dit, il est explicitement mentionné que ‘« les journalistes de L’Express doivent avoir le souci et les moyens de ne rien entreprendre qui ne soit dicté par le seul intérêt du lecteur et de son information’ ». En revanche, ce qui paraît irréductible, c’est que la responsabilité des journalistes de L’Express vis-à-vis du public prime, certes, mais elle est toutefois encadrée par celle des ‘« chefs de services, de la direction de la rédaction et de celle de la publication »’ et subordonnée aux ‘« devenir de L’Express et aux choix qui en découlent »’. Ce qui ne saurait être le cas dans la Charte de Munich. Cela dit, c’est là un choix clairement assumé par le président de la société des Journalistes, Vincent Hugueux, qui soulignait : ‘« Les journalistes n’ont pas, à mon sens, et quelle que soit la noblesse de la cause, vocation à se substituer à la direction de la rédaction. Dans l’intérêt commun, il me paraît nécessaire de s’assurer que tous les membres de l’équipe partagent des valeurs communes. A cet égard, on peut soutenir que l’initiative d’une charte déontologique revient naturellement à la dite direction »’ 802 .

Même si un certain nombre de dispositions ont trait à des considérations éthiques (rigueur, tolérance, inventivité, etc.), l’essentiel du document de L’hebdomadaire L’Express vise l’indépendance des journalistes vis-à-vis des pouvoirs. Consciente de la difficulté de l’exercice, qui n’est pas seulement un exercice de style, la Société des journalistes à qui revient l’initiative, a volontiers accepté le processus d’intercompréhension et, inéluctablement, celui du compromis.

Notes
800.

Hugueux V., correspondance électronique du 24 mai 2000.

801.

En réponse au questionnaire daté du 26 juin 2000.

802.

Hugueux V., correspondance électronique du 24 mai 2000.