a) Le contexte de judiciarisation de la pratique professionnelle

L’accord relatif à la déontologie des journalistes de France 2 complète en effet les documents qui régissent déjà la profession par un exposé précis de quelques règles de bonne conduite. Nous pouvons noter, d’une manière générale, que cette production a manifestement été motivée par un contexte de judiciarisation de la pratique professionnelle et notamment celui de la loi Guigou renforçant la protection de la présomption d’innocence, loi qui fut définitivement adoptée le 30 mai 2000. Il est intéressant de souligner que, bien avant l’adoption de la loi, les chaînes de télévision tous secteurs confondus, avaient vivement réagi. Un article du Monde titré ‘« Les chaînes de télévision plaident l’autorégulation »’, daté du 13 septembre 1999, relate les réactions a priori des diffuseurs. Ainsi, ‘« les chaînes, qui encourront des amendes de 15243 euros par infraction faite à la loi Guigou, plaident l’autorégulation’ » et soulignent que ‘« si elle était votée, la nouvelle loi risquerait au pire de porter atteinte au droit à l’information, au mieux d’être redondante avec les pratiques déontologiques déjà en vigueur »’. Robert Namias estime, même, que : ‘« si l’arsenal juridique actuel est déjà très important’ » sur les sujets du droit à l’image, de la présomption d’innocence et de la protection de la vie privée, il reconnaît que ‘« objectivement, peu de médias respectent une éthique professionnelle de ce type »’ 822 . A l’évidence, les responsables de France 2 n’ont pas craint ‘« la redondance avec les pratiques déontologiques déjà en vigueur’ » puisqu’ils ont fait le choix d’un accord qui vient compléter les textes existants mais aussi et surtout qui protège le diffuseur de procès coûteux. Ainsi, en dépit du contenu de la loi Guigou, dont il faut souligner la difficulté d’application 823 , la direction et la rédaction de France 2 ont souhaité, d’un commun accord, éclaircir la situation : ‘« Quelles que soient les circonstances, les journalistes doivent éviter de porter atteinte à la dignité de la personne, à son droit à l’image et à sa présomption d’innocence, en France comme à l’étranger’ » ; ‘« la connaissance des termes juridiques, techniques et l’exacte transmission des noms propres, qualités, lieux…doivent rester un souci permanent »’ (article II) ; ‘« S’agissant de l’image, la plus grande attention sera observée chaque fois qu’une personne est reconnaissable à l’antenne’ » (article III). Cet éclairage, à l’aune de la loi Guigou sur le droit à l’image et la présomption d’innocence, peut en effet paraître redondant. Cela dit, au regard des chartes de Munich ou du SNJ ainsi que de l’avenant audiovisuel, ces règles sont complémentaires. Que ce soit La Charte du SNJ ou encore l’avenant audiovisuel de service public, aucune mention n’est faite sur le respect de la dignité de la personne. Quant à la Charte de Munich, elle expédie la chose en une phrase : ‘« s’obliger à respecter la vie privée des personnes’ ». Donc, seule l’interprétation jurisprudentielle est venue nourrir le débat du principe de respect de la vie privée, posé par l’article 9 du code civil, et encadrer la pratique professionnelle. Il est donc étonnant de remarquer avec quel empressement la direction de la chaîne France 2, dans un contexte où la liberté d’informer est rééquilibrée à l’aune des droits de la personne et de sa dignité, aspire à conclure un accord avec sa rédaction. Cet empressement est d’autant plus étonnant que maints événements auraient pu, notamment celui du décès de la princesse de Galles, susciter une telle mise au point. En dépit des doutes qu’il a suscités dès 1999, y compris parmi les magistrats, il semble que ce projet de loi ait été un puissant moteur de la réflexion et de la mise au point d’un certain nombre de règles absentes des chartes et autre avenant 824 .

Notes
822.

Propos de Robert Namias rapportés dans : « Les chaînes de télévision plaident l’autorégulation », in Le Monde, 13 septembre 1999.

823.

Lire à ce propos l’article du Monde, daté du 13 septembre 1999, qui a soumis au cabinet de l’ancienne Garde des sceaux un exercice de style : « Dix photographies célèbres commentées par le cabinet du ministre ».

824.

Dans un article du Monde, daté du 13 septembre 1999, Marie-Thérèse Feydeau, vice-présidente du TGI de Paris déclarait : « Je ne suis pas certaine, compte tenu de l’arsenal juridique dont nous disposons, qu’il soit nécessaire de légiférer dans une matière qui relève d’abord de la déontologie du journaliste ».