4) La Charte d’Antenne de FranceTélévisions : force collective et complicité civique

‘« On ne doit pas régler par les lois ce qui peut l’être par les mœurs disait Monstesquieu. Or en France, on passe son temps à légiférer et à réglementer (…) au lieu d’agir, nous passons notre temps à réfléchir sur la réglementation de l’action. Nous cherchons, non pas comment agir mais comment réglementer les formes d’action, tout en imaginant que, quand la loi est promulguée et le décret pris, les problèmes sont réglés. Là se trouve la cause essentielle du marasme de l’audiovisuel français ’» 825 . Jean Cluzel, ancien vice-président de la commission des finances du Sénat et ancien rapporteur du budget de la communication ne compte manifestement pas sur les lois pour régler les problèmes internes de la télévision. Il l’a dit clairement ‘« plus qu’à la loi, je crois à la décision morale – personnelle et collective – pour modifier le cours des choses’ » 826 . Il n’est apparemment pas le seul à penser ainsi. C’est aussi l’avis d’Emmanuel Derieux qui souligne que ‘« les lois et règlements sont souvent efficaces car les tribunaux sont là pour les faire respecter. Mais ils sont vagues et rigides, et ils peuvent s’appliquer qu’à des fautes graves et claires. Dans le quotidien et à long terme, l’autodiscipline, stimulée par la critique, est un meilleur facteur d’amélioration ’» et d’ajouter ‘« les travailleurs des médias ont donc besoin d’une déontologie, d’un ensemble de règles de conduite, codifiées de préférence, pour inciter chacun d’eux à respecter la morale commune »’ 827 . Il est vrai que la production législative qui encadre la communication audiovisuelle est relativement importante et que ‘« la déontologie pourrait bien souvent prendre la place de règles de droit »’ jugées, par la profession, souvent contraignantes et restrictives. Selon Emmanuel Derieux ‘« les autorités investies du pouvoir de définir et de faire respecter le droit ne sont pas prêtes à abandonner une part de leurs pouvoirs et responsabilités au profit d’une déontologie à laquelle la plupart des professionnels de la communication audiovisuelle n’ont pas, jusqu’ici, montré qu’ils étaient fermement attachés’  » 828 . Or il semble que, deux ans plus tard, les choses aient commencé à évoluer. En effet, en juin 1993, réunie pour un séminaire de réflexion, la hiérarchie rédactionnelle de TF1 a adopté le principe d’un complément à la charte de journaliste qui établirait des ‘« règles de bonne conduite’ ». Le principe d’un tel texte a été adopté par 46 voix pour, 3 contre et 3 abstentions 829 . S’agissant de l’audiovisuel public, un certain nombre d’orientations déontologique et éthique ont pointé dès 1996. Sans cesse réactualisées, ces orientations sont depuis janvier 2001, et avec le regroupement des chaînes publiques au sein d’une seule et même société, rassemblées dans la ‘« charte d’antenne’ » de FranceTélévisions 830 .

Nous disposons de deux documents, l’un présenté comme un rapport d’étape soumis à l’appréciation des syndicats de journalistes, l’autre comme la seconde mouture augurant le projet final d’une charte d’antenne. Le premier constat que nous souhaiterions dresser porte sur des considérations de pure forme. En effet, l’aspect formel du document est relativement atypique. Il se présente comme un mémoire de fin d’études, avec un sommaire, une introduction, des chapitres et autres sections, des notes de bas de pages, des annexes et une bibliographie, le tout sur 55 pages. Il a été manifestement rédigé avec le souci du détail et l’ambition de l’instruction plus que de l’injonction. Le ton est d’ailleurs relativement didactique et rarement catégorique. Des références, nombreuses, à Montesquieu, à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ou encore au Conseil constitutionnel viennent émailler la charte. Et pour ceux qui souhaiteraient approfondir la question, ils peuvent se référer aux ouvrages de Cyril Lemieux, d’Emmanuel Derieux, d’Eric Conan, de Claude-Jean Bertrand ou encore de Jean-Marie Charon, répertoriés en annexes.

La charte d’Antenne de FranceTélévisions s’articule autour de trois grands axes, de proportion plus ou moins égale :

Le préambule, ouvert par une citation de Montesquieu, sert à donner le ton du document qui s’amorce par un bref rappel historique : ‘« La loi de 1881 a organisé la liberté d’expression, dans le même temps qu’elle organisait les pouvoirs publics, l’enseignement et la citoyenneté. Elle reconnaissait la nécessité de ce principe comme nécessaire à la fondation et au fonctionnement d’une république démocratique »’. Liberté et responsabilité sont la charnière du préambule. C’est d’ailleurs autour de ces deux notions que FranceTélévisions entend légitimer sa mission et notamment celles de ‘« protéger les valeurs fondamentales de la société et d’aider ses différentes composantes à vivre ensemble’ ». S’il n’est point de liberté sans responsabilités il est toutefois préciser que ‘«dans un système de règles qui régit un espace de liberté, tout n’est pas codifiable. De plus, les règles peuvent évoluer dans le temps, à la suite d’événements particuliers, avec l’évolution de la législation ou des mœurs’ ». Or à cet égard, le document ne manque pas de rappeler la législation et les mœurs en vigueur qui font, l’un et l’autre, l’objet de maints renvois et autres rappels. Ainsi, s’agissant des mœurs, il est mentionné que ‘« la parité n’est pas seulement une obligation sociale mais un nouveau mode de vie, un phénomène culturel’ » ou encore que ‘« FranceTélévisions veille à ce que son offre de programme témoigne de la richesse et de la diversité des origines et des cultures constitutives de la société française’  ».

Parce qu’elle relève du service public, la société FranceTélévisions met au centre de son dispositif le téléspectateur. Il est sans cesse fait référence à lui d’abord comme citoyen puis comme personne humaine parfois jusque dans ses intimes convictions. FranceTélévisions entend donc répondre à ses besoins démocratiques, présentés comme des besoins vitaux : « insertion sociale ; création de liens ; défense de l’intérêt général et humanitaire ; accompagnement et partage des grandes émotions collectives ; fabrication d’une cohésion forte ; faciliter l’expression de tous, etc. Cela dit, ces missions, qualifiées « d’historiques », ne constituent pas une fin qui justifierait certains moyens car comme il est rappelé : ‘« l’attention portée à l’audience exprime plus une exigence vis-à-vis du public qu’une volonté de performance commerciale’ ». Or il faut dire que la télévision publique est aidée en cela par la perception de la redevance ce qui lui permet, sans aucun doute, d’être moins exposée que ses concurrents et notamment les chaînes privées.

Notes
825.

Cluzel J., « Changer les mœurs non les lois », in Les dossiers de l’audiovisuel, n°36, 1991, p 28.

826.

Ibid., p 29.

827.

Derieux E., « Lois, réglements et codes de déontologie », in Les dossiers de l’audiovisuel, n°36, 1991, p 23.

828.

Ibid., p 24.

829.

Sources « Agences info », janvier 1994.

830.

Lire, au sujet de « la création d’un holding entre chaînes publiques », Le Monde, daté du samedi 11 juillet 1998.