Selon Claude Sales, ancien président directeur général de Télérama : ‘« Directeurs de publication, mais aussi directeurs de rédaction, rédacteurs en chef et encore DRH dans les groupes de presse importants considèrent dans leur ensemble que les écoles ne forment pas ou forment mal les jeunes journalistes qu’ils sont susceptibles d’embaucher »’ et d’énumérer les critiques : ‘« manque de culture générale, ignorance du droit de la presse, savoir-faire insuffisant’ » 836 . L’auteur du rapport ministériel souligne qu’il existe une demande spécifique de formation, exprimée par les employeurs, liée à la spécificité de chaque média voire de chaque titre. Cela dit, ‘« écoles et éditeurs s’accordent sur trois axes : culture générale, pratique du métier (écriture, recherche de l’information, enquête, reportage, souci éthique qui doit irriguer l’enseignement) et spécialisation’ » 837 . Les propos recueillis par François-Xavier Alix auprès des éditeurs de presse abondent dans le même sens, avec des critiques parfois moins feutrées. Ainsi, il ressort de l’enquête que la question de la formation suscite chez les éditeurs des remarques importantes et notamment celle, globale, d’une mise en cause de la compétence des journalistes. Et François-Xavier Alix de citer : ‘« il y a un décalage entre les compétences et les aptitudes que les journalistes devraient avoir et ce qu’on leur donne comme formation’ » estime un éditeur qui discerne ‘« deux pôles de diagnostic : la défaillance majeure des écoles, où on n’apprend pas les responsabilités face à la société ; une défaillance de la profession : s’il existe un métier qui devrait imposer l’exercice d’un tutorat, c’est bien celui du journaliste. Il conviendrait qu’un journaliste expérimenté accompagne le jeune dans sa rencontre de la vie des humains. Si la profession était lucide, elle s’attaquerait à ces deux plaies »’ 838 . L’auteur remarque que « la formation générale et technique dont font preuve les journalistes sortis des écoles professionnelles est jugée « plutôt satisfaisante » mais pour la formation à la déontologie ‘« énormément de choses restent à faire’ » et de citer ‘« les écoles ne sont pas à niveau sur les questions de déontologie (…) la qualité déontologique des journalistes est extrêmement variable (…) il serait nécessaire que « les journalistes aient plus conscience de leurs devoirs »’. L’ancien rédacteur en chef de Ouest-France conclut en interrogeant : ‘« faut il une démarche près des écoles pour qu’elles créent ou densifient les modules de formation initiale ou permanente, susceptibles de renforcer le sens des responsabilités : Réflexion fondamentale sur l’information, le droit, la déontologie ? Une telle démarche n’aurait de sens qu’à l’échelle de la profession »’ 839 . Il est intéressant de noter une certaine contradiction entre les deux enquêtes qui dressent pourtant des constats similaires. Dans le rapport Sales, il est expliqué que ‘« la variété de la presse française a peu à peu créé, de la part des responsables de journaux et magazines, une demande spécifique de formation (…) chacun insiste sur la spécificité de son titre, de sa chaîne de télévision, de sa radio. Il brosse, avec conviction et arguments à l’appui, le type de formation qu’il souhaite pour de jeunes journalistes dans sa rédaction »’ 840 . Ce constat confirme notre analyse des chartes maisons dans lesquelles s’exprime l’identité propre de chacun des médias observés. Cela dit, promouvoir la spécificité de l’entreprise et notamment de sa manière de faire et d’être de sa rédaction est-il seulement compatible avec un discours qui requiert quelques solides principes de déontologie enseignés dans les écoles ? Encore faudrait-il que ces principes soient communs. Et comme le souligne François-Xavier Alix : ‘« une telle démarche n’aurait de sens qu’à l’échelle de la profession »’. Or, qu’observe-t-on ? Les entreprises de presse et audiovisuelles dessinent leurs propres frontières éthiques et déontologiques et dispensent, en leur sein, un discours très spécifique quant aux rapports des journalistes à l’information mais aussi et surtout aux lecteurs. Il réside donc là une contradiction sur les attentes des employeurs et le contenu souhaité de l’enseignement éthique et déontologique. Quelle référence offrir aux écoles, en matière d’éthique et de déontologie ? La question demeure insolvable et ne semble guère inquiéter les futurs journalistes dont Claude Sales souligne le ‘« peu d’enthousiasme à l’égard de ces questions’ » 841 . L’enseignement du droit de la presse, s’il doit être renforcé, ne pose pas, quant à lui, aucunement problème. Ses références sont claires : la loi et la jurisprudence. En effet, que l’on évoque le droit de l’image ou le respect de la vie privée, à Ouest-France ou à France 2, les références restent les mêmes et il n’est pas utile de s’interroger sur le contenu de l’enseignement mais plutôt, comme le remarque Claude Sales, sur ‘« sa mise en musique’ ».
Il semble que ce constat corresponde à un principe auquel le journalisme français reste fidèle : ‘« la profession doit rester ouverte : il n’y pas de condition d’âge, de culture, de diplôme et de formation préalable pour y accéder ’». Comme le remarque Michel Mathien, ‘« la conscience sociale et professionnelle des journalistes dépend de cette modalité dominante de formation qu’est l’entreprise. A savoir cet ensemble socio-technique doté d’une culture propre, d’une histoire, de modes d’actions présentant aussi des conditions de travail et un réseau interne de relations humaines spécifiques que tout journaliste non-diplômé aura le loisir de découvrir pendant sa période de stage »’ 842 . Universitaire, professeur au CUEJ et ancien journaliste de la presse quotidienne régionale, Michel Mathien concède que ‘« les divers aspects pratiques de la déontologie au quotidien sont pris en compte à l’occasion de travaux dirigés (…) et pris en charge par les professionnels »’. Et d’expliquer ‘« on revient à une sorte de formation sur le tas. Les formateurs de statut universitaire n'y participent guère’ » 843 . Plus loin, il souligne par ailleurs que ‘« la réflexion éthique, qui procède d’une pensée globale sur le journalisme ou sur le rôle de l’information médiatisée par des professionnels, est faible »’ 844 . Il n’est pas le seul, parmi les journalistes enseignants, à dresser ce constat. Philippe Meyer, intervenant à Sciences-Po (Paris) reconnaît, lui aussi, non sans une pointe de désolation que ‘« les écoles de journalisme se sont progressivement transformées en lycées supérieurs de journalisme. L’atmosphère y est facilement infantilisante. On y enseigne beaucoup la forme et des « techniques ». On y enseigne trop peu et trop vite l’histoire du journalisme, on y pratique que rarement la comparaison avec la presse internationale, on n’y forme que sommairement et abstraitement à la déontologie »’ 845 . Les exemples de critiques adressées aux écoles de journalisme pourraient se multiplier, mais ce n’est pas là notre propos. Ils servent seulement à motiver et à asseoir notre volonté de comprendre le rôle des formations dans l’apprentissage d’une culture éthique et déontologique des journalistes français. Nous spécifions français tant il est vrai que la formation journalistique, en France, constitue à l’évidence une spécificité, un état d’esprit 846 . Kenneth Starck, professeur à la ‘« school of journalism and mass communication ’» de l’université de l’Iowa souligne dans un article qu’il consacre à la recherche en matière d’éthique journalistique et notamment à son enseignement que ‘« In the 1980s the Hastings Center, with the purpose of stimulating teaching ethics in higher education, published a report about teaching of ethics in United States journalism schools. ’ ‘A survey of 237 journalism schools revealed at the time that of the 171 responding schools 66 offered a specific course in ethics (Christians and Covert, 1980, p12). Subsequent surveys indicate that number has increased such about two thirds of today’s journalism programs offer ethics courses (Keith, 2000, Lee and Padgette, 2000) ’» 847 . Il semble donc que la prise de conscience de l’importance d’un enseignement en matière d’éthique professionnelle des journalistes soit générale et accompagne l’évolution de la formation à la pratique professionnelle journalistique dans de nombreux pays.
Sales C., op. cit., février 1998, p 4.
Ibid., p 19.
Notes personnelles de l’auteur, enquête de la FNPF, 1998.
Nous respectons l’anonymat des citations, souhaité par l’auteur.
Sales C., op. cit, p 15.
Ibid, p 24.
Mathien M. « Formation des journalistes et éthique du métier en France », (sous la dir. de Bertrand C.J.), L’arsenal de la démocratie. Médias, déontologie et M*A*R*S., 1999, p 212.
Ibid., p 214. Pour un rappel historique de la formation des journalistes voir le chapitre « Les vertus de la formation », in Les journalistes en France.1880-1950. Naissance et construction d’une profession, Delporte C., 1999, p 277.
Idem.
Meyer P., op. cit., 1993, p 18.
Pour confronter le modèle de formation française à celui des États-Unis voir les chapitres 14,15,16 de l’ouvrage « L’arsenal de la démocratie. Médias, déontologie et M*A*R*S » (sous la dir. de Bertrand C.J.), pp.191-210.
Starck K., « What’s right/wrong with journalism ethics research ? », in Journalism studies, vol. 2, number 1, 2001, p135.