1) L’apprentissage déontologique : l’exemple du CFJ

Notre réflexion s’est enrichie avec celle de Johanna Siméant qui a fait du centre de formation des journalistes ‘« un laboratoire d’études privilégié des constructions de la déontologie »’ 848 . Son étude, tout à fait originale, interroge l’existence ou non de techniques déontologiques et, si oui, sur quelles représentations du public, des pairs et des sources peuvent-elles s’appuyer ? Johanna Siméant donne d’emblée le ton en précisant ‘« qu’il serait réducteur de limiter la déontologie aux usages discursifs qui en sont faits, tant ils paraissent la cantonner à une rhétorique légitimatrice semblable à celle de l’objectivité ou du professionnalisme’ » 849 . Elle met en exergue plusieurs éléments qui esquissent les contours des mécanismes d’apprentissage de la déontologie. Elle émet l’hypothèse suivante : ‘« la constitution de pratiques déontologiques est liée à un travail de réglage anticipé des relations à l’égard de ces destinataires de la pratique journalistique que sont les lecteurs, les pairs et les sources’ ». Notons que nous retrouvons là les articulations essentielles des chartes que nous avons jusqu’alors analysées. L’auteure explique que ‘« c’est le plus souvent par des sondages, par le chiffre des ventes du journal, parfois par le courrier des lecteurs que les journalistes arrivent à se représenter la relation qui les lie au public’  » 850 . A cela, nous ajoutons les documents internes à l’entreprise, qu’ils s’agissent de guide de la rédaction ou autre fondamentaux, qui participent largement à faire connaître, parfois même dans les moindres détails, les relations, en tous cas supposées, des journalistes à leurs lecteurs. Selon Johanna Siméant ‘« la plupart des techniques déontologiques consistent en fait à marquer à la fois la dépendance du journaliste à l’égard des pôles qui organisent le monde du journalisme (sources, pairs et lecteurs) et à incarner une exigence de distance égale entre ces pôles ’» 851 . C’est la raison pour laquelle l’auteure parle de ‘« réglage anticipé’ » comme dispositif central de l’apprentissage déontologique. Or il nous semble que c’est au cœur de ce constat que réside le problème. Car si en effet l’apprentissage déontologique passe par un réglage anticipé des relations professionnelles, celles-ci sont automatiquement ‘« reconditionnées’ », selon l’expression de Michel Mathien, dès l’entrée dans l’entreprise. Les mécanismes d’apprentissage de la déontologie procèdent donc d’une double médiation, aux réglages professionnels évolutifs et aux conceptions de la déontologie réifiées. Il n’est pas sûr que l’exigence de distance égale entre les trois pôles (lecteurs, sources et pairs), garante de la crédibilité de la profession, sera appréhendée de la même manière dans les médias. L’analyse des chartes et autres documents prouvent même le contraire et ce notamment vis-à-vis du rapport au lecteur que doit entretenir le journaliste. Or, c’est sur ce point précis, des ‘« réglages anticipés ’» qu’inculquent les écoles aux futurs journalistes, que réside un décalage entre la formation et l’entreprise. Car enfin, si l’entreprise intègre ces trois pôles, lecteurs, sources et pairs, elle insiste sur un quatrième pôle, dont le réglage ne peut être anticipé à l’école : l’entreprise et son image.

Notes
848.

Siméant J., « Déontologie et crédibilité. Le réglage des relations professionnelles au CFJ », in revue Politix, n°19, 1992, p 37.

849.

Idem.

850.

Ibid., p 38.

851.

Idem.