1) L’apprentissage de la déontologie : une définition aux contours flous

Il est intéressant de noter, d’emblée, la diversité des intitulés ainsi que des approches de la pratique éthique et déontologique de la profession de journaliste. Tantôt il s’agit de déontologie des médias, tantôt de la presse, des journalistes ou encore de l’information. Seules les approches de l’ESJ de Lille et du CELSA semblent se démarquer. L’une et l’autre de ces formations proposent de greffer la sensibilisation des journalistes à la déontologie et à l’éthique à deux éléments distincts mais essentiels de leur pratique. Pour l’ESJ de Lille la question procède d’une articulation entre la place et le rôle du journaliste au regard de l’entreprise. Cette approche consiste à mettre en exergue les moyens d’action de la responsabilité du journaliste dans l’entreprise via la société des rédacteurs, l’élaboration de chartes rédactionnelles ou encore la participation à la ligne éditoriale. La visée est certes utilitariste mais colle indéniablement aux préoccupations des employeurs en la matière. S’agissant du CELSA, le choix est fait d’aborder les questions de déontologie en étroite relation avec le droit de la presse. L’intérêt d’une telle approche réside dans l’adéquation certaine avec les documents produits par les médias qui mélangent volontiers les questions d’éthique et de déontologie avec celle du droit de la presse et notamment la loi du 29 juillet 1881. Cela dit, l’ESJ de Lille comme le CELSA concèdent que la formation et la sensibilisation à l’éthique professionnelle passent aussi par des débats suscités par tel ou tel traitement de l’information jugé discutable. C’est d’ailleurs là, l’un des mécanismes d’apprentissage les plus usités. En effet, nombreuses sont les écoles ou autres centres de formation à aborder la question de la déontologie à l’occasion de travaux pratiques ou de travaux dirigés. Or, à défaut de référence commune, sur laquelle ‘« une réflexion éthique qui procède d’une pensée globale sur le journalisme ou sur le rôle de l’information médiatisée’ » pourrait se greffer, les exemples se multiplient et cèdent la place au libre arbitrage à géométrie variable 869 . Comme le souligne Soizic Bouju, directrice des études de l’ESJ de Lille ‘« une fois les principes posés, les arguments exposés, les débats écoulés, l’individu reste le seul maître de son choix et de son comportement, quels que soient l’entreprise, le poids des confrères, le regard des pairs et, dans le meilleur des cas, la réaction des lecteurs…’ » 870 . Au libre arbitrage, fondement de l’éthique professionnelle, d’autres apportent sinon un point de vue du moins un sentiment. Ainsi, Patrick Dombrosky, directeur de l’ESJ Paris livre sans ménagement le sien : ‘« Moi, mon sentiment, c’est que ça n’intéresse pas les futurs journalistes. Les journalistes considèrent, moi je vous donne les commentaires que j’entends des étudiants, quand ils ont ces examens à passer en fin d’année, que c’est du temps perdu (…) ce sont des choses qui enquiquinent beaucoup, sur lesquelles les professeurs ont des exigences qui ne sont pas les mêmes ’» 871 . Il en va aussi ainsi des propos d’un ancien étudiant de l’IUT de Bordeaux qui, à l’occasion d’un forum électronique, répond à la question : ‘« Quelles dérives journalistiques observez-vous autour de vous ?’ Et l’ancien étudiant, devenu journaliste, de répondre : ‘« J’aime pas cette question. Je la trouve totalement idiote. La déontologie, c’est une question de moyens financiers, rien d’autre. Alors des dérives déontologiques, y’en a partout. Ca me fait penser à ce prof de SR (secrétariat de rédaction) à l’IUT qui disait « la déontologie, je m’assois dessus ». Trois ans après l’IUT, moi aussi je m’assois dessus ’» 872 .

Notes
869.

Mathien M., op. cit., 1999, p 215.

870.

Bouju S., réponse à notre questionnaire datée du 15 mai 2000. Voir annexe. Notons que nous retrouvons ici deux des principaux pôles de référence mis en exergue par Johanna Siméant : les pairs et les lecteurs, auxquels Soizic Boujou a ajouté « l’entreprise ».

871.

Dombrosky P., interview téléphonique datée du 10 avril 2000, voir annexe.

872.

Site de l’IUT de Bordeaux, rubrique « quels dérives journalistiques observez-vous autour de vous ? », réponse datée du 16 octobre 2002.