2) Le point de vue des étudiants de journalisme

Ces remarques mériteraient que soit menée une enquête auprès des futurs journalistes car s’il l’on se réfère, à nouveau, aux travaux de Johanna Siméant, il semble qu’au CFJ, les étudiants prennent la chose au sérieux mais n’hésitent pas à la tourner en dérision voire à la rejeter lorsqu’il s’agit de ‘« bla bla déontologique’ » 873 . L’auteure a adressé un questionnaire aux étudiants et, a posé la question suivante : ‘« un journaliste sans déontologie peut-il être un bon journaliste ?’ ». Johanna Siméant prend la précaution de préciser, en notes de bas de page, ses motivations à poser une question formulée de cette manière : ‘« c’est précisément le type de motivations apportées à une réponse négative qui nous intéressait, afin de comprendre au nom de quoi la revendication déontologique pouvait être élaborée et revendiquée’ » 874 . Les réponses sont explicites :

Nous pouvons faire deux constats à l’épreuve de ces réponses. Nous constatons, d’une part, que la déontologie est consubstantielle à l’identité même du journaliste. En effet, à l’exception de la dernière réponse, les deux premières posent la déontologie du point de vue de l’être (être journaliste) et non du faire. D’autre part, il est manifeste que les futurs journalistes cernent difficilement cette notion qui apparaît lointaine dans leur discours : ‘« qu’elle s’appelle déontologie ou autre chose ’» ; ‘« Une certaine déontologie’ » ; ‘« n'ayant aucune déontologie’ » laissant à penser qu’il y en a plusieurs. Enfin, il semble qu’il y ait une prise de conscience des responsabilités qui incombent à un journaliste et qui lui imposent une certaine manière d’être. Mais, de là à ce qu’elle soit enseignée…Et Johanna Siméant de conclure : ‘« C’est ainsi la labilité même de cette notion de déontologie, toujours revendiquée mais rarement définie de manière positive, qui permet l’appropriation et le travail opéré sur la représentation du groupe des journalistes, comme si la polysémie de cette catégorie était précisément au principe de son instrumentalisation par des agents tendant à se démarquer de concurrents ’» 876 . Cette conclusion émise à l’issue d’une enquête auprès d’un des principaux centres de formation de la pratique journalistique augure parfaitement la manière dont l’univers organisé de l’entreprise prendra le relais de ce travail de représentation et d’instrumentalisation, avec ce même souci de se démarquer des concurrents.

L’enseignement de la déontologie ne semble donc pas faire l’unanimité tant du point de vue des élèves que des enseignants. Pour Michel Sarazin, ne pas l’enseigner c’est respecter la tradition de l’école qui a toujours fonctionné sur le principe d’un système de valeurs emprunté à la charte de 1918. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, le CFJ a mis en place, pour l’année 1991-1992, un cours de déontologie qui, manifestement, a suscité beaucoup d’ironie auprès des élèves : ‘« Au CFJ, ils défendent une morale. (…) J’ai jamais bien réagi. Ils vendent l’aspect déontologie, ils se mettent en valeur. C’est le côté mythe Philippe Viannay, le père fondateur, le grand résistant’ ». Les enseignants, aussi, demeurent dubitatifs : ‘« La déontologie est-ce que ça s’apprend ? Oui, je crois que…enfin… je crois que ce peut s’apprendre c’est…(…) la formation au CFJ de ce point de vue là, elle est multiple, il y a à la fois l’apprentissage d’une certain nombre de règles et de lois tout simplement (…) oui je crois que la déontologie ça s’apprend ça se pratique’ » 877 . Les avis divergent car Michel Sarazin, l’actuel directeur du CFJ, considère, au contraire que ‘« la déontologie n’est pas un savoir, c’est un système de valeurs et qu’un système de valeurs, ça ne s’enseigne pas ».’ A noter, dans la même veine, que le cours de déontologie qu’avait mis en place Hervé Nedelec à l’EJCM n’a pas été renouvelé après son départ de l’école, en 2001, et a même été remplacé par un cours de ‘« droit des médias’ ». Les questions de déontologie n’ont, sans doute, pas été jugées prioritaires.

Notes
873.

Siméant J., op. cit., p 46.

874.

Ibid., p 15.

875.

Ibid., p 54.

876.

Ibid., p 55.

877.

Ibid., p 46.