Conclusion relative à l’enseignement de la déontologie : le décalage des points de vue

Il ne nous revient pas de porter un jugement mais il apparaît évident qu’avant même d’aborder le contenu d’un possible cours de déontologie, il y a déjà à s’entendre sur ce que l’on entend par déontologie, notion qualifiée de ‘« canonique’ » par Johanna Siméant. Or le problème de sa définition et de son contenu est aussi à l’origine de la controverse sur la qualité de son enseignement souvent jugé insuffisant 878 . Nous avons, à cet égard, posé la question aux responsables des différentes formations : ‘« Pensez-vous que les futurs journalistes sont suffisamment sensibilisés à la question de l’éthique professionnelle ?’ ». Les réponses sont pour la plupart affirmatives, parfois nuancées et, surprenant, souvent rapportées à l’établissement qui forme les futures recrues. Et ce, en dépit de la formulation volontairement généraliste de notre question. Preuve, s’il en était, qu’il règne un esprit de concurrence notamment à l’égard des journalistes qui ne sont pas issus des écoles mais aussi que la concertation entre les différentes formations, sur ces questions précises, n’a pas abouti. Pour Patrick Dombrosky, le doute subsiste : ‘« Nous, on essaie (…) Ils le sont probablement…En tout cas pour nous, on fait ce qui nous paraît suffisant’ ». L’ESJ de Lille abonde dans le même sens, via les propos de sa directrice des études : ‘« ils me paraissent l’être dans notre établissement »’ et d’ajouter ‘« Les jeunes journalistes diplômés de l’ESJ sont donc extrêmement sensibilisés, ils n’en sont pas pour autant « vaccinés ». Seuls le terrain, la pratique et les leçons qu’ils permettent finissent de vous proposer et vous imposer des valeurs comportementales’ ». Franck Demay, directeur des études de l’EJT répond aussi par l’affirmative en rappelant, au passage, que ‘« les futurs confrères sont suffisamment sensibilisés à ces questions, grâce à l’école de journalisme mais aussi par l’intermédiaire de nombreux stages et CDD qu’ils effectuent en entreprise de presse’ » 879 . La directrice de l’IUT de Bordeaux est, quant à elle, catégorique. La réponse est ‘« Oui’ » et ne souffre d’aucun commentaire supplémentaire. Pascal Guenée, directeur de l’IPJ, est aussi, à sa manière, catégorique : ‘« oui pour les journalistes sortant d’école, non pour la grande masse des journalistes qui peuvent obtenir leur carte de presse sans jamais avoir entendu parlé de déontologie ’» 880 . C’est là une façon de faire reconnaître le rôle prépondérant de l’IPJ en matière de formation notamment déontologique mais aussi de nier la capacité de l’entreprise à fournir des repères éthiques et déontologiques à ceux qui sont ‘« formés sur le tas ’». La réponse de Claudine Ducol, responsable de la formation presse écrite à l’IUT de Tours, est intéressante. Elle précise : ‘« ils le sont quand on leur en parle’ ». Cette quasi-lapalissade témoigne finalement du peu d’intérêt des étudiants pour la réflexion éthique qu’il s’agit ‘« d’inscrire dans l’observation quotidienne des médias »’, selon l’enseignante 881 . A l’instar de la directrice de l’IUT de Bordeaux, Hervé Nedelec, ancien professeur à l’EJCM, muté depuis notre enquête, adresse une réponse laconique : ‘« jamais suffisamment’ » 882 . Enfin, Michel Sarazin répond lui aussi ‘«qu’ils ne le sont jamais trop… »’ et de préciser ‘«… mais le sont plutôt pas mal, en tout cas pour ceux que nous voyons dans une école comme la nôtre’ ».

Nous avons été étonnés de constater le décalage entre le point de vue des employeurs sur la formation déontologique des jeunes journalistes et celui, majoritairement positif et satisfaisant, des directeurs et autres responsables d’écoles. Notre étonnement a porté aussi sur la grande variété des intitulés de cours de déontologie (de l’information, de la presse, des journalistes, des médias) qui n’implique évidemment pas la même réflexion. Cette question mériterait une analyse plus approfondie tant les questions restent nombreuses. Il serait notamment intéressant de savoir le rôle joué par les instances professionnelles dans l’attribution et le renouvellement de l’agrément, procédure qui doit donner lieu à une confrontation. Il serait par ailleurs judicieux de connaître les documents offerts comme références aux élèves : charte du SNJ, charte de Munich ou toute autre charte. Enfin, la réflexion qu’a menée Johanna Siméant auprès du CFJ mériterait d’être transposé à l’ensemble des écoles et autres instituts car elle permettrait de mieux cerner les mécanismes d’apprentissage déontologique mis en place par les écoles de journalisme en France 883 .

Notes
878.

Voir l’enquête de la FNPF conduite par François-Xavier Alix, citée plus haut.

879.

Demay F., correspondance électronique datée du 8 avril 2003, voir annexe.

880.

Guenée P., correspondance électronique datée du 7 février 2003, voir annexe.

881.

Ducol C., réponse au questionnaire datée du 4 avril 2000, voir annexe.

882.

Nedelec H., réponse au questionnaire datée du 28 mars 2000, voir annexe.

883.

Une vaste enquête est en cours de réalisation à la faculté des sciences de l’information de l’université « Complutense » de Madrid. Sous la direction de Jesus Diaz Del Campo et financée par le ministère espagnol de la Culture et de la Communication, cette enquête porte précisément sur l’enseignement de l’éthique journalistique et médiatique à travers les formations des différents pays de l’union européenne. Un questionnaire de trois pages a été adressé aux professeurs concernés (voir Annexe). Selon Jesus Diaz Del Campo, cette enquête devrait s’achever d’ici la fin de l’année 2003 et les résultats adressés à tous les professeurs qui ont eu la bienveillance d’y répondre.