1) La chambre unique de la presse : vers une véritable réforme ?

Si la profession ne manifeste aucune prise de conscience à cet égard en laissant la loi faire son œuvre pour mieux en dénoncer les abus ultérieurement, ce n’est pas la voie suivie par les magistrats qui tentent, au contraire, d’apporter ‘« une garantie de compétence, d’expérience et d’appréhension du droit de la presse »’ 903 . Cette garantie est celle apportée par la chambre unique de la presse, dite la 17ème chambre, mise en place le 1er octobre 1999 et dont la compétence territoriale se restreint aux affaires parisiennes. Dans l’esprit de ses promoteurs, la chambre unique de la presse, abritée par le TGI de Paris, répond à une nouvelle organisation unificatrice des diverses formations de jugement spécialisé en matière de presse mais aussi et surtout à un souci de ‘«sécurité juridique ».’ L’originalité de cette chambre unique, avec un greffe unique et ses composantes pénale, civile et référé, ‘« a consisté à affecter dans ses trois composantes les mêmes magistrats soit quatre présidents et six juges’ » 904 . L’intérêt majeur de la chambre unique de la presse, considérée d’utilité sociale, est d’ordre symbolique. Selon Christophe Bigot, avocat au barreau de Paris, elle symbolise ‘« la place assignée à la liberté de la presse’»et d’ajouter ‘« il est indispensable que la liberté de la presse soit confiée à des magistrats spécialisés qui sauront maintenir les grands équilibres’ » 905 . Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette création n’a pas ou peu suscité d’écho médiatique alors même qu’elle constitue une mesure d’administration judiciaire qui vise à accompagner la tendance générale très protectrice à l’égard de la liberté d’expression.

Cette question mériterait bien des développements notamment au regard des réactions des éditeurs de presse à l’égard de l’évolution de l’environnement juridique. Nous en avons noté une, dans un éditorial rédigé par François-Régis Hutin et publié dans Ouest-France le 4 septembre 1999. Le titre ‘« Images : respect et liberté »’ augure déjà le problème soulevé. Cet éditorial intervient en pleine discussion autour du projet de loi Guigou sur la présomption d’innocence. L’attaque de l’article campe le contexte médiatique : ‘« Menace sur la photo de presse, titrait récemment Le Figaro, relançant la protestation de Paris Match contre le projet de loi Guigou qui renforce la législation sur la publication des photographies et les prises de vues. Qui ne serait pas d’accord avec l’esprit qui inspire ce projet ? »’ Et de poursuivre ‘: « il est évident qu’il importe de protéger la vie privée, d’éviter de choquer les spectateurs, de ne pas attenter à la dignité des personnes. (…) Mais pour autant, faut-il légiférer sur une telle question ? Faut-il là encore, modifier la loi de 1881 ou en diminuer l’effet par des lois supplémentaires ? (…) Mais il nous semble que la loi n’a pas à se substituer à la déontologie et qu’il importe que chacun puisse assumer totalement ses responsabilités (…) »’ 906 . Nous ne soupçonnons pas François-Régis Hutin de mauvaise foi tant il est vrai que le respect de la dignité des personnes inscrite dans la charte des faits-divers de Ouest-France est un des éléments essentiels de la déontologie du quotidien breton. Cela dit, opposer la loi et la déontologie, suppose pour le lecteur de l’éditorial, que l’ensemble de la profession en soit doté. Ce qui n’est évidemment pas le cas. Si les éditeurs de presse ne peuvent défaire ce que la loi a fait, il leur reste toutefois l’opportunité d’accompagner la garantie de compétence que leur offre l’administration judiciaire en proposant aux magistrats une lecture uniformisée et non éclatée d’une éthique professionnelle commune à l’ensemble de la profession.

Notes
903.

Coulon, in actes du colloque « Le droit de la presse en l’an 2000 », Forum Légipresse, 1999, p 14.

904.

Idem.

905.

Bigot, in actes du colloque « Le droit de la presse en l’an 2000 », Forum Légipresse, 1999, p 21.

906.

Hutin F.R., «Images : respect et liberté » in Ouest-France, 4 septembre 1999.