Conclusion

Mettre à jour les manifestations discursives de l’éthique professionnelle des journalistes, telle était la visée de ce travail. Nous sommes partis du constat selon lequel l’analyse descriptive des pratiques journalistiques ne permettait que partiellement l’observation des manifestations d’une éthique professionnelle. C’est donc dans les discours même des acteurs de la profession que nous avons cherché à combler cette incomplétude et à dégager une représentation normative d’un espace de travail, celui du journalisme.

Notre choix a tout d’abord porté sur les discours des corps intermédiaires de la profession, syndicats de journalistes et fédérations patronales desquels il a été extrait un espace, réservé, de délibération éthique 909 . Il nous a paru essentiel d’interroger la rhétorique syndicale et plus précisément les moyens argumentatifs conçus dans la perspective stratégique de négocier une représentation normative partagée de la profession. Interrogation qui portait sur la rationalité syndicale et qui exigeait de mettre en perspective ses effets idéologiques sur les questions d’éthique professionnelle.

Nous avons aussi fait le choix de donner des fondements historiques à notre réflexion, en considérant l’intériorisation de normes comme un processus dont nous avons fait remonter les origines au XVIIe siècle. Ce processus de moralisation a largement précédé celui de la professionnalisation et a permis, à la profession naissante, de se doter d’un fonds commun de valeurs empruntées, à l’époque, aux différentes figures de l’écrivain : honnête homme, homme de vérité et écrivain patriote. Nous avons souligné, à l’occasion, les différentes formes d’éthique qui s’imposaient à la pratique. Ce fut d’abord, avec Théophraste Renaudot, une éthique de la vérité. Plus tard, avec le développement des feuilles littéraires, autour des années 1750, la critique se fait de plus en plus présente. Une nouvelle forme d’éthique, celle de la prudence, accompagne désormais une éthique de la vérité. Quand émerge sur la scène publique la génération des encyclopédistes, c’est une véritable exigence de dignité qui s’impose à tous les gens de lettres. Une dignité qui va rapidement se confondre avec l’indépendance d’esprit comme une nouvelle éthique de la pratique journalistique. C’est avec la Révolution que le sort du journalisme est définitivement scellé à l’une des grandes exigences du métier : la recherche de la vérité. Au XIXe siècle, c’est un tournant essentiel qui a marqué le processus de moralisation. Avec la promulgation de la loi sur la liberté de la presse, qui fut la première pierre portée à l’édifice de la construction de la profession, le débat sur les questions d’éthique s’est déplacé. Les passions intellectuelles qui avaient prévalu au XVIIIe siècle et suscité une dénonciation externe des pratiques journalistiques cèdent progressivement la place à une dénonciation interne, quasi professionnelle. Le sentiment de réprobation de certains actes marqués comme non-éthique émerge, cette fois-ci, de la communauté journalistique, rassemblée sous la bannière d’une pléthore d’associations de journalistes. Les tentatives d’imposer des règles de bonne conduite, au-delà des clivages politiques exacerbés à l’époque, sont nombreuses. Certes, elles ne constituent pas une priorité, mais elles témoignent d’une véritable exigence de dignité. C’est l’événement inattendu de l’affaire Dreyfus qui va permettre la réconciliation du journaliste avec l’homme de vérité. En luttant comme nul autre pour la vérité et la justice, Zola offre au journalisme un prestige rarement atteint jusque là. Le combat d’un seul rejaillit alors sur tous et donne un contenu moral inégalable à la démarche journalistique. Les valeurs de ce combat, laissées comme héritage à la profession, ont largement inspiré les fondateurs du SNJ. Alors même que la profession de journaliste amorce son processus de professionnalisation qui, jusqu’alors, pâtissait d’une dispersion certaine, les membres du SNJ font le choix de s’imposer par la toute première tentative de codification : le code d’honneur du journalisme. C’est à cette période que le processus de moralisation rejoint celui de la professionnalisation et ce, bien au-delà de la création du statut de journalistes, le 29 mars 1935. Les deux processus sont désormais totalement imbriqués et constituent le noyau dur de l’assemblage identitaire du journaliste. Ce schéma idéal va pérécliter au sortir de la seconde guerre mondiale. Le SNJ perd le monopole de la représentation, pas seulement normative, du journalisme et doit désormais composer avec d’autres syndicats de journalistes et l’état. L’opportunité de clore le processus de moralisation des journalistes est unique. En effet, l’ensemble des acteurs, qu’ils s’agissent de l’état, des patrons de presse ou des journalistes, s’accorde à reconnaître la nécessité, certes de purifier la profession, mais aussi et surtout de lui fixer de nouveaux repères en matière d’éthique et de déontologie. Les tentatives de codification furent nombreuses mais ont toutes échoué. La raison d’un tel échec tient sans doute au schéma qu’a imposé le SNJ durant plusieurs décennies. En défendant l’idée qu’il faut codifier une morale professionnelle et s’y référer pour exclure les journalistes indignes, l’enjeu fut d’abord, pour les journalistes salariés du début du siècle, de restreindre l’accès au marché du travail aux pigistes qui les concurrencent. En d’autres termes la morale professionnelle n’est pas née que de préoccupations morales. Ou plus exactement, ces préoccupations morales ont été directement articulées à des préoccupations matérielles. Défendre un ethos professionnel, une certaine conception du travail journalistique et ses intérêts matériels, formèrent un tout. C’est la raison pour laquelle, durant la période qui a succédé à la seconde guerre mondiale, il s’est agi d’investir le champ de la représentation normative des journalistes pour y occuper une place stratégique : verrouiller l’articulation entre intérêts matériels et moraux qui fut, jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’œuvre du SNJ.

L’approche processuelle de la moralisation et de la professionnalisation du journalisme, à laquelle la première partie de ce travail est consacrée, a donc permis de mettre en exergue le lien dynamique entre le souci moral des acteurs, dont témoignent leurs discours mais aussi leurs attitudes, et les luttes de pouvoir dans lesquelles ils sont pris. Dès lors, notre démarche inspirée notamment des approches sociologiques des groupes professionnels a consisté à s’interroger sur les liens entre les discours, où s’esquissent un projet déontologique, et les systèmes d’interdépendance dans lesquels sont pris leurs auteurs, au premier rang desquels les syndicats de journalistes et les fédérations patronales des entreprises médiatiques. C’est là tout l’objet de notre seconde partie.

L’analyse discursive des stratégies syndicales et patronales d’imposition de la représentation normative de la profession et de disqualification de l’adversaire, entendu dans une acception sémiotique, a révélé l’usage stratégique de la défense des intérêts moraux.

Politique, d’abord, parce qu’il s’est agi, pour les syndicats de journalistes mais aussi les fédérations patronales, d’organiser, voire de maîtriser la représentation normative d’un groupe professionnel, organisation qu’il y a lieu d’opposer comme autant d’espace d’autonomie face à l’adversaire. Alors même que l’éthique professionnelle pourrait être envisagée comme un puissant élément fédérateur, déterminant une identité et une prise de conscience collective, elle devient dans le cadre de la revendication syndicale, un élément de division et de confrontation. Division entre les syndicats de journalistes qui sont incapables de transcender leurs divergences et esquisser un projet commun sans y voir le risque de perdre leur indépendance et avec elle leur identité. Division encore, lorsqu’il s’agit de partager les responsabilités entre les acteurs concernés : les syndicats, les journalistes, le patronat et l’état. Cette incapacité syndicale à produire des normes collectives au nom de l’autonomie ruine en même temps toute revendication d’une unité professionnelle, fondatrice du fait syndical, et accentue le phénomène d’éclatement des repères.

Idéologique ensuite, car, comme l’a démontré l’analyse des modalités, le journaliste ‘« ne sait pas »’, ‘« ne peut pas’ » et se voit délivré de la charge de penser et d’agir par lui-même, en dehors de toute représentation syndicale. Seul le devoir de s’unir autour de l’action syndicale lui est présentée comme un devoir. Cet usage idéologique de l’éthique professionnelle, comme objet du discours, permet aux syndicats d’asseoir une conception de la pratique journalistique, présenté comme un espace à l’intérieur duquel il est possible de débattre mais qui, in fine, justifie le pouvoir de la représentation normative. Il rend possible la prise de parole syndicale, au nom de la défense des intérêts moraux de la profession, et sa confiscation puisque ni le journaliste, caractérisé par son impuissance, ni le patronat, désigné comme l’adversaire, sont légitimés à le faire. Les procédés de disqualification, qu’ils s’agissent des autres syndicats, du patronat ou encore de l’état, mis à jour dans les discours syndicaux témoignent aussi de l’autorité qu’entendent justifier les syndicats de journalistes.

Il en résulte, pour les journalistes, dont la plupart n’est pas syndiquée, une situation de dépossession que l’on constate déjà au niveau des entreprises médiatiques mais aussi une difficulté croissante à identifier des normes partagées et légitimées au niveau professionnel. Cette configuration offre aux organisations patronales une occasion unique de neutraliser le discours syndical, d’une part, en imposant sa conception d’une éthique professionnelle au nom d’un certain nombre de valeurs qui transcende la communauté journalistique, et, de l’autre, en feignant la discorde. Alors que les syndicats de journalistes pointent naturellement la responsabilité patronale dans les dérives journalistiques (c’est la faute à), les discours patronaux s’en exonèrent par une mise en adéquation de leur affirmation avec l’opinion générale (c’est au nom de) 910 . Cela dit, cette feinte va bien au-delà de la stratégie de légitimation puisque toutes les organisations patronales considèrent l’entreprise comme le lieu de la prise de décision en matière de définition d’une éthique. Or désigner l’entreprise d’information comme espace de négociation, c’est d’emblée soumettre l’échange à un rapport de pouvoir 911 . Le choix est délibéré : C’est l’autorégulation qui prévaut au sein de chaque entreprise et qui conduit inéluctablement à l’éclatement de l’unité professionnelle en une multitude de référents, notamment normatifs.

Les manifestations de l’éthique professionnelle des journalistes dans les discours syndicaux et patronaux constituent de véritables révélateurs de l’état des relations sociales au sein de la profession mais aussi des rapports de pouvoir dans lesquels les acteurs sont pris 912 . Notre analyse a mis en exergue deux éléments essentiels du débat : D’une part, la question de l’éthique professionnelle, parce qu’elle éponge aussi un certain nombre de considérations matérielles, mobilise tous les acteurs, quelles que soient leurs positions. Au même titre que les conditions de travail ou de rémunération, elle constitue un véritable enjeu. D’autre part, la frontière qui sépare, sur cette question, les deux univers discursifs analysés, est finalement ténue. Elle tient plus à des considérations matérielles qu’à des préoccupations éthiques ou déontologiques sur lesquelles, finalement, la plupart des acteurs s’accorde. Enfin, il est intéressant de souligner que si les syndicats de journalistes sont dans une situation croissante de dépossession, les organisations patronales ne le sont pas moins puisque le lieu par excellence de la représentation normative est l’entreprise. Ceci explique donc la difficulté des représentants du pôle patronal à s’exprimer ‘« au nom de ’» car enfin, chaque entreprise médiatique possède sa propre ‘« vocation déontologique’ », en dehors des discours des fédérations. Ce transfert de responsabilités nous a amené à poursuivre notre recherche autour des productions normatives des entreprises et à interroger le phénomène dans une perspective systémique.

Ce qui prévaut pour les syndicats de journalistes qui font un usage stratégique, dans leur discours, de l’éthique professionnelle, prévaut aussi pour les responsables des entreprises d’information. En effet, si pour les premiers il s’agit de défendre l’indépendance et l’identité syndicales, pour les secondes, c’est aussi au nom de la protection de l’identité d’une entreprise, comme garantie de pluralisme, que l’on affiche un projet éthique. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle Jules Clauwaert a abouti à l’issue de son analyse des chartes rédactionnelles. Notre analyse rejoint ce constat. A travers ces productions s’expriment une sensibilité et une conception stratégiquement orientée de la responsabilité des médias à l’égard du public. Cela dit, l’élaboration de chartes procède aussi d’une volonté d’asseoir à l’interne un système d’autorité qui vient légitimer le lien de subordination. C’est donc l’institution d’une double médiation qui préside à ces élaborations : d’une part entre l’entreprise et ses journalistes et, d’autre part, entre l’entreprise et l’espace public.

Mettre en place une charte, c’est aussi anticiper son environnement qu’il soit technologique, politique ou juridique. La démarche ici relève d’une stratégie d’adaptation et de protection, bref de maîtrise du contexte dans lequel l’entreprise évolue. C’est là un des ressorts essentiels de l’instauration d’une charte. Il s’agit, indistinctement, de pallier les éventuelles dérives liées aux nouvelles capacités qu’offre la technologie mais aussi d’éviter les conflits à l’interne (en encadrant la pratique) et à l’externe (en offrant une référence). C’est la raison pour laquelle, nombreuses sont les chartes qui anticipent la pratique journalistique en focalisant leur contenu sur le traitement du fait-divers, souvent à la source d’une procédure judiciaire.

L’analyse comparative des chartes a d’ailleurs révélé l’importance accordée non pas à la manière d’être du journaliste, mais à sa manière de faire, particulièrement dans le traitement du fait divers, objet de toutes les attentions. Dès lors l’éthique professionnelle est saisie autant comme un principe d’action que d’anticipation. Si certaines entreprises se cantonnent aux seuls faits divers, d’autres élargissent l’encadrement de la pratique journalistique à toutes les rubriques. Elle fait l’objet d’un recensement détaillé de ce qu’il faut faire et de ce qu’il ne faut pas faire, voire même de ce qu’il serait souhaitable de mentionner. Il en résulte une très grande élasticité des exigences légitimées soit par le respect de la personne, soit par la nécessité de coller aux habitudes de lecture, soit enfin par les deux. L’inscription d’une éthique professionnelle, dès lors qu’elle se justifie par ce qu’il est appelé communément ‘« le contrat de lecture’ » ou ‘« le contrat social’ » 913 , conduit bien souvent à une ‘«satisfaction démagogique des attentes du public’ ». Elle n’est plus une visée, au sens ricoeurien du terme, mais une stratégie au service ‘« d’une soumission désenchantée’ » 914 . Certains titres restaurent, au contraire, le rôle du journaliste en lui conférant une responsabilité à part entière. S’il demeure un exécutant, sa marge de manœuvre est toutefois moins asservie au contrat de lecture. Cette attitude est surtout valable dans les titres qui jouissent d’une identité très forte et qui n’ont aucun rapport de proximité avec leur lecteur. Ce n’est plus le lecteur mais la ligne éditoriale qui devient la mesure de toute chose 915 . Les caractéristiques d’une entreprise médiatique, notamment son rapport au public, conditionnent donc largement la représentation normative de la pratique journalistique. Si elle sert à anticiper puis à se protéger d’éventuels conflits, cette vocation déontologique n’en demeure pas moins l’expression du pouvoir de la direction sur les journalistes dont l’autonomie est réduite à la portion congrue. Cette expression fait l’objet de multiples justifications parmi lesquelles, le respect dû aux lecteurs ou aux téléspectateurs et, pour les plus lucides, non pas la recherche du profit mais ‘« l’équilibre économique de l’entreprise’ ». Cela dit, s’il se légitime aussi, et de manière générale, par le lien de subordination, ce pouvoir exercé à l’endroit des journalistes est aussi motivé par la remise en cause de la formation déontologique des journalistes. Ici, ce sont clairement les écoles de journalisme qui sont visées. L’analyse des réponses aux questionnaires, adressés aux différents responsables des écoles, témoigne pourtant d’une préoccupation certaine à l’égard de cette question. Elle constitue d’ailleurs une obligation d’enseignement pour obtenir l’agrément des écoles reconnues par la profession. Comme les entreprises, les écoles sont obligées de coller aux exigences et à l’évolution du marché duquel elle s’inspire pour adapter leur formation. Les difficultés rencontrées par les écoles à enseigner l’éthique professionnelle du journalisme sont de deux ordres : Le premier tient à la très grande hétérogénéité des pratiques et, son corollaire, l’absence notoire de normes collectivement admises. Le second tient à la réticence qu’expriment les futurs journalistes à l’égard de la chose éthique, déjà perçue comme un formatage.

L’apprentissage d’une éthique professionnelle ne relève pas, pour certains, de l’enseignement. Sensibiliser les étudiants à une pratique vertueuse suffit. Pour d’autres, elle s’apprend avant même de constituer un principe d’action. Les points de vue divergent aussi sur le contenu de son enseignement, très diversifié selon les écoles. Les quelques grands principes qui président toutefois à cet enseignement, souvent articulé autour de cas pratiques, révèlent un fonds commun de valeurs issues d’une culture journalistique, c’est-à-dire d’une certaine manière d’être. Conscientes, pourtant, qu’à l’issue de leur formation, les jeunes journalistes embauchés auront à se plier aux impératifs ‘« déontologiques’ » de l’entreprise, les écoles n’en oublient pas pour autant leur rôle. Elles concèdent d’ailleurs volontiers que former les journalistes à une pratique vertueuse relève autant de leur responsabilité que celle des entreprises qui s’apprêtent à les embaucher.

Outre les syndicats de journalistes et les écoles, d’autres acteurs sont appelés, par défaut, à intervenir dans le débat : les magistrats. L’absence de lisibilité d’une éthique à l’échelle de la profession les conduit à apprécier la faute journalistique, d’une part, en référence à l’article 1382 et, de l’autre, en s’appuyant sur une représentation de ce que doit être un journaliste digne de ce nom. Or, l’analyse de notre corpus juridique, qui mériterait d’être approfondi, révèle que ces considérations pâtissent d’une absence de connaissance réelle de la pratique. Parmi elles, nous avons souligné la fréquence de ‘« l’objectivité’ » et de ‘« l’indépendance’ », valeurs qui témoignent d’une représentation abstraite du travail journalistique. C’est d’ailleurs l’une des principales critiques que dressent les responsables des entreprises d’information qui s’inquiètent de voir la justice intervenir dans un débat jusqu’alors cantonné aux professionnels. L’institution judiciaire, sous la pression des critiques, a donc fait le choix d’apporter une garantie de compétence en créant une chambre unique de la presse laquelle est en charge des seules affaires parisiennes. Sa récente création, en 1999, n’offre certes pas suffisamment de recul pour en juger la réelle efficacité. Cependant, elle ouvre la voie à une réflexion sur les responsabilités qui incombent à chacun, là où certains se plaisent à opposer la loi à la déontologie.

La bêtise serait de conclure sur un processus qui a révélé tout au long de son histoire, sa complexité. Conscients des limites de notre travail et des abandons qu’il a suscités, il nous semble toutefois important de souligner que la question de l’éthique professionnelle des journalistes, inscrite dans une problématique de pouvoir, exige de nouvelles investigations. En effet, notre réflexion est loin d’être épuisée et, outre divers ancrages disciplinaires, elle mériterait de se poursuivre par l’exploitation d’un corpus de courrier des lecteurs ou autres formes d’expression de l’espace public 916 . Plusieurs existent déjà sous forme d’associations telles Acrimed ou encore MTT 917 et permettraient sans nul doute d’opposer au phénomène d’autarcie éthique des entreprises médiatiques, une véritable espace critique et peut-être un rééquilibrage des rôles. Le nôtre a été de dégager la dimension spécifique d’une éthique professionnelle des journalistes avant qu’elle ne se diffuse comme une valeur narcotique servant de leurre ou d’alibi. Pour cela, comme le préconisait Pic de La Mirandole, ‘« il faut convoquer l’autre et se mesurer avec’ » 918 .

Notes
909.

Réservé, parce que la plupart des discours confine la question éthique au seul débat professionnel.

910.

C’est au nom de ou dans le respect de la liberté de la presse, du droit du citoyen à être informé ou encore plus globalement de la démocratie, qu’une éthique professionnelle s’impose.

911.

C’est désormais au nom d’un devoir d’obéissance que l’éthique du journaliste s’impose dans chaque entreprise.

912.

Il nous semble important de souligner que les journalistes entendent défendre une certaine conception de leur travail : ils vont valoir leur appartenance à une profession intellecuelle et se définissent comme auteur. C’est donc un rapport individuel, et non collectif, qui les lie au traitement de l’information. Dans cette conception, ce sont les valeurs personnelles qui prévalent et non celles du groupe, ce qui explique en partie, leur réticence à l’égard des discours syndicaux et leur résistance à se plier au lien de subordination. François Devevey nous l’a fait remarquer en précisant, lors de son interview : « Toute l’ambiguïté de la démarche du journaliste a été d’obtenir qu’il soit mis fin à leur précarité. Ils l’ont obtenu en devenant salarié. Aujourd’hui, ils sont dans une démarche inverse. Ils veulent se faire reconnaître comme auteur (…) Je veux dire que le statut de salarié va définir un certain type de relations sociales » et de préciser plus loin « un rapport de hiérarchie », voir annexe.

913.

Il faut faire remonter l’origine de l’usage du terme de contrat à l’ouvrage de philippe Lejeune intitulé « Le pacte autobiographique » publié aux éditions du Seuil, en 1975. L’auteur y traite de l’autobiographie comme engagement que prend un auteur de raconter directement sa vie ou une partie de sa vie, dans l’esprit de vérité. Transposée au domaine de l’information médiatique, on doit la théorie du « contrat de lecture » à Eliseo Veron. Celle-ci porte sur tous les aspects de la construction d’un support de presse dans la mesure où ils construisent le lien avec le lecteur. Lire «L'analyse du « contrat de lecture » : une nouvelle méthode pour les études de positionnement des supports de presse », in Les médias. Expériences, recherches actuelles, applications. Paris, IREP, 1985, pp 203-230. Gonzales P., « Production journalistique et contrat de lecture : autour d'un entretien avec Eliséo Veron », in Quaderni, n° 29, printemps 1996, pp.51-59. Patrick Chareaudeau a aussi défini « le contrat de communication médiatique », in Le discours d’information médiatique. La construction du miroir social, Nathan, 1997, 284 p.

914.

Bourdieu P., op. cit., 1996, p 15.

915.

Cela dit, les choix éditoriaux, comme le remarque Michel Mathien, « sont de plus en plus étudiés sur le plan marketing car la production et la diffusion de l’information sont au cœur d’enjeux financiers croissants », in Mathien M., « Reprendre le pouvoir sur son objet social ? L’information journalistique au cœur d’un débat paradoxal », Deuxième séminaire frano-québécois ; IFP, université Paris II, 6,7,8 juin 2000, p 4.

916.

Nous pensons notamment à l’institution du médiateur. Lire à ce propos l’article de Jean Planchais, « Le courrier des lecteurs du Monde » et le titre V, « Les médiateurs », in Bertrand Claude-Jean, L’arsenal de la démocratie. Médias, déontologie et M*A*R*S, Economica, 1999, pp 269-291.

917.

Acrimed : Action-Critique-média (1996) ; MTT : Médias Télévision, Téléspectateurs (1990). C’est au départ l’influence de la télévision sur les valeurs morales et les comportements des plus jeunes, qui a motivé la création des premières associations : « La télé est à nous » (1986) ; Les pieds dans le PAF (1989). TV Carton Jaune (1992), à la différence des précédentes associations, entend agir sur le terrain judiciaire afin de favoriser la prise en compte des aspirations du public.

918.

Cité par Pierre Legendre, op. cit., 1998.