« La déontologie à toutes les sauces » - N°219 – 4ème trimestre 1991

Voici quelques années, lorsque nous invoquions nos principes professionnels en conférence de rédaction, il n’était pas rare que cette intervention provoque des haussements d’épaules agacés ou des ricanements. Déontologie, éthique sonnaient comme autant d’académismes dépassés et ringards. Il faut rendre hommage aux quelques confrères qui, de la Roumanie à la guerre du Golfe en passant par l’affaire Grégory ou les Girondins de Bordeaux, ont allègrement piétiné les règles de notre charte. Grâce à eux, jamais on n’avait autant parlé de déontologie des journalistes. Colloques et livres consacrés au sujet se succèdent. Associations de journalistes, mais aussi patrons de presse, parlementaires et ministres y vont chacun de leurs propositions pour remédier aux excès constatés. Les solutions les plus souvent avancées sont de deux ordres : il faudrait rédiger une nouvelle Charte, la première étant dépassée, et un conseil supérieur de l’éthique, à l’autorité morale incontestable, serait chargé de veiller au respect de la déontologie par la profession. Le SNJ, qui est à l’origine de la Charte de 1918, a son mot à dire sur le sujet, sans prétendre pour autant être le gardien du temple.

Une étonnante modernité

A bien la relire, la charte des devoirs du journaliste, bien que rédigée en 1918 et révisée en 1938, est d’une étonnante modernité. Sans doute le mot ‘« réclame ’» pourrait-il avantageusement être remplacé par celui de publicité, mais la prescience de ses rédacteurs est étourdissante : à croire qu’ils avaient en tête le comportement à venir des télévisions commerciales ! La charte européenne des journalistes, rédigée par l’ensemble des syndicats de journalistes européens en 1970, en est l’utile complément, il n’y a pas grand chose à y redire. Le problème est donc moins de remanier la charte que de veiller à son application. Car en admettant le principe d’une refonte de ce texte et que la nouvelle charte réponde à tous les cas de figure, le problème de base reste inchangé : veiller à ce que ce texte ne reste pas lettre morte. Parmi d’autres voies, il en est une qui nous paraît devoir être explorée : sur le modèle de l’avenant audiovisuel public à la convention collective, ne pourrait-on pas inclure la Charte du SNJ à l’article 5 ? Les patrons de presse, prompts à proposer un ‘« code de conduite ’» peuvent ainsi faire la preuve de leur bonne volonté. Et ce n’est pas parce que lors de la renégociation de la CCNTJ, ils s’y sont refusés que nous devons renoncer à cet objectif.

Au singulier et au pluriel

L’inclusion de la charte dans la CCNTJ donnerait un fondement juridique qui, pour l’heure, est inexistant, à notre déontologie. Mais surtout, elle renforcerait la situation de nos confrères qui veulent ouvrir un débat en conférence de rédaction sur le traitement de l’information. Car la déontologie se conjugue à la fois au singulier (le journaliste) et au pluriel (sa rédaction). Enfin qui aurait l’ascendant nécessaire pour faire d’un nouveau texte un objet de consensus comme le demeure, malgré tout, la charte actuelle ? Et un texte non consensuel serait la négation de règles déontologiques. Il est également temps de tordre le coup aux vieux projets d’instituer un conseil de l’ordre de la presse, quelle que soit l’appellation dont on le dote. Refusée majoritairement par la profession, cette idée semble séduire les milieux politiques, et même quelques confrères. Il faut donc s’y arrêter. Première remarque : à une époque ou toutes les institutions sont frappées de discrédit, comment croire qu’un nouvel organisme pourrait représenter une autorité morale indiscutable dans la profession, quelle que soit par ailleurs la valeur de ses membres. Les rares incursions de la Haute autorité, de la CNCL ou du CSA dans ce domaine, ne sont d’ailleurs guère probantes. De plus conformément à notre charte, le journaliste et sa rédaction engagent leur honneur professionnel personnellement vis-à-vis du public. Loin d’être un garde-fou, cet organisme risquerait vite de servir de parapluie, commode alibi pour dispenser les journalistes de prendre leurs responsabilités. Enfin, on ne saurait écarter des dérives inquiétantes pour la liberté d’information.

A l’échelle européenne

Au total, il faut se réjouir du regain de discussion autour de la déontologie professionnelle : ce n’est pas quand le feu s’est déclaré qu’il faut lire les consignes à suivre en cas d’incendie. Mais les réponses proposées sont souvent irréfléchies, irréalistes, passéistes, voire carrément liberticides. Car si la réflexion actuelle doit être encouragée et se poursuivre, il serait vain de vouloir trouver une solution dans le cadre étriqué de notre hexagone. C’est désormais à l’échelle européenne que ces questions doivent trouver leur réponse.