« Déontologie : une confrontation enrichissante » - N°220 – 1er trimestre 1992

Depuis que le SNJ existe, l’éthique du métier de journaliste a fait l’objet de nombreux débats et les résolutions n’ont pas manqué de réaffirmer les grands principes qui régissent notre profession et pour condamner l’affairisme croissant. Mais aujourd’hui plus que jamais, notre profession est interpellée. D’autant que la confusion des genres, due, par exemple, aux ‘« ménages’ » effectués par certains confrères, aux shows médiatiques télévisuels ou encore à l’omniprésence du sponsoring ou de la publi-info contribuent largement à troubler les esprits et les repères pourtant si nécessaires entre information, communication, promotion et publicité. De récents sondages réalisés sur l’image de marque de notre profession sont d’ailleurs révélateurs d’une considération en baisse auprès de l’opinion. L’an dernier, tant au congrès que dans le Journaliste (N°216), Charles Guerrin avait présenté des textes de réflexion sur la déontologie professionnelle. L’objectif visé était d’élaborer, au sein d’une commission ad hoc, des propositions susceptibles de fonder un nouveau cadre professionnel, juridique et éthique permettant de mieux concilier liberté et responsabilité des journalistes dans la cité. Cette notion de responsabilité liée à la citoyenneté allait d’ailleurs être au centre du débat. Guerrin a loyalement dressé un constat d’échec du projet. Il y voit plusieurs causes, certaines d’ordre pratique : la difficulté d’animer depuis Nice une commission et l’insuffisance de la mobilisation autour de ce travail, un travail qu’il estime cependant utile. Mais il y voit aussi des raisons dues à des divergences d’analyse. Selon lui « le débat public qui s’est instauré autour de la responsabilité des médias et des journalistes nous commande de répondre sur le terrain des problèmes réels, des cas précis et, si possible, d’avancer des solutions concrètes et non de nous abriter derrière des déclarations de principes manifestement inopérantes, donc discréditées. Commentant ce préambule de Guerrin et comparant son analyse à la sienne, Olivier Da Lage estime qu’il n’y a pas de divergences sur le constat et sur les objectifs, mais davantage une différence d’appréciation sur les conclusions tirées des même faits. Il ne cache pas ses réticences à l’égard de nouvelles dispositions juridiques. Même s’il se dit ouvert à des idées novatrices, il semble douter de l’efficacité que pourraient avoir des décisions prises dans ce domaine par les pouvoirs publics. Au cours de la réunion de cette commission les différences d’analyses exprimées ont posé également la question de la méthodologie syndicale soulevée par Guerrin. Faut-il, en engageant cette réflexion, s’interdire d’entrée certains tabous comme la constitution d’un comité d’éthique ou d’un Conseil de l’Ordre ou bien faut-il, dans un premier temps, comme le suggère Guerrin, faire un ‘« débroussaillage’ ».

Un pacte avec le public

Dans la première partie du débat, des divergences sensibles ont été suffisamment exprimées pour ne pas ressentir un certain scepticisme quant à une évolution consensuelle sur ce dossier. Pourtant à la faveur de plusieurs interventions et avec la contribution des avocats présents, des pistes de travail ont été lancées. D’abord sur la notion d’équipe rédactionnelle. Guerrin plaide pour la reconnaissance institutionnelle de l’équipe rédactionnelle en tant qu’entité. Selon lui, « la déontologie » doit être l’affaire de la profession, elle ne se décrète pas. Maître Jean Martin, comme Claude Durieux, considère que de nouveaux textes ne pourront avoir de valeur que s’ils bénéficient de l’adhésion de l’ensemble des partenaires. Mais il estime que la profession de journaliste en peut laisser se développer le climat de discrédit actuel. Il soumet d’autre part l’idée d’un pacte passé avec le public sur la qualité et le sérieux de l’information. Cette idée de pacte semble avoir séduit les participants à cette réunion, notamment Maurice Padiou, qui appelle à une prise de conscience autour de cette idée d’une citoyenneté à réaffirmer, quand ce n’est pas reconquérir. A ce propos, plusieurs intervenants s’interrogent sur nos silences ou l’absence d’une réelle volonté de médiatiser. François Boissarie exprime son désaccord avec cette soi-disant carence de médiatisation, due surtout au fait que les communiqués syndicaux sont de moins en moins répercutés par la presse. Pour lui, ‘« la seule reconnaissance valable des valeurs défendues par le syndicat est celle, qui en juin, lui a donné plus de 44 % des voix aux élections à la carte’ ». Arc-boutés sur la médiatisation ou le communiqué incantatoire, deux syndicats n’en ont guère perçu les dividendes lors de ce scrutin.

(encadré) : ‘« Tous concernés’ »

En ces temps de surenchère médiatique, de course à l’audimat ou à la courbe des ventes, de goût du sensationnel où, dans l’esprit de bon nombre de nos employeurs, l’information est d’abord un produit de consommation, le SNJ dénonce de graves dérapages qui portent atteinte à la fois à l’image de marque de la presse et à la crédibilité des journalistes auprès de l’opinion. La vague de critiques qui déferle pousse certains censeurs à déclarer caduque la Charte du Journaliste et inopérante la loi de 1881. Depuis sa création, le SNJ a agi souvent seul pour que la profession de journaliste s’entoure de références éthiques. C’est lui qui est à l’origine des textes majeurs de la profession. Jusqu’à présent, les employeurs se sont constamment refusés à inclure la Charte dans la convention collective. Reste que, pour le SNJ, la voie paritaire n’a jamais été complètement fermée pour peu que les fédérations patronales fassent évoluer leurs mentalités et leurs discours. Les écoles de journalisme ont un rôle primordial à jouer dans la compréhension et la diffusion de nos principes professionnels. Mais c’est d’abord aux lecteurs et aux auditeurs que s’adresse le message du SNJ à l’issue de son congrès. Nous voulons engager avec eux une large réflexion sur le rôle essentiel d’une presse libre, responsable et pluraliste pour assurer l’expression démocratique.