« Spécial » élection : « Aussi défendre des règles de déontologie » - N°277 – avril 1994

La déontologie professionnelle n’est pas, pour les journalistes CFDT, une mode ou une préoccupation devenue soudain d’actualité, que les médias traitent comme un autre sujet, en prenant bien soin de ne pas s’y impliquer et de très vite l’oublier. La déontologie et les pratiques professionnelles sont, pour l’USJF-CFDT, un souci permanent que nous n’avons cessé d’exprimer, particulièrement ces derniers mois en proposant une large réflexion basée sur la comparaison des systèmes existants dans les autres pays et sur les expériences et les textes les plus actuels. Nous sommes très en retard, en France, dans ce domaine qui reste tabou malgré la multiplication des débats d’autosatisfaction. Pour bien des journalistes, aucun texte qui fixerait des bornes n’est nécessaire, chacun n’ayant qu’à respecter sa conscience. Mais celle-ci est parfois élastique. On élude, on tourne autour du pot finalement on ferme les yeux sur les dérives inadmissibles que l’audiovisuel n’a fait que cristalliser. Or, la France est pratiquement le seul pays d’Europe occidentale à ne pas s’être doté d’une charte ou d’un code déontologique pour les journalistes, textes dont on connaît les limites et les difficultés d’application mais dont la seule existence constitue en elle-même une garantie. Et ces codes ou chartes existent et sont appliqués chez nos voisins. En Grande-Bretagne, le Press Council (composé à parts égales de représentants de la profession et de personnalités extérieures) remonte à 1953 et s’appuie sur un code en cours de refonte. Depuis 1988, compte tenu de sa spécificité, l’audiovisuel dispose de sa propre instance de régulation, le broadcasting standards Council. En Allemagne, le Conseil de la presse a été créé en 1956. Cet organisme d’autocontrôle, comme la commission de la carte professionnelle en France, est paritaire : dix journalistes, dix éditeurs. Il s’appuie sur un code adopté en 1973. Les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse et le Portugal (qui vient de terminer son deuxième code) suivent les mêmes exemples, mais le plus parlant est sans doute celui de l’Italie dont les journalistes (regroupés dans la Federazione nazionale de la Stampa italiana) ont adopté en juillet 1993 une ‘« charte des devoirs et des journalistes »’ qui en fait un des textes les plus complets en la matière et sans doute une des meilleures garanties vis-à-vis des pressions des groupes politico-socio-économiques. Un texte qui engage tous les journalistes et qui peut aller jusqu’à interdire provisoirement ou définitivement l’exercice de la profession. En France, l’application d’une telle charte exclurait du jour au lendemain un certain nombre de ‘« confrères’ » qui ont un peu trop tendance à confondre leurs intérêts personnels avec des intérêts privés ou qui n’hésitent pas à mettre leur image ou leur savoir-faire au service d’intérêts qui n’ont rien à voir avec ceux du public. Pourtant ce souci de clarté a été légitimement exprimé par les journalistes français dès le début du siècle puisqu’une Charte a été proposée en 1918 par l’unique syndicat de journalistes d’alors, le SNJ. Depuis on dirait que la déontologie a fait long feu. Conscient de l’acuité du problème, le SNJ vient de publier un Livre Blanc qui, malheureusement, ne débouche que sur des suggestions. Il s’agit d’un constat, mais personne aujourd’hui n’oserait nier que le problème se pose. Depuis plusieurs années, la CFDT veut aller plus loin, comme elle vient de le montrer en diffusant un questionnaire-sondage sur les pratiques professionnelles. En attendant la rediscussion d’une Charte nationale, l’USJF-CFDT réclame l’annexion à la convention collective de la Charte de Munich (1971) adoptée alors par les deux organisations internationales de journalistes, la FIJ et l’OIJ. Ce texte, comme cela avait été réclamé, en vain, en 1971, aux patrons de presse, doit figurer en préambule de la convention collective. Nous en avons fait une de nos priorités. Nous proposons de lancer une réflexion, la plus large possible, autour d’un projet de Charte des devoirs des journalistes français dont nous avons déjà jeté les bases. Parallèlement, il faut réfléchir à un organisme garantissant que cette charte ne restera pas un vœu pieux. Pour nous, cet organisme doit être géré par les seuls journalistes, mais en y associant les ‘« utilisateurs’ » de la presse. Enfin conformément à la préoccupation exprimée en Europe par la Fédération internationale des journalistes (FIJ) dont l’USJF-CFDT est un des membres fondateurs, nous soutenons le droit, pour chaque rédaction, d’élire un conseil de rédaction associé à la définition de la politique rédactionnelle, ayant la capacité de s’opposer à la nomination du rédacteur en chef et garantissant le droit de refuser un travail contraire à l’éthique professionnelle. Ces conseils de rédaction, qui fonctionnent sur la base d’un code de conduite propre à chaque entreprise, constituent ‘« un des moyens de garantir l’indépendance des journalistes, leur autonomie et leur responsabilité particulière dans l’information du public’ ».

Résolution générale : La déontologie

Les journalistes n’ont pas bonne presse. Les fréquents dérapages de l’information spectacle et les douteux amalgames avec la sphère de la communication sont portés au débit de l’ensemble de la profession par le public. Cette situation est exploitée par certains qui rêvent d’imposer un code de bonne manière aux journalistes. Pour les journalistes CFDT, il est urgent que la profession se donne, elle-même, les moyens d’éviter ces dérives. Pour ce faire ils proposent : l’annexion de la Charte de Munich signée en 1971 par les syndicats de journalistes européens, à la convention collective nationale ; la redéfinition légale du métier de journaliste. La profession que nous exerçons est mal définie par un article du code du travail qui date de 1935. Elle a depuis considérablement évolué avec l’apparition de fonctions et de qualifications nouvelles. Pour nous, le journaliste est un salarié, membre d’une équipe rédactionnelle, dont le travail est d’informer le public. Ce rôle d’information du public est une notion fondamentale, mais pourtant radicalement nouvelle dans la définition de notre profession. Jusqu’à présent, en effet, le journaliste n’est légalement définie qu’en sa qualité de collaborateur d’un organe de presse ; L’extension des compétences de la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels au champ déontologique. Elle ne doit plus se contenter de dire qui est journaliste et qui ne l’est pas. Organisme Paritaire reconnu de l’ensemble de la profession, elle doit désormais être en mesure de formuler, de droit, des avis sur les dérives éventuelles des pratiques professionnelles ; la prise en charge par les sections d’entreprise de ces problèmes. Là où cela est possible, les journalistes favoriseront la création de conseils de rédaction et la mise en forme de chartes rédactionnelles à l’image de ce qui existe, d’ores et déjà, dans certains organes de la presse régionale et nationale. En tout état de cause, l’USJF-CFDT proposera à l’ensemble des organisations syndicales de journaliste d’organiser, dans le cadre du 60ème anniversaire de la CCIJP, une rencontre nationale sur l’éthique professionnelle. Mais le combat syndical pour une pratique déontologique ne saurait être séparé des revendications en terme de conditions d’emploi, de travail et de rémunérations !