« Une profession unique » - N°836- avril- mai- juin 1991

Les prochaines élections des représentants journalistes à la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels viennent opportunément rappeler à tous, l’unité de la profession. C’est la même carte qui est attribuée au collaborateur d’une modeste publication locale et à la vedette de l’audiovisuel. D’abord cette unité a été voulue par la loi et par les syndicats. Le code du travail ne distingue pas entre les formes de presse, les syndicats non plus. Ils se sont toujours opposés –et notre syndicat était au premier rang- à ce que les confrères de l’audiovisuel ne soient pas considérés comme des fonctionnaires livrés, pour leurs conditions de travail, à des gouvernements successifs. Nous avons ainsi opposé le 1er juillet 1983 la signature par l’association des employeurs de l’audiovisuel du secteur public un avenant complétant pour cette branche de la convention collective nationale, base commune à tous. Cette disposition est conforme à l’article 93 de la loi du 29 juillet 1982 qui précise que les journalistes de l’audiovisuel sont bien partis intégrante de la profession définie par la loi du 29 mars 1935. Cette loi est devenue l’article L761 et suivants du code du travail. Dans le même esprit d’unité de la profession, la convention collective révisée en octobre 1987 a fait l’objet d’un arrêté d’extension qui rend cette convention applicable à tous les journalistes quelle que soit l’entreprise qui les emploie. Nous pouvons ainsi tous nous prévaloir de la clause de conscience, des même droits aux congés, aux dispositions fiscales et d’une même carte professionnelle, quelles que soient les techniques de diffusion ou d’impression que nous utilisons, quels que soient nos employeurs publics ou privés. Cette unité, c’est aussi notre intérêt. Se fonder sur l’originalité de nos entreprises pour se considérer comme journalistes ‘« à part’ » aboutirait à ne plus avoir de journalistes à part entière, susceptibles de passer d’une forme de presse à l’autre en fonction de leurs compétences. Nous avons, tous, une base commune de culture générale et de comportement devant l’information quelle que soit la technique employée pour diffuser cette information ou la taille de l’entreprise qui nous emploie. Cultiver, au point de les exacerber nos ‘« spécificités ’» aboutirait, sur le plan syndical, à la prolifération de ‘« syndicats maison’ » avec toutes les concessions que cela suppose. Et des concessions, les puissances d’argent et les pouvoirs politiques en attendent au nom du ‘« modernisme’ » pour pouvoir traiter de ‘« ringards’ » ceux qui refusent ce modernisme. C’est par exemple dans l’audiovisuel un généreux service minimum pour que la grève passe inaperçue, c’est aussi dans l’écrit, comme dans l’audiovisuel, l’abandon des classifications professionnelles pour permettre des salaires maison flexible et ‘« au mérite’ ». Ce sont encore des technologies de pointe de plus en plus complexes et astreignantes pour que les compressions d’effectif ne réduisent pas la production. Face à la montée de telles innovations techniques et sociales, la profession a besoin plus que jamais d’un syndicalisme fort pour endiguer les conditions de travail de plus en plus contraignantes pour les journalistes et, de plus en plus rentables pour les entreprises. Ces exigences nouvelles déferlent au moment où de soi-disant experts ou ‘« observateurs avertis’ » se complaisent à prédire la fin du syndicalisme emporté à leur avis par la poussée généralisée d’un individualisme débridé, par la perte du sens civique et de la solidarité. Cette offensive psychologique de la part de personnes extérieures au mouvement syndical, vise à désarmer un syndicalisme, bouclier de l’indépendance d’une profession que les puissances d’argent et les pouvoirs publics rêvent de mettre au pas. Nous manquons peut être de souplesse, mais est-il nécessaire de rappeler que nous ne sommes pas faits pour être manipulés ? Notre indépendance est même la garantie d’une véritable démocratie. Les élections à la commission de la carte fournissent à chacun des confrères la possibilité, en votant pour la liste présentée par le SGJ-FO, de marquer son refus de cette mise sous tutelle.

Démocratie 

La guerre du Golfe est officiellement terminée mais la paix n’est pas instaurée pour autant dans cette région du monde et notamment en Irak où la population kurde subit la pire des répressions. Les droits de l’Homme sont bafoués et le droit international au nom duquel les démocraties occidentales sont intervenues pour libérer le Koweit est mis entre parenthèses. Les journalistes accusés de tous les maux, pendant les événements du Golfe, font ce qu’ils peuvent pour réveiller les consciences et informer l’opinion publique sur le calvaire des populations civiles. Mais pourront-ils faire plus ? Je crains que les accusateurs d’hier ne se placent encore une fois en donneurs de leçons dont les journalistes feront les frais…J’entends dire que la Guerre du Golfe a coûté cher aux chaînes de télévision et voilà que l’une d’entre elles cherche à pénaliser les journalistes. Pour nous, syndicat général des journalistes FO, ceci est inacceptable. Comme il est inacceptable d’entendre certains, qui n’ont rien à voir avec notre profession, parler de règles déontologiques. Il est vrai que nous sommes en démocratie et chacun peut s’exprimer à son gré. Mais la défense de la profession nous incombe à l’audiovisuel comme dans la presse écrite. A propos de l’audiovisuel, une poignée de camarades s’est forgée dans l’idée que leurs intérêts étaient spécifiques. Je ne sais s’il s’agit d’une dérive de la guerre du Golfe ? Ce dont je suis sûre en revanche, c’est que le morcellement de la représentation des journalistes F.O, discrédite notre syndicat et porte atteinte à notre action. Les représentants patronaux se frottent les mains devant l’aubaine d’un tel éparpillement. Et la tentation serait forte de revenir sur les acquis de la convention collective applicable à tous. Je sais d’ores et déjà que la Confédération tout entière ne peut accepter un tel précédent de morcellement et de division. Je sais également qu’au-delà des rodomontades, les journalistes de l’audiovisuel restent fidèles à l’unité de la profession, au SGJ-FO. Je sais enfin que tout cela n’est possible que parce que dans notre syndicat, depuis 1947, nous respectons les droits de chacun, ce qui ne va pas sans l’accomplissement par tous des devoirs qui incombent doublement à un journaliste parce que c’est un professionnel syndiqué. Cela porte un mot tout simple : la démocratie.