« Liberté de la presse : non aux journalistes boucs émissaires » - N°857- octobre- novembre- décembre 1997

Le 30 août durant la nuit, la princesse de Galles, son compagnon, un chauffeur et un garde du corps ont été victimes d’un accident de la circulation dans Paris. Des journalistes photographes, un motard de presse qui s’étaient rendus sur place quelques minutes après l’accident ont effectué leur travail en prenant des photos. Immédiatement, à la demande du parquet (qui est sous la responsabilité du ministère de la Justice, c’est-à-dire du gouvernement), sept photographes et un motard de presse ont été placés en garde à vue, puis mis en examen. Leurs cartes de presse, leurs papiers, leurs matériels ont été saisis. Le juge d’instruction est allé jusqu’à leur imposer une interdiction professionnelle, ce qui ne s’est jamais produit depuis Pétain. Quant au chef de mise en examen, il est particulièrement scandaleux : ‘« homicide involontaire’ », comme si les photographes étaient présumés assassins. Deux autres photographes ont été, par la suite, mis en examen. Notre syndicat a protesté contre le traitement infligé à ces professionnels pris comme boucs émissaires dans une affaire qui n’est pas finie, et dont les ‘« informations’ » n’ont été distillées que par les forces de police, dans un contexte diplomatique, politique et judiciaire étrange. Des journalistes photographes, malgré le harcèlement médiatique que la profession a subi, se sont immédiatement mobilisés et ont initié une pétition, qui a recueilli plus de 2000 signatures à ce jour. Ils ont constitué un comité regroupant des confrères de l’AFP, de Gamma, Sygma, Sipa, France-Soir et indépendants, et ont appelé tous les syndicats de journalistes à les soutenir dans leur démarche. Seuls les syndicats FO et CGT des journalistes les ont appuyés. Ils se sont rendus en délégation au ministère de la Communication et ont été reçus par le ministre. Pour marquer leur détermination, ils ont organisé une manifestation à la sortie du Conseil des ministres. Près de 150 photographes de presse se sont aligné devant le gouvernement leur carte de presse et appareils photo posés sur le sol, les bras croisés. La photo (une seule photo publiée ci-dessous a fait le tour du monde ! Dans cette affaire, comme l’expliquent les photographes, il s’agit de liberté de la presse. Les professionnels ne sont rémunérés pour leur travail que parce que les patrons y trouvent leur profit. Ce sont les patrons qui sont responsables ! Et le gouvernement devrait faire bien attention, la vengeance des ministres et les premiers ministres) envers la presse est toujours un signe de faiblesse. En tout état de cause, le SGJ FO fera tout pour que la liberté de la presse, condition de la démocratie, soit respectée.

« Manifeste : à ceux qui disent aimer la liberté de la presse »

Alors ils veulent qu’on leur parle de la liberté de la presse ! Pourquoi ? Messieurs les ministres, les sénateurs, les députés, les préfets et les militaires, les directeurs de la publication, les magistrats, les juges et les policiers. Pourquoi ? Vous ne la connaissez pas la liberté de la presse ? Truche, Lang, Kiejman, Gaudin, Léotard ou Carrignon, Papon et le Pape, vous êtes tous pour, absolument pour sans aucune réserve, pour la liberté de la presse comme Hersant, Lagardère, Bouygues, Fillioud, Peyrefitte, Soustelle, Bourges, Joël le Theul et Pasqua, tous pour sans aucun doute. Mais la liberté des journalistes vous la connaissez ? Oui, bien sûr, mais sous un autre nom. Vous parlez d’éthique et de conduite professionnelle, de déontologie, d’honneur et d’ordre moral. Vous en parlez pour la restreindre, la délimiter, la cacher, l’organiser, dites-vous. Non c’est pour la diminuer, jamais pour l’étendre ou en faciliter l’application. Alors quand vous nous appelez à discuter de la liberté de la presse, c’est pour essayer de nous faire peur. Comprenez que nous sortions nos stylos, nos caméras, nos magnétophones, nos appareils photo. Car pour vous, il n’y aurait presque plus de journaliste, et pour vous c’est tant mieux parce que c’est moins cher et plus obéissant. Il n’y aurait plus que des paparazzi. Serions-nous donc tous des paparazzi ? et de quelle nature, s’il vous plaît ? Puisqu’un ancien ministre qui veut sans doute s’illustrer comme Réaumur avec le thermomètre, Richter et les séismes, Beaufort et la tempête, vient même d’inventer une graduation chez les paparazzi : celle du ‘« paparazzi du second ordre’ ». ce n’est pas le ‘« second’ » qui nous préoccupe c’est ‘« l’ordre’ ». Ce qui sous-tend en permanence le souci que les grands feignent pour la liberté de la presse, c’est d’établir un ‘« ordre’ » de cette ‘« liberté’ », un ordre des journalistes pour rétablir l’ordre et affirmer le maintien de l’ordre. Pour eux, toute organisation de la liberté de la presse est d’abord une diminution de la liberté des journalistes. A commencer par la diminution de leur revenu (les 30 % d’abattement fiscal). Sous le prétexte de faire disparaître une niche fiscale, les parlementaires, qui, dans le même temps, se préoccupaient de se garantir pour eux-mêmes ‘« un chenil fiscal’ », ne voulaient-ils pas, en fait mettre en fourrière cette meute de journalistes qu’ils se devaient bien de rendre à eux-mêmes, c’est-à-dire de ‘« jeter aux chiens’ ». A continuer par le devoir de décence, de respect de la vie privée. Qui pourrait être hostile à cette notion de bon sens ? Personne bien sûr ! Seulement, où commence la vie privée ? Che Guevara en leçon d’anatomie ambiguë et gisant de la Higuera au double visage ? François Mitterrand sur son lit de mort, calme et, alors, sans mystère ? La photo du premier était voulue par ses bourreaux, celle du président interdite par sa famille ! Oublions, si l’on peut, un moment la Princesse de Galles, Lady Diana Spencer, et pensons au Prince de Galles, pas Charles l’actuel, mais son grand oncle, le roi Edouard, futur Duc de Windsor, sa liaison avec Mme Simpson, deux fois divorcée était bien du domaine privé, alors la presse anglaise n’en parla plus pendant des années. Très bien. Et puis l’abdication d’un monarque britannique, le même prince, duc, roi germanophile, à la veille de Munich ne pouvant plus être considéré comme un secret d’alcôve, il fallut bien en parler. Toute la presse anglaise devint elle, à son honneur, ‘« paparazzi’ » ? Où finit la vie privée ? A suivre par le secret de l’instruction. On nous chipote en France notre droit au secret professionnel (droit que nous reconnaît la cour européenne de justice) mais surtout on nous fait devoir de chercher, de dire, de transmettre les faits, rapidement, clairement, complètement. S’il y a dérapage, messieurs les éditeurs de journaux, ne poussez pas les voitures dans le mur de la presse ‘« poubelle-people’ » pour le profit du béton, de l’adduction d’eau ou de l’augmentation des marchés d’état et des commandes d’armement. Sauf à devenir vous-mêmes chef paparazzo. N’y aurait-il pas plus d’indécence professionnelle à taire les conclusions des cours des comptes qu’à dire les amours d’un rock star ? Si l’on veut remettre en cause les libertés chèrement acquises, comme le fit hier le tribunal de Nice condamnant à une peine de prison avec sursis un journaliste qui avait osé dire qu’un maire de Nice avait un passé de droite. Si l’on ne peut pas dire que Papon est Papon et Jean Moulin un résistant, on risque de passer pour un paparazzo de l’histoire. Il faut alors que le CSA (et supérieur et de l’audiovisuel) ne se contente plus de recenser les emplois du subjonctif à la télé mais s’occupe peut être de l’obligation faite à des journalistes de faire à visage découvert la promotion de la ‘« pub’ » sur leur antenne, ce qui n’est plus vocation alimentaire, mais la participation par la contrainte au dévoiement d’une profession. Qu’on le dise en rap ou sur Internet, les journalistes ont leurs lois, leurs règles, leur convention, ils en ont bien assez. Ils ont aussi leurs libertés, bien menacées.