Le syndicat national des journalistes CGT

«Témoins »

« éloge du journalisme » N°28 - juin 1995

Combien de grands reporters, de localiers, de secrétaires de rédaction, de reporters-photographes ou de reporters d’images se sentent mal à l’aise, aujourd’hui dans leurs rédactions ! Combien avait épousé cette profession avec cet enthousiasme débordant, qui faisait écrire à Françoise Giroud à propos de Roger Vaillant : ‘« à partir du moment où moi, journaliste, je m’intéresse à quelque chose, je dois être capable en deux, trois, quatre, six jours ou quelques heures, selon l’actualité du sujet, d’assimiler toutes les informations sur ce sujet, de les situer, de les comprendre et de les resituer »’ ! Ce rappel au souvenir de Roger Vailland n’est pas fortuit ; celui qui fut un très grand journaliste, qui a fait honneur à sa profession, a connu, lui aussi, ce sentiment de malaise. A l’époque, c’est à Paris-Midi ou à Paris-Soir qu’il étouffait. Parce qu’il se faisait une très haute idée de ce sacré métier, comme il l’avait baptisé. Sa perte de confiance envers ses employeurs l’avait amené à rompre avec le journalisme pour s’adonner à l’écriture de romans. Hélas, il n’y eut qu’un Roger Vailland et, aujourd’hui, le ‘« romancier-par-abandon-du-journalisme’ » trouverait les mêmes hommes à la tête des maisons d’édition ! Ceux qui, comme l’auteur de la Loi ou La Truite, se font une haute idée de ce sacré métier n’ont d’autre alternative que de se battre dans leur rédaction pour retrouver leur idéal, pour avoir le temps de comprendre toutes les informations, les situer et les resituer. De France 2 au Petit Bleu d’Agen, de TF1 à la Voix du Nord, de la Cinquième à France-Soir, de Canal + à Paris-Match, d’Europe 1 à Impact médecin, bref, dans toutes les rédactions, il est urgent de débattre pour redéfinir les conceptions de l’exercice d’une profession en perdition, pratiquée par des hommes et des femmes qui ont du vague à l’âme et qui ont perdu beaucoup de leurs repères. Les nouveaux outils mis à la disposition des entreprises d’information ont trop souvent compliqué la tâche de ceux qui avaient espéré pouvoir informer mieux et plus vite les citoyens désarmés dans un monde en ébullition, au lieu de les aider. Les journalistes d’aujourd’hui parlent volontiers du ‘« mépris’ » de leurs employeurs pour leur travail. Jamais le fossé entre eux et leurs patrons (ou leur hiérarchie) n’a paru aussi profond et le divorce paraît vraiment consommé. Pour le plus grand malheur de l’information et du lecteur, de l’auditeur ou du téléspectateur ! Le journaliste qui, dans l’exercice de son métier, ne doit faire aucune concession à la facilité et dont la principale qualité est la vigilance, a-t-il d’autre choix que celui de la lutte pour reconquérir l’information et la rendre au citoyen. ?