« Journalistes menacés, information en danger » - N°30 - avril 1996

‘« La condition capitale pour qu’une presse soit honnête et indépendante ne réside pas uniquement dans l’honnêteté et l’indépendance de qui la dirige, mais aussi dans la conscience du rédacteur »’, écrivait Georges Bourdon dans Le Journaliste de mai 1931 ; Celui-ci est donc, parmi les salariés, ‘« un salarié d’espèce particulière, auquel il convient d’assurer une existence digne et libre (…). Que la carrière du journaliste soit mise à l’abri du caprice, de la fantaisie, de l’arbitraire, qu’il soit protégé contre le besoin matériel, assuré d’une existence digne, que la clause de conscience lui donne à tout instant, même si elle ne doit pas être invoquée, le sentiment de sa liberté morale (…) »’. Henri Guernut déclarait, lui, à la tribune de l’Assemblée nationale le 28 mars 1933 : ‘« Le rôle du journaliste (…) est primordial dans la société contemporaine. Son action intellectuelle et morale, son influence sur l’opinion et, par la même, sur le développement des événements, sur l’évolution des mœurs, présentent une importance que nul ne conteste »’. Ces brillantes plaidoiries, auxquelles nous n’avons rien à retirer aujourd’hui, avaient permis d’aboutir au vote d’un statut professionnel des journalistes, la loi de 1935. Soixante ans plus tard, alors que les concentrations s’accélèrent et que la marchandisation de l’information s’étend, les journalistes ont besoin de faire un statut qui, seul, peut leur permettre de lutter contre les dérives unanimement dénoncées. Au lieu de cela, que constate-t-on ? Des attaques frontales et brutales contre le statut du journaliste, sous prétexte qu’il est ‘« exorbitant du droit commun’ » ; le patronat de la presse s’en prend aussi bien aux garanties morales qu’aux garanties économiques, à savoir : la clause de conscience et la clause de cession sont considérées par lui comme désuète. La commission arbitrale (qui fixe le montant des indemnités de licenciement des journalistes ayant plus de quinze ans d’ancienneté ou qui a le pouvoir de rétablir un journaliste licencié pour faute grave dans ses droits à des indemnités) est accusée de trop nombreux dysfonctionnements ; L’abattement fiscal supplémentaire de 30 % pour frais professionnels est remis en question par le gouvernement ; La prime d’ancienneté est présentée comme ‘« un frein à l’embauche »’ ! ; Les grilles conventionnelles de salaires sont bafouées et déconnectées de la réalité ; la précarité fragilise un nombre, chaque année plus élevé, de journalistes ; Les nouveaux contrats exigent (illégalement) l’abandon des droits d’auteur des journalistes ; Les codes des droits et usages ici ou les chartes rédactionnelles, là, tendent à mieux encadrer l’information, etc. Quand la pratique quotidienne de la profession est malmenée, c’est l’information qui est en danger. Et, pour reconquérir l’information, pour défendre ses droits et l’usage d’une liberté responsable, nous ne connaissons qu’une réponse, collective, le syndicat. Défendre l’abattement de 30 %, c’est aussi défendre une certaine conception de l’information qui ne coïncide pas nécessairement avec celle des patrons de presse. Alors confrères, vous voyez ce qu’il vous reste à faire.

Lutter contre le racisme et la xénophobie – 15 mars 1997

(…) Il est clair qu’il est de plus en plus indispensable de trouver l’équilibre fragile au sein du couple information/public. C’est là qu’intervient la conscience professionnelle des journalistes. L’existence et le respect des normes éthiques réglant le travail des journalistes est nécessaire à la satisfaction du droit du public à l’information. Les journalistes sont des citoyens soumis aux lois qui répriment la diffamation, le chantage, la provocation au meurtre, etc. Ces interdictions contenues dans les lois en vigueur dans le pays ne gênent nullement les journalistes honnêtes qui refusent eux-mêmes de tels agissements. L’autodiscipline de la profession, l’adoption librement décidée de règles éthiques, que nous appelons principes professionnels, et leur constante observation, sont le meilleur rempart des journalistes contre la promulgation éventuelle de nouveaux textes réglementaires ou législatifs les concernant, et dont l’application, aussi respectable que puisse être leur inspiration initiale, pourrait être dangereusement élargie, au point de devenir liberticide. Ces normes éthiques ou principes professionnels sont la condition du prestige de la profession et la seule légitimation de la place à laquelle elle prétend dans la société.