« Ne nous laissons pas encoder (suite) » - N°39- janvier 1999

Les accusations fusent de toutes parts, notamment à propos de la façon dont les médias ‘« couvrent’ » les violences urbaines. Rapportant les propos d’un géographe, Luc Gwiazdainski, Le Monde peut écrire : ‘« les incendies dans les quartiers périphériques de la ville relèvent désormais du marronnier’  ». Le SNJ-CGT réfléchit en permanence au problème du traitement de l’information ; à l’occasion, il dénonce les pratiques délictueuses. Mais surtout, il fait appel au sens de la responsabilité de la profession. Le 2 décembre 1987, il avait organisé un colloque à l’UNESCO sur le thème ‘« Parler des banlieues et de l’immigration’ ». En juillet 1998, il avait obtenu une entrevue au ministère de l’Intérieur pour protester contre le traitement infligé par les policiers aux journalistes (notamment les reporters photographes) couvrant les expulsions des sans-papiers. La délégation avait des propositions de concertation ‘« presse-police-justice’ » pour aboutir à des conditions de travail permettant le respect du droit à l’information. Enfin, le 3 novembre dernier, il avait obtenu un rendez-vous au ministère de la Justice (qu’il avait ouvert aux autres syndicats) au cours duquel il a pu exposer à Mme Guigou ses réserves sur le texte du projet de loi renforçant la présomption d’innocence (nous y reviendrons). Le libre exercice de la profession est menacé. Ils sont nombreux, ceux qui souhaitent encadrer l’information sous prétexte de mieux protéger les citoyens des excès des journalistes. Les 7 et 8 octobre 1998, le Conseil de l’Europe organisait un séminaire sur ‘« l’autorégulation des médias’ » à Strasbourg. Les voix du SNJ-CGT étaient bien seules pour s’opposer à la création de conseils de presse, de codes éthiques, etc. Et pour demander une plus grande liberté dans l’entreprise de presse permettant une plus grande responsabilité des équipes rédactionnelles. De son côté, Catherine Trautmann, ministre de tutelle, a confié à Jean-Marie Charon une mission sur les textes de régulations. Bref les grandes manœuvres sont engagées, comme si les journalistes, gens irresponsables, ne se posaient pas de questions sur leurs pratiques. Comment Mme Trautmann, ex-maire de Strasbourg, peut-elle ignorer ce qui s’est passé à RadioFrance Alsace, dès le 10 décembre. Ce jour là, les neuf journalistes de la station ont fait parvenir une note aux directions de France-Inter et de France-Info. Cette note commençait par ces mots : ‘« rendre compte : OUI. Contribuer à faire monter la pression : NON ’». Ils avertissaient les directions des rédactions qu’ils ne communiqueraient ni le bilan des voitures brûlées les années précédentes, ni les forces déployées et, écrivaient-ils, ‘« toute allusion du genre : la nuit promet d’être agitée, les forces de l’ordre sont mobilisées, etc.»’. Si l’on en croit Le Monde, ‘« Patrice Bertin, chef des informations à France-Inter, en convient : cette initiative a suscité un « malaise » à la rédaction parisienne »’. Entre la déontologie et l’autocensure, il y a une marge, estime le journaliste, constatant qu’il y avait des états d’âmes, louables sur la forme, mais difficilement gérables au quotidien pour une station qui fait de l’information 24 h/24. Le problème de la déontologie, c’est que ça ne peut pas se développer en vase clos, poursuit Patrice Bertin, un journaliste doit d’abord faire son travail. » Qui met de l’huile sur le feu ? Les journalistes de terrain ou les hiérarchies ? Alors que Mme Trautman rappelle les directions à l’ordre et qu’elle prenne l’initiative de nous ‘« libérer’ » ! L’information y gagnera sans doute…

Commentaires du SNJ-CGT sur le rapport intermédiaire de Monsieur Charon -

Mai 1999

Ce rapport intermédiaire nous a surpris : il nous semble qu’il exagère sérieusement la baisse de qualité de l’information, d’une part, et les manquements aux principes professionnels, d’autre part. Nous croyons déceler dans l’architecture du rapport une volonté de schématisation destinée à justifier un certain nombre de propositions pré-établis. Les journalistes d’aujourd’hui sont mieux formés que leurs aînés : alors pourquoi assisterait-on à une ‘« forme de dérive dans la pratique journalistique ainsi que dans la maîtrise éditoriale des principaux médias’ » ? Le rapport reste muet sur deux éléments qui sont, selon le SNJ-CGT, essentiels dans l’approche d’un sujet aussi sensible : la détérioration du statut social du journaliste et la marchandisation de l’information. Il ne s’agit pas d’exonérer les journalistes de toute responsabilité mais de comprendre les mécanismes nouveaux de fabrication de l’information. A ce sujet, nous vous renvoyons à un certain nombre d’ouvrages tels que ‘« La Tyrannie de la communication’ » d’Ignacio Ramonet ou ‘« Les nouveaux chiens de garde’ » de Serge Halimi. Le rapport reste muet sur la responsabilité des ‘« donneurs d’ordre’ », les patrons. Nous avons dénoncé les pratiques de Patrick Poivre d’Arvor, mais qui les a ‘« couvertes’ », sinon la direction de TF1 et du groupe Bouygues. Une seule organisation syndicale s’est opposée à la création d’un fil ‘« people’ » à l’AFP, le SNJ-CGT. Quand les JRI de France 2 protestent contre l’utilisation de certaines images et contre leur déresposanbilisation, ils le font à l’appel de la SNJ-CGT. Quand les reporters-photographes d’agences dénoncent des dérives vers le ‘« people’ », ils le font avec le SNJ-CGT. Nous sommes étonnés de ne pas voir un seul de ces éléments repris dans le rapport. (…) Nous sommes opposés soit à une charte ‘« octroyée’ » par le gouvernement, le Parlement ou le patronat. Les intérêts des journalistes sont aujourd’hui, fondamentalement opposés à ceux de leurs patrons, pour qui, de plus en plus, l’information est un produit comme les autres. Nous sommes favorables à des principes forts, librement acceptés et mis en œuvre.(…) être journaliste, aujourd’hui, est très difficile. Le secteur de l’information est soumis aux mêmes effets néfastes du néolibéralisme que les autres secteurs d’activités. Notamment, avec la tendance lourde à confondre information et communication. Mais aussi avec la volonté évidente de dénoncer tous les statuts et, en particulier celui des journalistes, présenté comme exorbitant. Il nous apparaît nécessaire de lutter en premier lieu contre la marchandisation de l’information (pour en faire un produit vendable), contre sa spectacularisation, plutôt que de museler les journalistes. Le SNJ-CGT entend ‘« protéger’ » les journalistes qui refusent l’information non vérifiée, le bidonnage, etc.