« La nécessaire protection morale du journaliste » - N°3 (nouvelle série) – avril 2000

Face aux appétits grandissants des industriels des médias et de la communication, il est absolument nécessaire d’offrir des garanties sociales et morales aux journalistes. Dans une société démocratique, seul l’état peut préserver le fragile équilibre évoqué ci-dessus. Quand les patrons obtiennent des aides à la presse, les journalistes, eux, obtiennent les protections qui garantissent le libre exercice de leur profession ! Le premier acte de tous régimes autoritaires consiste à suspendre les lois sur la presse et à encadrer l’information (en instituant un ordre des journalistes comme l’avait fait Mussolini en Italie, par exemple). Dans la société française d’aujourd’hui, où souffle un fort vent de libéralisme, le profession se paupérise ; le phénomène provoque la fragilisation des journalistes vis-à-vis de leurs employeurs, avec la montée de la précarité (un journaliste sur cinq est précaire). Or l’affaiblissement du statut du journaliste et de son niveau de protection sociale et morale provoque un grave déséquilibre qui ouvre la voie à une information ‘« mutilée’ ». En effet, quand les journalistes sont dépendants et affaiblis socialement, c’est tout le processus de création qui est mis en péril ! Avec leurs syndicats, les journalistes ont le devoir de préserver leurs acquis sociaux et leurs droits moraux. Dans leur cas, il ne s’agit pas de défendre des privilèges, mais du souci bien partagé d’assurer la liberté pleine et entière d’informer le citoyen dans un état démocratique. Mais comme on la dit plus haut, leur petit nombre ne permettra jamais de constituer un rapport de forces suffisant pour s’opposer aux visées des industriels des médias. C’est pourquoi ils devront chercher en permanence l’appui de toutes les forces démocratiques ayant intérêt à défendre une liberté fondamentale. L’état a aussi l’impérieux devoir de veiller en permanence sur la validité des protections sociales et morales des journalistes. Ces protections trouvent leur origine dans le code du travail, la convention collective et le code de la propriété intellectuelle définissant le droit d’auteur. Le droit d’auteur, c’est d’abord le droit (bassement financier) d’être rémunéré pour toute nouvelle utilisation de son œuvre, mais c’est surtout un droit moral. Quand ils rapportent une information les journalistes engagent leur responsabilité. En permanence. La signature de l’œuvre est de la plus haute importance : elle est la preuve de notre engagement vis-à-vis des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs de leur délivrer une information fiable et vérifiée. La crédibilité de notre mission sociale est le corollaire de notre signature. Le concept de droit moral est défini dans le code de la propriété intellectuelle. C’est lui qui permet que nos œuvres soient signées qu’on ne les trahisse pas en les ‘« caviardant’ » qu’on ne les utilise pas dans n’importe quelles conditions et sur n’importe quel support ou pour des buts indignes, qu’on ne les confonde pas avec la publicité ou la communication. Imagine-t-on ce qui pourrait advenir de nos articles, photographies et reportages audiovisuels sans le contrôle permanent et codifié des journalistes soumis à des principes professionnels ? N’a-t-on pas suffisamment d’exemples d’articles tronqués, de photographies truquées ou d’images détournées, malgré les textes protecteurs ? On ne peut concevoir de véritable liberté d’informer sans la protection formelle du droit moral et de sa traduction sociale, le droit patrimonial. Une réforme du droit d’auteur allant dans le sens de son affaiblissement (que ce soit le droit patrimonial ou le droit moral ou les deux à la fois) entraînerait l’obsolescence de la clause de conscience, pierre angulaire de notre statut. En effet, cette clause est la garantie morale absolue que nous pourrons travailler en accord avec notre conscience ; elle trouve son fondement dans notre qualité d’auteur et, notamment, de nos droits moraux. L’avenir d’une information libre, honnête, vérifiée et ne pouvant être confondu avec la communication, passe par le respect du droit d’auteur des journalistes.