Entretien du mardi 17 juillet à 10 h30

Préalable posé par F.D :

La FNPF est la plus mal placée pour parler de problèmes de déontologie car elle n’est pas au contact permanent de la réalité de l’entreprise et des difficultés des rédactions. Je veux dire que ce contact là, il se trouve dans les organisations professionnelles sectorielles qui sont les adhérents de la Fédération. La Fédération regroupe des familles de presse qui ont leurs propres organisations professionnelles qui s’appellent Syndicat national de la presse quotidienne régionale, de la presse parisienne, etc. Ces dix organisations regroupent en effet des éditeurs qui, en leur qualité d’éditeurs, sont au contact des difficultés rencontrées. Et donc, l’observation quotidienne des problèmes rencontrés et des décisions qu’ils appellent sont pris dans les entreprises éventuellement en coordination avec les organisations professionnelles de premier rang. L’information ne remonte pas nécessairement à la Fédération et de ce point de vue là, la Fédération est mal placée pour vous répondre à des questions de cette nature, comme sur toutes les questions qui se posent habituellement aux entreprises de presse. La Fédération regroupe des syndicats qui, eux, sont au contact alors que nous, nous le sommes qu’a travers eux.

La deuxième chose : en même temps la Fédération est la mieux placée parce qu’elle se trouve dans cette situation d’avoir le recul suffisant pour apprécier ces problèmes avec ce geste qui sied à un organisme fédéral et un organisme fédéral qui, de plus, est tenu de prendre des positions consensuelles c’est-à-dire qu’elle ne peut pas se permettre de prendre une position qui aille contre la volonté ou les vœux de l’un de ses adhérents. Et donc, l’action continue et permanente de la Fédération va viser à trouver l’accord entre des familles de presse qui n’ont pas toujours des intérêts convergents, il faut bien le dire tout simplement parce qu’elles ne s’adressent pas au même public, parce qu’elles n’ont pas les mêmes modes d’élaboration, parce qu’elles ne font pas appel aux même processus industriels et parce qu’elles ne font pas appel aux même personnels.

Donc ça, c’était un préambule nécessaire qui vous expliquera que, sur certaines questions, je serais obligé de sortir un joker en disant « je ne peux pas ».

- D’accord.

  • Question n°1 : Quelles sont les occasions qui permettent l’évocation, au sein de la FNPF, de déontologie ou d’éthique professionnelle en dehors des dérapages médiatiques ? Je pense notamment au développement de l’édition électronique et des dérives possibles qu’il implique ou bien à l’évolution de la jurisprudence

Oui, on s’en préoccupe ne serait-ce parce qu’il y a…On s’en préoccupe lorsqu’il y a dérapage ponctuel qui va s’appeler photo du président de la république sur son lit de mort ou qui va s’appeler photo de certaines personnes politiques ou personnalité de premier plan dont on dévoile la vie privée. Ces questions là sont toujours l’occasion d’un débat. Mais de façon plus générale, il me semble que quelques questions de société suscitent en effet au sein de la profession des réflexions de fond. Par exemple, comment avons-nous parlé des crises alimentaires, on peut penser notamment à la vache folle. Il y aura cet été à Hourtin, un séminaire animé par Jean-Marie Charon sur cette question là. Cette initiative de Jean-Marie est une bonne initiative, certainement. Mais, quand vous voyez que, dans un climat complètement dépassionné, une question de société se pose de façon telle qu’elle conduise éditeurs et journalistes à s’interroger sur la façon dont elle a été traitée. C’est-à-dire qu’il y a quand même, au sein de la profession, une interrogation permanente sur le rôle du journaliste : instituteur des temps modernes, créateur de lien social, quel que soit le rôle qu’on lui assigne en reprenant des formules qui sont connues, il y a une interrogation par rapport à l’évolution de la société sur ce que peut être la fonction du journaliste dans la société de l’information.

  • Question n°2 : Qu’est-ce qui a motivé la réalisation d’une enquête, en 1998, intitulée «  Contentieux et déontologie » ? 919

L’ignorance totale dans laquelle on se trouvait de la réalité des contentieux. C’est-à-dire que l’on ne raisonnait que par rapport à des « on dit », que par rapport à des rumeurs et je souhaitais que nous ayons une base incontestable pour apprécier la réalité de ces problèmes. Et c’est comme cela, par exemple, que l’on a vu que le droit de réponse ne suscitent qu’exceptionnellement des actions en justice. Le droit de réponse est complètement entrée dans la pratique journalistique. Il est rarissime qu’il y ait un contentieux. Et quand il y a un contentieux, c’est parce que vraiment il y a eu une appréciation divergente sur la réalité de la mise en cause. C’était important que nous ayons ces quelques repères de nature statistique. Ca décrit la réalité d’une façon très résumée, très raccourcie. Mais ça décrit quand même la réalité avec forcément la perte de substance que l’on a quand on modélise un schéma de cette finesse, de cette difficulté.

  • Question n°3 : Le résultat de l’enquête a-t-il suscité des commentaires ? Si oui, de quelle nature ?

Je crois que ça a dérouté tout le monde. Je crois que du côté du personnel politique qui est habitué à voir la presse comme un trouble fait et qui à ce titre doit être généralement condamnée…les hommes politiques ont été très étonnés. Je me rappelle de certains d’entre eux qui participaient à notre réunion finale.

-Vous pensez à qui notamment ?

Je pense à Patrick Devedjian, qui est un juriste de formation, avocat, qui est porte-parole de son parti. En parlant avec lui, j’ai constaté qu’il était un peu dérouté de voir que finalement nous avions des résultats qui faisaient des poursuites engagées contre la presse, des événements quasi anecdotiques. Il n’y avait pas une description conforme à l’idée qu’il se faisait de la presse. Le problème est évidemment que l’on ne voit la presse qu’à travers les scandales qui la touchent. Pour faire court, disons que Voici ou Gala sont plus visibles que les 3498 autres journaux et publications qui paraissent en France.

- Ce n’est pas l’arroseur arrosé car finalement la presse s’attache, elle aussi, aux trains qui arrivent en retard. C’est ce que l’on dit communément. Il me semble que la presse réagit par rapport à son public. ça c’est clair. Il appartient aux éditeurs de savoir dans quel cadre ils se situent, dans quel cadre moral ils se situent. Moi, je n’ai pas à condamner Voici ou à condamner Gala ni qui que ce soit. Je constate simplement que certains titres utilisent l’information selon des règles qui ne sont pas partagées par l’ensemble de la profession.

- Et donc, outre les politiques, quelle a été la réaction des syndicats que vous représentez face à cette enquête ?

Les syndicats que nous représentons étaient assez sereins par rapport à ces problèmes là d’autant plus que cette démarche venait après la parution du Livre Blanc de la PQR 920 qui a fixé un cadre déontologique très apprécié au sein de la profession et ça avait été l’occasion justement, au sein de la PQR, de débats extrêmement nombreux dont François-Xavier Alix vous a certainement parlé et qui avaient abouti à des consensus tout à fait remarquables au sein de la profession. J’avais été frappé, lorsque j’avais vu l’élaboration de ce Livre Blanc, de voir combien les positions des journalistes et des éditeurs étaient conformes et convergentes.

- Je suis heureuse de l’apprendre.

Vous n’avez pas eu ce sentiment là ?

- On aura l’occasion de l’évoquer ce problème à travers les prochaines questions.

  • Question n°4 : Y a-t-il eu, depuis cette enquête, une évolution en matière de déontologie commune ?

Non, rien n’a été fait.

  • Question n°5 : La FNPF va-t-elle mettre en place un «  observatoire des médias », comme le préconisait le rapport de l’enquête ?

Elle aimerait bien. Elle aimerait bien. Ce qu’est en train de réaliser Jean-Marie Charon constitue les prémices de cet observatoire. On va voir comment ça se passe.

- A quoi faites-vous allusion ?

Vous connaissez le projet de Jean-Marie ? 

- Il en a tellement…

« Les entretiens de l’information » qui sont typiquement le lieu de débat que l’on pourrait souhaiter où éditeurs et journalistes…et participants contributeurs des médias vont se retrouver à froid pour discuter sur les problèmes qui sont rencontrés.

  • Question n°6 : Avez-vous déjà envisagé, comme l’appelle de ses vœux le SNJ, une concertation avec les organisations syndicales ? Si non, pourquoi ?

Au niveau fédéral ça n’a pas été évoqué. Là, la Fédération est mal placée parce qu’elle n’est pas impliquée dans la relation habituelle avec les partenaires sociaux qui se fait systématiquement au niveau des syndicats constitutifs de la Fédération… Cela dit pourquoi pas. Personnellement, je pense que ça ne serait pas une mauvaise chose que nous ayons, avec les syndicats de journalistes, sur ce type de sujet, des relations complètement dépassionnées qui permettent de faire avancer les réflexions sur la déontologie. Ca, j’y crois beaucoup.

  • Question n°7 : Pensez-vous, comme l’écrit Philippe Meyer, que «   la déontologie est un pouvoir qui n’est pas prêt d’être partagé  », notamment entre les syndicats de journalistes et les organisations patronales ? (le discours éthique en tant que mode d’arbitrage des jeux de pouvoirs)

Je ne comprends pas très bien pourquoi la déontologie serait un pouvoir. Pour moi, c’est une conviction affichée. C’est une conviction affichée, c’est une adhésion, une adhésion à un corpus de règles qu’on se définit en commun. La déontologie c’est quand même très largement une position morale. Pourquoi est-ce que ça deviendrait un pouvoir ? Ca m’échappe un peu. La pensée de Philippe Meyer est un peu trop subtile pour moi.

- Cette remarque de Philippe Meyer me paraît pourtant extrêmement intéressante. Elle pose le problème de la façon dont deux communautés se saisissent de l’éthique, notamment dans leur discours, et comment le discours éthique arbitre des jeux de pouvoir.

ça rejoint la question précédente. Est-ce que le sentiment d’appartenance peut se passer de l’adhésion déontologique ? Et, est-ce que ce sentiment d’appartenance va en effet déterminer une zone d’intervention, un espace de rayonnement, un champ d’action, une capacité de pouvoir ? C’est la profession dans le sentiment qu’elle a d’elle-même. C’est ça ? Alors j’avais peut-être une vision un peu angélique. Cela dit, il faut bien reconnaître que dans la démarche que nous sommes en train de conduire concernant la visibilité des sites d’information sur le net, nous avons appelé cette démarche, une démarche de labellisation. Une démarche de labellisation, ça n’est rien d’autre qu’une certification par rapport à une charte d’adhésion. L’éditeur remplit un certain nombre de positions définies par cette charte, se reconnaît dans les obligations qu’elle lui impose et accepte la sanction lorsqu’il ne coïncide plus avec la Charte en question. Bien sûr, cette labellisation est conçue en direction de nos publics et là, elle a pour objet de leur permettre d’aller en confiance vers les médiateurs que nous sommes. Elle a un autre objet qui est de délimiter un champ de responsabilités, de définir cette responsabilité que nous revendiquons et de dire « ceux qui sont en dehors de ce champ ne sont pas fiables puisqu’il ne revendique pas cette responsabilité ». On se retrouve bien sûr dans une situation de concurrence et, en ce sens, la démarche de labellisation va forcément être une démarche d’exclusion. Alors, la question que je me pose est de savoir si une démarche de labellisation est une démarche déontologique ? Je n’ai pas de réponse.

- Alain Boulonne parlait, à l’occasion de son discours de clôture du Congrès de la FNPF à Lille, de « formalisation déontologique à l’égard des internautes ».

  • Question n°8 : Quelle est, selon vous la tendance actuelle des éditeurs de presse à l’égard des questions de déontologie ?

Je ne suis pas capable de répondre. Je ne vous donnerai qu’un sentiment partiel. Je ressens beaucoup, aujourd’hui, une démarche de revendication de responsabilités. Mais c’est vraiment un sentiment très personnel. J’ai vraiment le sentiment, qu’aujourd’hui, il y a à la fois la recherche d’une meilleure adéquation au besoin du public, une meilleure relation avec le lecteur et en même temps la volonté d’assurer de l’appartenance à une communauté. On va vers la labellisation de plus en plus et on sent bien qu’une démarche vers la labellisation, que cette démarche de constitution de communauté ne se fera pas sans une certaine vision éthique du rôle de cette communauté. Alors, c’est un peu flou mais j’ai eu deux congrès ces derniers temps où cette question était en filigrane et ça m’a beaucoup intéressé de voir que les éditeurs se reconnaissaient dans une démarche de délimitation. Quel rôle ils vont jouer là dedans ? L’éditeur, créateur de lien social, animateur d’une communauté ? Il ne peut pas le faire sans avoir une vision politique de ce que sera son rôle dans cette communauté. Voilà, sentiment très personnel que vous prenez pour tel.

  • Question n°9 : Que pensez-vous de l’élaboration de «  chartes maison » au sein des différents éditeurs de presse ?

Rien. C’est très bien. C’est très bien.

  • Question n°10 : Quels sont, selon vous, leurs objectifs ? Qu’est-ce qui les distingue ?

(Rires) Bon. C’est une nécessité. (Silence) ça n’engage que moi. La Charte Maison, elle est généralement là pour s’assurer que le journaliste entrant adhère effectivement à un cahier des charges.

-Pourquoi alors ne pas l’appeler « Cahier des charges » ?

Voilà. (Silence). La réflexion au niveau de l’entreprise va toujours buter sur une relation d’employeur à employé. (Silence) Mais, là aussi c’est une opinion extrêmement personnelle qui me serait reprochée. La démarche professionnelle est intéressante parce qu’elle définit un cadre qui se situe au-delà de la relation employeur / employé. Toute l’ambiguïté du travail de journaliste heu…, de la démarche du journaliste, a été d’obtenir, pendant des années, qu’il soit mis fin à leur précarité. Ils l’ont obtenu en devenant des salariés. Aujourd’hui ils sont dans une démarche inverse. Ils veulent se faire reconnaître comme auteur. Le statut d’auteur et celui de salarié sont difficilement compatibles. Je ne sais pas ce qui va advenir de tout ça. Je veux dire que le statut de salarié va définir un certain type de relations sociales. Le journaliste acceptant de se plier dans son œuvre de création, n’exagérons rien l’œuvre de création chez les journalistes est quand même (silence) très limitée, je ne dis pas dans les sens, mais je dis dans le nombre. Le nombre de journalistes qui font justement acte de création n’est pas considérable. Mais le journaliste accepte, en entrant dans une relation de salarié, que son œuvre de création soit censurée, soit acceptée ou refusée, qu’elle soit publiée ou non-publiée. Ce rapport là est un rapport de hiérarchie. Il tient à un lien de subordination. Je veux bien que l’on me parle de l’adhésion à un certain état d’esprit d’entreprise, je veux bien que l’on me parle d’esprit maison, je veux bien que l’on me parle d’historique, de tout ce qui fait la culture d’entreprise. J’ai un peu de mal à entrer dans l’idée que c’est au niveau de l’entreprise que l’on va définir une déontologie qui va faire table rase de ce lien de subordination. C’est impensable. Je crois que la déontologie et son élaboration ne peuvent venir que d’une structure plus large où le lien s’est effacé derrière une volonté commune. C’est pour cela, et c’est ce que je disais tout à l’heure, que je suis tout à fait favorable à des discussions apaisées entre syndicats de journalistes et représentants d’entreprises. Parce que le cadre dans lequel une déontologie est susceptible de se fixer est forcément un cadre professionnel. La branche me semble être le lieu de cette élaboration. Mais une fois encore c’est une opinion tout à fait personnelle. Je ne suis pas sûr qu’elle aille dans le sens que vous souhaitez.

Je ne souhaite rien. J’observe ! (sourires)

  • Question n°11 : Pourquoi, dans la plupart des cas, les journalistes ne sont pas invités à réfléchir à l’élaboration de ces chartes d’entreprise ? (Selon l’enquête de la FNPF)

Je ne sais pas. Non mais ça rejoint ma réflexion précédente. Je veux dire que l’on est exactement dans le même ordre d’idées.

  • Question n°12 : Comment expliquez-vous le refus des organisations patronales d’introduire la Charte du SNJ , par exemple, dans la convention collective ?

Je suis incapable de vous dire. Je n’ai pas connaissance que cette question ait été posée autrement que par provocation par le représentant du SNJ, dans une réunion où j’étais. Donc je ne vais pas répondre là-dessus. Et honnêtement, la question n’a jamais été posée devant moi, depuis cinq ans que je suis là.

- Moi, je vous la pose !

(Rires) ça supposerait que je reprenne la Charte de 18.

- Vous la connaissez ?

Un peu.

- On peut parler de celle de Munich si vous préférez !

Attendez ne m’entraînez pas…Pas de réponse par méconnaissance et par réflexion insuffisante. J’avoue.

  • Question n°13 : Pensez-vous qu’une référence commune en matière d’éthique soit nécessaire ? Si non, pourquoi ?(J’ajoute à la question, à laquelle F. Devevey avait déjà plus ou moins répondu, les propos d’Alain Boulonne concernant la «   formalisation déontologique de notre engagement à l’égard des internautes  » en soulignant que la société Vivendi avait, elle aussi, créé une charte à l’égard des internautes)

(Rires) puis silence.

  • Question n°14 : Qu’est-ce qui selon vous différencie la position des syndicats de journalistes en matière d’éthique professionnelle de celle des organisations patronales ? (j’ajoute à la question initiale, en ironisant : «  y aurait-il une charte des salariés et une charte des patrons ?)

(Rires) J’ai peur, qu’en effet, les uns et les autres ne soient pas totalement autonomes par rapport aux réalités classiques. Non je n’ai pas de réponse. Je ne sais pas. Je pense que les sensibilités sont différentes parce que la confrontation, la vie de l’entreprise n’est pas tout à fait la même. Tout cela est difficile à gérer. Je veux dire qu’à partir du moment où j’introduis une dimension économique dans ce type de réflexion, je remets en cause le principe de la démarche éthique préalable. Il est extrêmement difficile, et pour les uns et pour les autres, de s’abstraire de cet environnement quotidien de l’entreprise. Il est extrêmement difficile de s’abstraire des nécessités du compte de résultat. Il est extrêmement difficile de s’abstraire des nécessités de la carrière, du risque de chômage. Tout ça pour dire qu’au-delà de la réflexion éthérée que nous pouvons avoir, un certain nombre de réalités ne manquent pas de se manifester jour après jour dans la vie du journaliste comme dans la vie de l’éditeur.

- Pardonnez-moi, mais je ne vois pas en quoi la prise en compte d’une dimension éthique de la profession viendrait influer sur le compte de résultat ?

Non la question était : « comment se fait-il que l’on ait des démarches parallèles ? » Moi, je vous dis, on a des démarches parallèles parce qu’il y a des environnements parallèles. En disant cela, j’ai parfaitement conscience du fait qu’on nie, en reconnaissant l’incidence de ces environnements, on nie la démarche déontologique qui devrait tendre à s’en abstraire.

  • Question n° 15 : Avez-vous déjà eu à prendre position à l’égard des questions d’éthique notamment à l’occasion d’une réflexion sur le statut de journaliste ?

Non. ça ne me dit rien. Je n’ai pas connaissance que l’on ait eue à le faire à propos du statut.

- Je fais le lien avec la question n°26 que je pose à F. Devevey : En juin 1999, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la présomption d’innocence, Jacques Larché, alors président de la commission des lois du Sénat disait ceci : « On peut justifier l’amendement dans la mesure où la profession de journaliste n’est pas organisée. Nous lui avons demandé de se doter d’une déontologie. Elle s’y refuse. C’est extrêmement fâcheux. Il y a quelque chose d’extraordinaire à ce que ce pouvoir de la presse, qui s’exerce d’une manière qui bien souvent nous scandalise, soit livré à lui-même ». Qu’auriez-vous à répondre ?

( Sur un ton agacé) Je me pose une question : comment peut-on dire qu’il y a un pouvoir livré à lui-même ? C’est-à-dire qu’il y a un pouvoir sans contrôle. ça veut dire qu’il y a un pouvoir qui s’exerce au mépris des lois et des règlements. ça veut dire que…

- Jacques Larché ne parle pas de loi mais de déontologie

Non. Vous voulez reprendre la phrase : « c’est un pouvoir… »

- « Il y a quelque chose d’extraordinaire à ce que ce pouvoir de la presse qui s’exerce d’une manière qui bien souvent nous scandalise soit livré à lui-même »

Un pouvoir livré à lui-même, ça veut dire quoi ? Est-ce que c’est un reproche en direction des éditeurs d’exercer une fonction d’information ? Est-ce que c’est un reproche des éditeurs d’exercer à travers cette fonction de l’information le pouvoir qu’exerce celui qui transmet des idées ? Le pouvoir du médiateur. J’ai trouvé cette réflexion extrêmement inquiétante.

- C’est une atteinte à la liberté de la presse ? !

écoutez, pas trop de grands mots mais c’est quand même, de la part du sénateur en question, une vraie interrogation sur la nécessité de limiter ce pouvoir. Ce n’est pas le problème des menottes qui est posé. C’est le sentiment que, si on laisse faire l’information, le pouvoir échappe à ceux qui sont chargés de l’exercer.

- Vous ne croyez pas que Jacques Larché dit en filigrane « puisque la profession n’est pas capable, en son sein, de s’organiser en matière de déontologie, nous on va le faire à sa place ».

(énervé) Vous avez vu l’importance du débat qui s’est développé autour de ces questions là. Vous avez vu les arguments contradictoires qui ont été échangés…

- Nous sommes en démocratie.

Ouais. Tout à fait. Et est-ce que vous avez véritablement le sentiment qu’il y a des dérapages graves. Je veux dire que ce qui caractérise la presse française c’est qu’elle sait rester, que ce soit codifié ou non, dans un certain sentier de vertu. C’est complètement évident. Nous ne sommes pas dans une presse attentatoire aux libertés d’autrui. On n’est pas dans un système d’exercice excessif du pouvoir d’informer. On n’est pas dans un système dont on puisse dire qu’il modifie les équilibres en utilisant des arguments fallacieux. Enfin il me semble que l’on est quand même dans un système de vérité et d’honnêteté. Le fait qu’un sénateur dise cela m’inquiète beaucoup. Cela prouve que l’image que nous donnons de nous… ou bien je dis « on donne une mauvaise image, on ne sait pas communiquer sur ce que l’on fait » ou… » le mal est plus profond que je ne le pense et je n’ai pas su percevoir la réalité de l’inquiétude ». (silence)

Je dois vous quitter j’ai un rendez-vous avec un député. J’ai rendez-vous au Palais Bourbon dans une demi-heure. Je sais ce qu’il va me dire : « vous ne rendez pas compte de nos réalisations. Vous ne rendez compte que des joutes qui peuvent exister au sein d’une circonscription politique quelle qu’elle soit, commune, arrondissement, département, etc. que par le petit bout de la lorgnette. Ce discours là, je l’ai entendu à chaque fois, chaque fois, chaque fois que j’ai rencontré un parlementaire, notamment au Sénat. C’est peut être bon signe finalement.

- Il me semble que Jacques Larché évoque la possibilité de donner une lisibilité à une démarche commune en matière de déontologie de la profession de journaliste.

Vous avez vu l’histoire de l’image de la femme dans la publicité. Le BVP va sortir de nouvelles revendications. Si la profession n’est pas capable de prendre ses responsabilités, nous allons légiférer. Légiférer en disant quoi ? (Silence) La publicité doit donner de la femme une image positive. C’est absurde ça ne relève pas de la loi, ça relève d’une attitude commune que l’on peut avoir. Je veux dire traiter le problème de la femme dans la publicité sans traiter le problème des minorités, sans traiter le problème des enfants…

- En matière de publicité je crois que les enfants sont bien protégés. D’autre part, ça n’empêche pas de pouvoir commencer par les femmes…

On peut commencer… Je veux dire que le problème n’est pas celui là. Vous imaginez vraiment une loi disant « il faut donner une image positive de la femme…. ». On parle de pouvoir non contrôlé. C’est à mon avis éminemment subjectif.

(Fin du premier entretien –reprise d’un rendez-vous)

Notes
919.

Voir à ce propos le compte-rendu de cette enquête dans «  Déontologie des médias », in Revue Médiaspouvoirs , n°4, nouvelle série, troisième trimestre 1998, pp. 116-125

920.

Règles et Usages de la PQR (1995)