Vendredi 20 juillet 2001 à 10 h 30

Préalable de F. Devevey

La réflexion que vous m’avez rapportée de P. Meyer, je l’ai trouvée très intéressante. A bien y réfléchir, je crois qu’il a raison.

(Silence) Y’a quand même une question mais ce n’est qu’une question. Je n’ai pas de réponse. Y’a quand même une question à poser sur la vision qu’ont les journalistes de leur propre rôle et de leur travail au sein de l’entreprise. Je crois qu’il est malhonnête de dire, d’un côté, que le patronat est le seul responsable des dérives déontologiques et de l’autre de dire ‘« nous exigeons le maintien de l’ensemble des clauses qui préservent notre conscience »’ qui vont s’appeler clause de cession, clause de conscience, etc. et qui ont pour seul objectif, en effet, de donner aux journalistes la possibilité de ne pas travailler contre sa conscience. Dire : ‘« le patronat est seul responsable’ » c’est, par avance, se reconnaître dans une situation de dépendance telle que ni conscience ni cœur ne sont appelés à la rescousse dans le déroulement quotidien du travail de journaliste. Donc dire cela, à mon avis, relève d’une certaine vision contradictoire. Ce n’est pas, à mon sens, et là c’est une opinion personnelle, une situation exceptionnelle pour les journalistes. Je constate que dans les occasions importantes, le journaliste hésite entre la revendication de leur statut, avec toutes les conséquences que ça peut avoir notamment en terme de sécurité d’emploi, et une approche plus intellectuelle et plus satisfaisante qui ferait d’eux des auteurs indépendants. Le statut du journaliste est le résultat d’une certaine conquête sociale. Le journaliste, aujourd’hui, a un statut parfaitement clair qui est celui d’auteur/salarié. Remettre en cause, à l’occasion de la mise en ligne de certains contenus, à l’occasion de la création d’une presse numérisée, à l’occasion de l’émergence de nouveaux modes de diffusion quels qu’ils soient. Les journalistes exigent la reconnaissance d’un droit d’auteur. Je ne parle pas d’un droit moral, je parle d’un versement de droit d’auteur. C’est-à-dire qu’ils abandonnent le statut spécifique qui est le leur d’auteur/salarié de contributeur salarié. Lorsque les journalistes disent : ‘» nous souhaitons bénéficier d’une rémunération proportionnelle au chiffre d’affaires »’, ça été quand même la première demande et c’est celle qui figure dans un certain nombre d’accords de branche et d’accords d’entreprise. Lorsque les journalistes disent ‘« nous souhaitons une rémunération proportionnelle »’ ça veut dire qu’ils abandonnent l’acquis social qui est le leur pour accepter l’incertitude. Je cite cela pour montrer que l’on est quand même très souvent, dans le discours des journalistes, confrontés à des remises en cause. L’exemple que vous venez de me donner, déclaration un peu agressive du Libre Blanc, me semble relever de cette même incertitude par rapport aux éditeurs.

- Jacques Morandat, directeur de la FFAP, précisait qu’il avait soumis aux syndicats de journalistes la possibilité d’assimiler le non-respect de la Charte à une faute. Ce qui impliquerait la possibilité de licencier sans indemnités. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que Jacques a raison. C’est une petit peu de la fiction. Si on essaie de raisonner par rapport aux attitudes habituelles, je pense, qu’en effet, ils refuseront absolument que la Charte puisse valoir engagement et le défaut étant sanctionné.

  • Question n°19 : Ne pensez-vous pas que la multiplication de chartes déontologiques d’entreprise porte atteinte à l’unicité de la profession ?

Je vous ai dit, la dernière fois que l’on s’était vu, ma conviction. La multiplication des Chartes, c’est autant de tentatives, autant d’essais, d’approcher une certaine honnêteté. Jamais je ne critiquerai ces démarches. Chaque entreprise a sa personnalité propre. Je pense au contraire que cette démarche, c’est le signe du mouvement d’une longue marche vers la qualité. C’est le constat que la presse est extrêmement diverse, etc.

- Je m’interroge toutefois sur la réalité d’une « profession » qui certes se reconnaît dans la carte de presse mais n’arrive pas sinon à s’unir du moins à s’entendre sur une éthique qui lui serait commune.

Vous êtes en train de tomber dans les tautologies que l’on connaît bien sur la définition de l’entreprise d’information, de la société de presse. Elle est inévitable, personne n’a réussi à résoudre ce problème. Est-ce que la loi définit la société de presse ? Est-ce que la loi définit l’information ? Elle s’y est efforcée. Et vous ne trouverez jamais de réponse autre que tautologique. Une entreprise ‘« d’information’ », ce terme n’existe nul part. Un journaliste est celui qui travaille et qui tire l’essentiel de ses revenus de son activité de journaliste. On est vraiment dans la tautologie tout à fait remarquable. Personne, aujourd’hui, n’est arrivé à définir celui qui travaille dans l’entreprise de presse, l’entreprise par rapport à son objectif, à définir l’objectif par rapport à l’entreprise et donc à définir le contenu par rapport à l’activité. Il serait évidemment beaucoup plus simple de dire ‘« est journaliste celui qui s’aligne à tel type d’activité »’. Et cette activité va se définir par rapport à un contenu. Mais comment allez-vous apprécier ? Vous arrivez à une vision totalement subjective. Vous allez dire : « n’est information que ce qui est utile. N’est information que ce qui est consommée. N’est information que ce qui apporte une satisfaction à une personne déterminée. A quel public ? Comment voulez-vous le définir ? On n’a jamais été assez loin pour aboutir à une définition de ce qu’est l’information. Donc on en est réduit à des approches, à des approximations, à des sous-entendus. Tout cela se traduisant par des espoirs, par des conceptions qui sont moins ambitieuses. Mais il est de fait que le contributeur Gala, le contributeur Esprit, le contributeur France-Soir, La Provence, ont le même statut. Je ne suis pas sûr qu’ils font exactement le même métier. Ils sont publicitaires car ils rendent public.

Est-ce que l’on peut envisager une démarche déontologique qui ne ferait pas de l’activité de journaliste la réunion d’un certain nombre de composantes ? Je crois que si l’on s’en tient à des fonctions : collecte traitement et diffusion on va vite s’apercevoir que la profession de journaliste est conçue comme l’ensemble des personnes qu’effectue l’ensemble des tâches que l’on a reconnu être celles du journaliste. En revanche si l’on reconnaît aux journalistes l’obligation morale je pense que l’on se retrouve dans une vision cohérente de la place du journaliste dans une échelle d’information.

  • Question n°20 : Qu’est-ce que vous inspire les propos tenus lors du colloque intitulé «  Justice et presse » organisé par l’Ordre des avocats de la Cour de Paris en 1993 : «  En posant comme principe de base que la Liberté d’expression fait partie intégrante de la notion de démocratie, chacun s’est accordé à reconnaître qu’il appartient principalement au juge d’apporter sa contribution à une déontologie générale » ?

Il est probable que les magistrats en avaient l’ambition. Il y a dans la phrase que vous citez, un intermédiaire qu’est la déontologie entre la liberté et la responsabilité. La question qu’a posée la Fédération, depuis très longtemps, et c’était le thème d’un congrès que l’on avait fait en 1991, est : ‘« Existe-t-il une liberté qui n’est pas censurée par la responsabilité ?’ ». Notre déontologie primaire est de dire : ‘« nous revendiquons une liberté que nous associons à une responsabilité’ ». La responsabilité, elle relève du droit aussi. Jacques a raison lorsqu’il dit ‘« on fait une charte, on l’a fait signer et on l’affiche »’. C’est un moyen pratique de dire : ‘« vous voyez, je ne suis peut être pas très blanc mais je n’avais pas d’autre ambition que de l’être ’».

  • Question n°21 : Qu’avez-vous envie de répondre lorsque l’on vous dit : «  Les patrons de presse sont opposés, dans leur majorité, à la démarche déontologique, celle-ci étant facteur d’indépendance de leur personnel » ?

C’est une totale absurdité. Une démarche déontologique c’est une démarche de convergence. Donc ne pas avoir envie d’une démarche déontologique que l’on ne met pas en œuvre…si l’on ne la met pas en œuvre, le problème de délimitation du pouvoir reste un problème de rapport de force dans l’entreprise. Une charte recueille une adhésion quelle que soit la réalité de son élaboration. Une charte qui ne reçoit pas d’adhésion n’est pas une charte….

- La Charte de Ouest-France avait-elle reçu l’adhésion des journalistes ?

Je n'en sais rien. Mais je n'imagine absolument pas les journalistes de Ouest-France disant : « Ah ! Merci François-Régis, c’est ce que nous attendions ! »

  • Question n°22 : Les entreprises de presse sont, dans leur grande majorité, soucieuses du lien qui les unit au public, au citoyen notamment lorsqu’il s’agit d’aborder les questions de crédibilité des médias. Ne pensez-vous pas qu’avec le développement des «  chartes internes », l’opinion rencontre une difficulté à percevoir l’engagement d’une démarche d’ensemble, cohérente ?

Je n’aime pas du tout ce sondage ‘« La Croix -Télérama’ ». Je pense que c’est un thermomètre incertain. Je suis issu du corps des statisticiens. Je dis simplement que ce type de question désincarnée ne correspond pas à la capacité de la plupart des interviewés. Je pense que l’on pose une question qui n’est pas en phase avec la réalité de la perception que les gens peuvent avoir de leurs médias et que si on voulait avoir des réponses directement exploitables il faudrait évidemment personnaliser la relation entre les lecteurs et leurs journaux. Cette relation n’est pas désincarnée. Je veux dire que si je vais acheter le journal, je ne dis pas ‘« je vais acheter indifféremment n’importe quel journal ’», je vais acheter ‘« mon journal’ ». Bon très bien, cette enquête est utile, je pense qu’elle permet d’établir des chronologies, elle permet de s’interroger sur les effets de l’actualité sur la crédibilité.

  • Question n°23 : Qu’avez-vous à répondre à cette question posée par Jean-Marie Charon dans le rapport commandé et remis à l’ancienne ministre de la Culture et de la Communication, Catherine Trautman : «   Comment, dans un monde où chacun se soumet à la réflexion, se trouve confronté à l’exigence de transparence, les journalistes pourraient-ils prétendre que leur déontologie, leur éthique ne peuvent être jugés que par eux-mêmes ?  »

Je suis absolument d’accord. L’idée que la qualité déontologique du travail de journaliste ne peut être appréciée que par ses pairs, est une idée totalitaire. Je refuse absolument, parce que ce qu’il y a derrière cette question c’est ‘« mettons en place une charte, mettons en place un mode d’emploi général, reconnu et toute infraction relèvera d’un tribunal professionnel’ ».

- Autres que par ses pairs ! Mais les médecins ou les avocats sont soumis au jugement de leurs pairs !

Le médecin est jugé par ses pairs ! Pas du tout. Sa responsabilité civile et pénale est susceptible d’être mise en cause devant n’importe quel tribunal d’ordre judiciaire. Un avocat l’est également. Il est jugé par ses pairs à un certain niveau de pratique professionnelle. C’est le rôle de la justice. C’est la mission du journaliste d’être apprécié par son public. C’est absurde, pour un journaliste qui fait son métier, de ne pas accepter la censure du public. Dire que seuls les professionnels sont à même de juger les pratiques professionnelles, c’est dire que la démarche du journaliste n’est pas accessible, dans son essence, à la pensée commune. C’est absurde.

  • Question n°24 : Pensez-vous que la commission de la Carte (commission paritaire) devrait jouer un rôle en matière d’éthique professionnelle ? (attribution de la carte subordonnée à une adhésion à certains principes communément admis)

Non. Je pense que la question aujourd’hui est : ‘« quelle est l’utilité de la carte ?’ ». Je suis navré de devoir dire que la carte de journaliste n’est jamais que l’application des allègements fiscaux. La disparition progressive des allègements fiscaux peut avoir pour effet de nous interroger sur l’opportunité de la carte. Si en effet on va plus loin, on peut se dire que la délivrance de la carte va être la manifestation de l’adhésion à un certain corpus déontologique. La délivrance de la carte va être la démarche tangible du journaliste qui se reconnaît comme appartenant à une profession et acceptant de se plier aux règles. Je ne suis pas persuadé que le meilleur endroit pour ce type de démarche soit la commission de la carte.

- Pour quelles raisons ?

Pour des raisons de composition. Je pense que son historique n’est pas très favorable. Ce que je constate c’est que le nombre de journalistes former à leur métier est de l’ordre de 15 %, qui ont acquis le B.A.B.A de la déontologie, qui ont acquis la formation juridique, qui savent ce qu’il y a dans la loi de 81, qui sont capables d’intuiter l’ensemble des droits et des devoirs. Je me dis 1- c’est une démarche intéressante, 2- je ne suis pas sûr que la commission est l’endroit idéal pour ce type de délivrance, 3- on évitera pas un débat sur la formation des journalistes.

- Quel serait l’endroit idéal ? La FNPF ?

Le lieu idéal, c’est le lieu habituel de rencontre entre partenaires sociaux.