« Le syndicat de la presse quotidienne régionale »

Bruno Hocquart de Turtot : Directeur général du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR)

Entretien du jeudi 4 avril 2002 – Paris – 13 h

  • Question n°1 : Quelles sont les occasions qui permettent l’évocation, par les syndicats de journalistes et les organisations patronales de presse, de déontologie ou d’éthique professionnelle en dehors des dérapages médiatiques ? (je pense notamment au développement de l’édition électronique et des dérives possibles qu’il implique ou bien à l’évolution de la jurisprudence)

On a eu, ce matin, un échange avec les rédacteurs en chef, concernant la violence du Livre-CGT sur la distribution de la presse gratuite. Donc est-ce que nous, rédacteurs en chef, nous, journalistes, nous ne devons pas avoir un discours sur le respect de la Liberté de la presse, de la déontologie de notre métier qui est mise en cause par ces agressions ? (…) Donc là, on est complètement dans le vif du sujet. (…)Y’a un problème, effectivement, de discours sur ce que l’on entend par Liberté de la presse et Liberté d’expression. Là, je pense que l’on est en plein dans l’éthique (…) On a reçu Robert Ménard qui nous a présenté le rapport sur les atteintes à la Liberté de la presse. Donc là aussi, on a eu un débat extrêmement intéressant qui engageait effectivement toutes les réflexions sur l’éthique du journaliste. Quel est leur rôle ? , Quelle est leur mission ? Que doivent-ils faire ? Comment se comporter par rapport à des lois qui, en France, sont très contraignantes pour la presse ? On est un pays démocratique où les lois sur la presse sont les plus développées, les plus répressives. Donc tout ça pour vous dire, à chaque fois que l’on a une réunion de la commission de l’information, on a des sujets comme ça, d’actualité, qui sont abordés et qui mettent en cause, comme ça, l’éthique des journalistes, de la profession, avec la difficulté que l’on a toujours, c’est que dans cette commission, avec des rédacteurs en chef qui sont journalistes mais qui sont aussi rédacteurs en chef (…). Il est intéressant de voir le positionnement de chacun en fonction des caractéristiques un peu personnelles de son chef d’entreprise. Alors pour en revenir plus directement à votre question, on a eu l’occasion d’aborder l’éthique du journalisme à l’occasion effectivement des développements multimédias et, plus récemment, de la presse gratuite. Nous nous situons, nous, journalistes, par rapport à cette presse financée essentiellement par la publicité, donc c’est vrai que cette irruption des nouvelles technologies du côté du multimédia a fortement ébranlé, les références que s’étaient donnés les journalistes de la presse écrite.

(…) La PQR, tout en ayant fait un effort de réflexion sur la déontologie…Vous avez peut-être eu la charte…heu ! …Moi je n’étais pas là.

- En 1995, « les règles et usages de la PQR » ?

Oui, oui. C’est Jean-Pierre Delivet qui avait travaillé là-dessus. Une fois que l’on avait fait ça, on était très content, on ronronnait pendant trois ou quatre ans, on parlait plus du tout de déontologie, d’éthique. Puis l’arrivée des nouvelles technologies a réveillé le débat et a amené la profession à se poser un certain nombre de questions sur cette information liée aux nouvelles technologies avec leurs caractéristiques d’actualisation permanente, de rapidité, de course aux scoops, de rapport entre l’écrit et l’écran…Un certain nombre de questions se sont posées mais il n’y a pas eu, pour l’instant, de véritables réponses. On en est au questionnement.

  • Question n°2 : Qu’est-ce qui a motivé la réalisation d’un «  Livre Blanc de la PQR » ?

Ce qui a amené la publication de ce Livre blanc, c’est la multiplicité des incidents, des contentieux en terme de relations presse / justice. C’est clair. Y’a eu, je crois que c’était en 91, l’introduction, dans la loi, dans le code civil du fameux art.9.1, qui a donné lieu à de multiples débats au sein de la profession, des interventions auprès des parlementaires etc. et qui a amené l’ensemble des rédacteurs en chef et les éditeurs de la presse quotidienne régionale, à se dire qu’il serait temps que nous essayions d’élaborer, ensemble, des règles que l’on publierait et qui ferait qu’on clarifierait nos relations, tant avec les services de police qu’avec les structures de la justice. Il y a dû sans doute avoir, en ce temps là, un certain nombre de faits-divers lourds et graves, puisque c’était l’époque du petit garçon, vous savez…

l’affaire Grégory

Voilà, ce sont ces événements qui ont conduit la profession à se dire ‘« il faut que l’on arrive à élaborer quelque chose »’, enfin qu’on arrive à élaborer, au moins que l’on se pose des questions et si on arrive à élaborer quelque chose de commun à l’ensemble de la PQR, ça serait très bien.

- De commun à la PQR ?

C’est ça, de commun.

- Comment expliquez-vous le fait qu’aucun titre de la PQR n’ait cité, en guise de référence, le Livre blanc de la PQR ?

Parce que ça a été oublié. Ca a été complètement oublié… et ça n’a pas, sans doute, été…ça nous a plus servi de référence interne. Nous n’en avons pas fait une exploitation médiatique. Je peux vous dire que, l’année dernière, j’avais rencontré les parlementaires à l’occasion de la loi sur la présomption d’innocence, quand je leur ai parlé des Règles et usages, ils m’ont dit ‘« mais pourquoi vous n’avez pas valorisé, exploité etc. nous, on est toujours en train de dire que vous écrivez n’importe quoi, que vous faites n’importe quoi’ ». Bon, le problème de la PQR, c’est que c’est le rassemblement de 33 titres qui peuvent avoir des points de vue totalement différents, qui n’aboutissent pas forcément. Nous sommes très fiers d’avoir inscrit la mise en place de Règles et d’usages mais nous n’avons pas réussi, enfin là j’interprète, nous n’avons sans doute pas réussi à nous mettre d’accord sur l’utilisation que l’on en fait. Comme ce matin, nous avons eu un débat sur la violence (engendrée par la diffusion des Gratuits), nous n’avons pas réussi à prendre une position commune avec les 33 rédacteurs en chef, chacun ayant des points de vue extrêmement différents. La conclusion à laquelle nous sommes arrivés et bien, c’est très bien, nous avons eu un échange là-dessus, et ça prouve que nous avons une liberté d’échanges entre nous mais de là à définir une position commune, 33 titres qui ont leur histoire, leur référence, leur idéologie, etc., c’est très difficile même sur des sujets d’intérêt commun, comme celui que vous citez.

- Mais votre réflexion vous la situez en disant ‘« la référence commune est impossible au niveau de l’éthique ou au niveau de la profession »’ ?

Chaque journaliste s’inscrit dans une entreprise de presse. (suite off the record)

  • Question n°3 : A-t-il (le Livre Blanc) suscité des commentaires ? Si oui, sous quelles formes ?

C’est le minimum vital. C’est insuffisant donc nous allons, chacun, dans nos titres, développer nos propres chartes. C’était donc bien accueilli par les rédacteurs en chef et par les éditeurs de presse.

  • Question n°4 : Y a-t-il eu une évolution en matière de déontologie commune, depuis la rédaction de ce Livre Blanc ?

Pas au niveau où vous l’entendez. Au niveau des titres oui. Les titres se sont beaucoup investis dans ces questions là.

  • Question n°5 : Avez-vous déjà envisagé, comme l’appelait de ses vœux le SNJ, une concertation avec les organisations syndicales ? Si non, pourquoi ?

Non, parce que ça relève complètement des entreprises de presse. ça c’est clair. Nous, nous considérons comme un laboratoire d’idées et d’échanges, et c’est vrai dans le domaine là, dans le domaine social, dans le domaine des nouvelles technologies, favorisant les échanges, réunissant les 25 rédacteurs en chef, on réunit les 25 DRH, on réunit les 25 éditeurs…nous leur apportons des matériaux de réflexion à partir du moment où il y a une action commune à poser, nous considérons que c’est moins le rôle du syndicat que des entrepreneurs eux-mêmes.

  • Question n°6 : Pensez-vous, comme le disait Philippe Meyer, que «   la déontologie est un pouvoir qui n’est pas prêt d’être partagé  », notamment entre les syndicats de journalistes et les organisations patronales ? ( le discours éthique arbitre les jeux de pouvoir)

Oui, je suis assez d’accord, ce n’est pas un pouvoir qui est prêt d’être partagé parce que, pour l’éditeur, l’information est une valeur marchande. Pour le journaliste c’est une valeur…biologique ou philosophique. Et c’est là, la grande césure. En tout cas, si elle n’a pas cette valeur marchande, elle n’existe plus. Je ne dis pas que ce n’est qu’une valeur marchande mais elle est, avant tout, une valeur marchande, sinon on est mort, on est mort. Et pour faire partager cette vision aux journalistes, ça c’est absolument impossible. (…) Le journal est un produit qui doit se vendre. S’il n’est pas lu, il n’existe pas le journal. Et ça, pour un éditeur de presse, c’est une question de vie ou de mort. Le journaliste se situe dans un autre monde. Donc ça ne sera jamais quelque chose de partagé parce que les références des journalistes ne sont pas du tout celles des éditeurs.

  • Question n°7 : Que pensez-vous de l’élaboration de ‘« Chartes maison’  » au sein des différents éditeurs de presse ?

Le SPQR trouve ça très bien. Et d’autant plus intéressant et riche que ces chartes maisons ont été élaborées avec les journalistes. Le tout est en effet de savoir comment elle a été élaborée cette charte ? Si la charte maison a été octroyée par la direction, ça ne va pas.

- J’évoque l’enquête de la FNPF qui souligne « qu’à 62 %, ce sont les directeurs de la publication qui sont en charge, au sein du titre, des moyens qui lui sont propres pour la mise en œuvre de la déontologie »

A mon avis, la proportion est complètement inverse dans la PQR. Dans la PQR, les équipes rédactionnelles, les rédactions sont très soucieuses de pouvoir élaborer une charte. Une charte maison. Pour en faire éventuellement un instrument de pouvoir vis-à-vis de la direction. Mais à partir du moment où vous avez une direction qui s’inscrit, avec le même objectif, d’avoir une charte commune, y’a un échange, un dialogue qui se construit. En faisant cela, le SPQR a approuvé et encouragé ce genre de démarche. S’il doit y avoir une réflexion sur l’éthique, le rôle des journalistes, etc. ça ne peut être que le fait de réflexions en commun, direction /équipe rédactionnelle.

- Concernant la charte des faits-divers de Ouest-France, était-ce le cas ?

Ah oui, ah oui, ah oui ! Complètement. Mais pas au niveau des organisations syndicales, au niveau des journalistes eux-mêmes. Dans ce domaine là, les organisations syndicales n’avaient pas de rôle à jouer. J’allais dire ont été court-circuité, ça n’a pas été volontaire, mais ce que je veux dire c’est que les chartes des journalistes, ce n’est pas un accord social. C’est avéré que, dans les entreprises de PQR, c’est plus facile qu’ailleurs. Parce qu’il y a, au-delà même de l’entreprise et de ce qu’elle est, elle est ancrée dans une région, il y a beaucoup de choses qui font que le rapport entre le journaliste et son entreprise est très différent en PQR par rapport à la presse parisienne. Au-delà de l’entreprise, on est incrusté dans un terroir régional très fort. C’est bien caractéristique de la PQR, cette dimension locale, régionale, etc. C’est ça qui fait la grande différence avec les autres formes de presse.

  • Questions n°8 : Quels sont leurs objectifs ? Qu’est-ce qui, selon vous, les distingue les unes des autres ?

Premièrement, se donner une bonne image au niveau du lectorat. Elles sont utilisées quand il y a un problème. Deuxièmement, régler des problèmes internes de relations entre les journalistes et la rédaction. Troisièmement, éviter les contentieux. On pourrait les partager ces chartes. Est-ce que ce n’est pas un instrument de pouvoir ? Si on voulait en faire autre chose, là les journalistes et la rédaction se sépareraient. Là, ils se retrouvent. Si on voulait en faire autre chose, c’est là que…c’est au stade au-dessus que ça se sépare.

  • Question n°9 : Pourquoi, dans la plupart des cas, les journalistes ne sont pas invités à réfléchir à l’élaboration de ces chartes d’entreprise ? (selon l’enquête de la FNPF)

Pas dans la PQR. Ah ! Oui, oui, oui. C’est quelque chose qui est acquis dans la PQR.

  • Question n°10 : Comment expliquez-vous le refus des organisations patronales d’introduire la charte du SNJ (1918) dans la convention collective ?

Vous me posez une colle…vous me posez une colle parce que je pense que…jamais je n’ai été confronté à cette demande. Moi, si on m’avait posé la question, j’aurais tendance à dire : ‘« attendez, je ne vois pas le rapport ’». Ce n’est qu’un accord social qui règle des problèmes pratiques, qui n’a rien à voir avec une charte des journalistes.

- J’évoque les propos de Jacques Morandat (FFAP) : ‘« intégrer la charte des journalistes dans la convention collective, d’accord à condition d’assimiler le non-respect de la charte à une faute grave »’

Pour moi, ce sont deux choses totalement différentes. Convention collective, c’est véritablement un accord social qui n’a rien à voir avec…je ne vois pas comment on pourrait intégrer ça. Puis la charte du SNJ, c’est très bien, mais un syndicat corporatiste qui défend les intérêts des journalistes sans prendre en compte autre chose que ses propres objectifs. S’il y avait un syndicat de journalistes qui rassemblait tous les journalistes sur les mêmes références ou les mêmes repères, on verrait les choses différemment.

- Il rassemble quand même 10 % de la profession !

Oui, mais la grande différence entre les syndicats, c’est que les autres syndicats, ce sont des syndicats inter catégoriels. Les journalistes s’inscrivent dans une entreprise qui est une collectivité avec différents métiers etc. Le SNJ ne s’intéresse absolument pas…Le SNJ-CGT prend en compte les journalistes, les employés du Livre, les employés de presse, les cadres, etc. C’est ça la grande différence avec le SNJ. Le SNJ est un syndicat corporatiste. Ce n’est pas un syndicat qui est porteur de réflexions élargies à l’ensemble du fonctionnement de l’entreprise.

- Pourquoi ne pas intégrer alors la charte de Munich, ratifiée par l’ensemble des syndicats français de journalistes dans la convention collective ?

Pourquoi voulez-vous intégrer une charte dans une convention collective, ça n’a strictement rien à voir avec une charte ?

- Pour lui donner une valeur juridique !

Encore faudrait-il que cette charte soit élaborée en commun avec les éditeurs de presse ! Les éditeurs doivent être partis prenante.

- En d’autres termes les éditeurs ne prennent pas la charte des journalistes et les journalistes ne prennent pas la charte des éditeurs !?

Ben oui. On peut prendre quelque chose dans la mesure où l’on y a participé, on s’est réuni, on y a réfléchi ensemble. Dans la PQR, les chartes qui ont de la valeur sont celles qui ont été construites entre les éditeurs et les journalistes.

  • Question n°11 : Pensez-vous qu’une référence commune (à toute la profession) en matière d’éthique soit nécessaire ? Si non, pourquoi ? + -Les entreprises de presse sont, dans leur grande majorité, soucieuses du lien qui l’unit au public, au citoyen, notamment lorsqu’il s’agit d’aborder les questions de crédibilité des médias. Ne pensez-vous pas qu’avec le développement des «  chartes internes », l’opinion rencontre une difficulté à percevoir l’engagement d’une démarche d’ensemble, cohérente ? (à remarquer que le sondage SOFRES sur «  la confiance des Français dans leurs médias » ne distingue pas les différents journaux mais opère une distinction sur le type de support : écrit, audiovisuel ou radiophonique. On parle bien de journalisme en général sans distinguer son appartenance à tel ou tel journal)

Ah oui ! Oui ! à condition qu’il y ait une véritable démarche commune, éditeurs / journalistes. Pourquoi on parle de ces sondages ? ça fait vendre. Vous croyez vraiment que ça intéresse les journalistes. ça fait vendre. On est dans un monde complètement…On a perdu les repères essentiels. Je pense que la profession les a perdus. Elle les a perdus.

- Au profit de quoi ? Des repères de l’entreprise ?

Oui.

- Alors qu’est-ce qui ne marche pas ?

Alors là, c’est un peu plus…purement patronal. Ce qui cloche c’est que les éditeurs ont en face d’eux des journalistes qui ne sont pas là pour défendre une profession mais qui sont là pour défendre des intérêts matériels.

- Matériels et moraux ! ?

Oui, matériels et moraux, mais matériels. A Ouest-France, la charte ça n’a pas été un travail commun des syndicats et de la direction, ça a été un travail des équipes de journalistes et des éditeurs. Le journaliste est quelqu’un qui, de toute façon, ne peut pas se syndiquer, dans la tête, il ne peut pas se syndiquer. Un journaliste est quelqu’un de libre, etc. Donc les syndicats de journalistes ne sont crédibles vis-à-vis de leur mandant dans la mesure où ils leur apportent des avantages matériels. A l’intérieur même du SNJ, je peux vous dire qu’il y a des débats homériques sur la déontologie des journalistes, etc. Incroyable ! Donc le syndicat ne peut avoir aucun rôle là-dessus. Donc, ça ne peut rentrer dans une convention collective. C’est ailleurs que cela doit être fait.

- Vous ne pensez pas que la multiplicité des chartes porte atteinte à l’unité de la profession ?

Ah non, ah non. Elle n’existe pas. D’ailleurs il n’y a qu’à voir la multiplicité des organisations patronales, la multiplicité des organisations syndicales, mais ça c’est classique, c’est français, c’est spécifique à la presse…Vous connaissez une profession qui est aussi divisée ? Syndicat de la presse parisienne, syndicat de la presse départementale, syndicat de la presse quotidienne régionale, fédération de la presse spécialisée, avec six syndicats en interne, syndicat de la presse magazine et d’opinion, syndicat de la presse magazine et d’information…

- Y’a quand même un élément fédérateur : la carte de presse et la commission qui la délivre.

Ce n’est pas une instance fédératrice. C’est une instance qui donne des cartes et des avantages matériels.

- Devrait-elle jouer un rôle en matière d’éthique professionnelle des journalistes ?

Je ne crois pas.

- Pourquoi ?

Parce qu’elle est complètement investie par des organisations syndicales, au sens large du terme.

- Elle est représentative !

Du côté patronal sûrement, du côté syndical j’en suis moins sûr (rires). Mais oui, et j’en suis intimement convaincu en plus. Je ne tiens pas un discours patronal, je tiens un discours très personnel. J’en suis absolument convaincu.

  • Question n°12 : Qu’est-ce que vous inspire les propos suivants tenus lors du colloque intitulé «  Justice et presse » organisé par l’ordre des avocats de la Cour de Paris en 1993 : «   En posant comme principe de base que la liberté d’expression fait partie intégrante de la notion de démocratie, chacun s’est accordé à reconnaître qu’il appartient principalement au juge d’apporter sa contribution à une déontologie générale  » ? On peut ajouter aussi les controverses autour de l’art 1382 du Code civil qui détermine la responsabilité de l’individu et dispose que tout individu qui a commis une faute doit en réparer les conséquences. Le juge civil peut donc apprécier l’existence d’une faute du journaliste (la faute renvoie à une norme ou à la déontologie, mais le juge ne dispose d’aucune référence commune) et in fine se poser comme juge naturel de la déontologie de l’information. Qu’en est-il ? + Croyez-vous enfin possible ce que Jacques Saint-Criq a proposé à savoir «  que notre profession a l’idée, parmi d’autres, que la loi pourrait faire obligation aux entreprises de presse d’avoir une charte rédactionnelle dans leur arsenal, de même qu’elle les oblige à avoir un règlement intérieur » ?

Oui, à condition que la loi fasse obligation de démarche et non pas de résultat.

- Une obligation de moyen ?

Oui, que la loi soit une ardente obligation à discuter, à tenter d’élaborer une charte, mais qu’elle n’impose pas d’aboutir au résultat.

- Ce n’est pas une façon de dissimuler…

Non. Non, pas du tout. Parce que je crois que ce qui est important c’est…, ce que je conçois intéressant dans certaines lois, c’est qu’il y ait une obligation d’échanger, de travailler sur une question etc. Je trouve cela extrêmement intéressant, mais il faut laisser aux entreprises et aux journalistes…

- Ce n’est donc pas au juge…

Oui le juge est très souvent…heu…il fait son travail.

- Et la référence à une éventuelle charte commune ?

Quelles devraient être les principales références d’une charte commune ?

- A l’occasion des auditions menées, le 21 avril 1997, dans le cadre d’une mission d’information commune sur la presse écrite, sous la présidence de Bruno Bourg-Broc et Ladislas Poniatowski, Jacques Saint-Criq, répondant à une question de Michèle Alliot-Marie sur la déontologie, a précisé que ‘« les journalistes répondent toujours –et ils ont raison – qu’ils ont des règles professionnelles de déontologie, mais dans la profession nous sommes un certain nombre à penser qui, si règles il y a, il vaut mieux qu’elles soient écrites noir sur blanc et que tout le monde, en particulier usagers et les lecteurs, les connaisse’ ». En disant cela, n’est-ce pas nier l’existence de documents tels que la charte de 1918 ou la charte de Munich contenant justement des ‘« règles écrites noir sur blanc’ » ? (rapport n°3512)

La charte de Munich, c’est la charte des syndicats. Ce n’est pas une charte de la profession, la charte de Munich. La profession, elle est composée de qui : des éditeurs de presse et des journalistes.

- Mais qu’est-ce qui fait que la référence commune soit impossible ?

Pour l’instant ça n’a jamais abouti. Les entretiens de l’information de Charon sont certainement une tentative, sur un habillage de la façon dont on traite l’information, d’arriver sans doute à terme de se créer, les journalistes et les éditeurs de presse, sûrement pas une charte mais au moins des références communes. C’est une idée de Jean-Marie Charon et, personnellement, je la trouve extrêmement intéressante. Non je pense que le problème de la déontologie de la presse, il ne peut-être véritablement traité que sur une incitation de la loi, que par les gens de presse eux-mêmes.

  • Question n°13 : Qu’avez-vous envie de répondre lorsque l’on vous dit «  les patrons de presse sont opposés, dans leur majorité, à la démarche déontologique, celle-ci étant facteur d’indépendance de leurs personnels » ?

Oui, si c’est une charte dont les journalistes se dotent eux-mêmes, de façon unilatérale comme le SNJ parce que c’est créer un contre pouvoir au sein de l’entreprise et ça le contre-pouvoir qui est-ce qui l’a, ce sont les syndicats, c’est normal, ça fait partie des règles du jeu social mais les patrons n’y sont pas opposés s’il y a véritablement une démarche commune, journalistes et éditeurs de presse.

- Et cette situation ne s’est jamais rencontrée ?

Si de temps à autre, je pense qu’il y a une volonté commune. Si, c’est possible mais ça nécessite un travail de mise en confiance respective, alors là on fait appel à tout un tas de dimensions des relations sociales en France.

  • Question n°14 : Dans son « Livre blanc de la déontologie des journalistes » le SNJ se fixait notamment pour objectif –je cite- de « montrer comment un patronat plus préoccupé du profit immédiat que d’information est devenu le principal acteur des dérives déontologiques ». Qu’en pensez-vous ?

Ça, je ne peux que récuser ça. Qui est responsable des dérives déontologiques ? Nous sommes des gens irresponsables ? Non, non. Les dérives déontologiques, ce sont les journalistes, dans la plupart des cas, enfin dans les entreprises de presse que je connais. Ce sont eux qui exercent leur métier. Y’a pas de censure de la part des patrons de presse.

- Et le lien de subordination ? !

Oui, c’est vrai, le lien de subordination est certainement quelque chose qui pèse sur le journaliste. Mais, comment continuer autrement ? Comment fonctionner autrement ? Dans une entreprise y’a un pouvoir et un contre-pouvoir…

- Mais en matière d’éthique professionnelle, qu’est-ce que l’on cherche à protéger ?

L’équilibre économique de l’entreprise !

- Donc finalement quand le SNJ parle de recherche de profit

Pas de profit. L’équilibre économique de l’entreprise c’est autre chose. Le vrai patron de presse, il ne cherche pas le profit, il cherche à remplir une mission mais il ne peut la remplir que s’il y a un équilibre économique.