« L’association des employeurs du service public audiovisuel »

Bernard Gourinchas : Président de l’association des employeurs du service public de l’audiovisuel (AESPA)

Entretien du mercredi 18 juillet 2001 à 10 h

Préalable dressé par B. Gourinchas

Moi, je vous parlerai, bien entendu, en faisant l’effort de généraliser suffisamment mon point de vue, mais l’essentiel de ce que je vous dirai, c’est à partir de mon expérience France 3 921 . C’est à partir de là que je peux avoir un avis ou, tout du moins, l’expérience d’un certain nombre de contraintes et de difficultés.

  • Question n°1 : Quelles sont les occasions qui permettent l’évocation, au sein de l’AESPA, de déontologie ou d’éthique professionnelle en dehors des dérapages médiatiques ? (Je pense notamment à l’évolution de la jurisprudence)

Je dirai que l’on n’en parle même pas quand il y a dérapages. Parce que ces problèmes sont du ressort des chaînes. Donc le mode de fonctionnement de l’Association est rythmé par un conseil d’administration, en gros, deux fois par trimestre. Donc c’est à ces occasions là que peut être évoqué ce problème. C’est-à-dire que ces conseils d’administration commencent toujours habituellement par un tour de table où chaque société présente les faits marquants du point de vue social. Il faut quand même bien préciser les choses, cette Association traite à 98% de problèmes qui ont un enracinement social. Ils concernent les salariés, le droit du travail, l’organisation du travail, etc. C’est essentiellement ça. Alors, la déontologie, bien entendu, est tout à fait dans la compétence de l’Association, mais dans la mesure où l’Association déciderait de l’évoquer elle-même ou bien si tel ou tel des participants l’évoque et dit : ‘« nous sommes préoccupés par tel ou tel problème’ ». Jusqu’ici je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu, explicitement en tout cas, l’évocation de ces problèmes là. Alors, y a t il d’autres occasions qui puissent nous amener à ça ? Oui. Nous sommes signataires de la convention collective nationale de travail des journalistes. Ce ne sont pas les sociétés qui sont signataires, c’est l’Association. Donc, toute évolution de cette convention et de son avenant audiovisuel nécessitera que nous soyons partis prenante et c’est un peu le cas d’ailleurs. Devevey a pu vous en parler puisque l’on se rencontre assez régulièrement soit à la FNPF soit à la PQR, parce que nous avons un certain nombre de problèmes communs. Par exemple, actuellement, nous évoquons le problème d’agrément des écoles de journalisme. On est en train de réécrire les conditions d’agrément des écoles de journalisme parce qu’on s’aperçoit qu’il y a eu beaucoup de dérives. Une autre question qui a été abordée à notre initiative c’est la question d’une éventuelle modification de la convention collective permettant, aux journalistes, de prendre leur retraite à 60 ans pour ceux qui le souhaitent. ça nous a amené à décaler, si vous voulez, l’angle de notre travail. ça se heurte à la culture journalistique, ça se heurte aussi à des problèmes fiscaux qui peuvent amener les journalistes à ne pas souhaiter ça. Mais, nous nous sommes aperçus que, quand nous avons abordé ce problème dans les syndicats patronaux de la presse, les réticences finalement portaient moins sur cette affaire de la retraite à 60 ans que sur la question : ‘« Attention, si on met en place quelque chose comme ça, que les syndicats de journalistes ne nous demandent pas, qu’est-ce qu’ils vont nous demander en échange ? »’. Et finalement, ce qui pouvait apparaître du point de vue patronal comme un moyen de gestion des rédactions intéressant parce que, y’a des gens surtout dans l’audiovisuel, il faut bien le dire, les JRI (journalistes reporters d’images) ont la qualité de journaliste et souvent les JRI sont très abîmés par les conditions physiques de leur travail, donc il peut y avoir pour ceux là intérêt à prendre la retraite plus tôt. C’est vrai que l’audiovisuel est plus sensibilisé que la presse écrite à ce genre de chose, mais tout de suite la réaction des organisations des employeurs a été de se dire : ‘« Qu’est-ce qu’ils vont nous demander’ ? ». Est-ce que l’on ne va pas ouvrir la boîte de Pandore ? ça a finalement mis en évidence quelque chose : comme tous les textes qui sont un peu considérés comme des textes sacrés, moins on y touche mieux on se porte, les journalistes, c’est un peu ça. Nous, on a une convention, n’y touchons pas trop, même s’il est évident que sur bien des points elle ne colle plus et, en particulier, peut-être a-t-elle besoin d’un rafraîchissement sur les problèmes tels que la déontologie des journalistes. Sans dommages et sans faire un effort d’adaptation aux pratiques du temps, est-ce que l’on peut se contenter de la Charte du journaliste, telle qu’elle est dans la convention, s’agenouiller devant et dire « nous avons là, c’est comme le serment d’Esculape pour les médecins, bon on sait très bien que leur pratique aujourd’hui, enfin le serment d’Esculape ne répond plus à tous les problèmes de leur pratique. Et la charte du journaliste, ce beau texte, ne répond plus, non plus, à certaines conditions aujourd’hui incontournables de l’exercice du journalisme. Donc, on se dit mais au fond, c’est vrai cette convention collective des journalistes, moins on y touche mieux on se porte, mais qu’est-ce qu’il serait souhaitable de faire évoluer dans cette convention ? Et au lieu d’en faire une sorte de démarche des employeurs, pourquoi pas utiliser à ce moment une institution paritaire qui existe chez les journalistes qui s’appelle, heu ! Attendez, la commission paritaire nationale de l’emploi des journalistes (CPNEJ). C’est une commission nationale, prévue par la loi, elle existe d’ailleurs dans d’autres branches que chez les journalistes. Elle existe, elle se réunit…et pourquoi ne lui demanderait-on pas, puisqu’elle peut être chargée de travaux divers, soit à la demande des organisations syndicales soit à la demande des employeurs, de dire ce qui à son point de vue gagnerait, dans la convention, à être reprécisé ?

- Pourquoi pas la commission de la carte ?

Parce que la commission de la carte, alors attendez…Est-ce que l’on peut attendre de la commission de la carte…heu !

- Elle est paritaire aussi !

Oui, seulement…oui les deux pourraient tout à fait être saisies. Pourquoi a-t-on pensé plutôt à la CPNEJ ? C’est parce qu’il nous semblait qu’on ne pouvait pas s’interroger sur les évolutions souhaitables à moyen et long termes de la formation des journalistes, sans avoir défini, un petit peu, ce que l’on entendait par journaliste. Or, quand vous regardez la convention collective et le code du travail, qui définissent ce que c’est que le journalisme, vous vous apercevez qu’il y aurait peut-être à regarder de plus près. C’est ça la question que l’on voudrait poser à la CPNEJ, leur dire « écoutez, on a réfléchi sur certaines évolutions souhaitables autour de la formation des journalistes via les écoles agréées, maintenant il serait peut-être temps de passer, il aurait peut-être d’ailleurs fallu le faire avant, mais faisons-le de manière rétroactive : « Qu’est-ce que tout cela présuppose, dans la conception du métier de journaliste, la fonction d’information dans la société ? Faut-il faire évoluer cette définition ? Il serait difficile, à cette occasion là ne pas évoquer les problèmes de déontologie.

- C’est une question consubstantielle à l’identité des journalistes ?

C’est une question fondamentale pour les journalistes. A partir du moment où vous recherchez une information, tous les moyens ne sont pas bons, C’est déjà un premier niveau. Ensuite, cette information faut la traiter. Il doit y avoir nécessairement conscience de ce que l’on fait subir à une information et le problème est renouvelé quand c’est une information doublée d’images. Il y a une activité d’éclairage et tout journaliste doit être conscient…heu ! il me semble que tout journaliste doit s’interroger, à un moment ou à un autre, sur la conception qu’il a spontanément de la vérité (…) Y’a un troisième niveau qui est celui de la diffusion. Non seulement le journaliste va collecter l’info, non seulement il la traite, il a fait un sujet ou un article mais il y a la rédaction en chef voire la direction de la société qui va choisir de diffuser ou pas, qui va donner telle place ou telle autre dans le journal et ça aussi soulève le problème du rapport de ce travail là à la vérité.

  • Question n°2 : Avez-vous déjà envisagé, comme l’appelle de ses vœux le SNJ, une concertation avec les organisations syndicales ? Si non, pourquoi ?

Moi, ici, au niveau de l’Association, non. Mais ce qui s’élabore dans les sociétés et notamment cette Charte de l’antenne de France Télévision sera nécessairement discutée avec les syndicats. Le travail que l’on avait fait à France 3, dans les années 95-96-97, procédait disons d’une volonté commune forte du SNJ et de la direction.

- Du SNJ particulièrement ou d’autres syndicats ?

SNJ particulièrement. La CFDT n’y était pas hostile du tout mais le SNJ était le moteur.

- A quels travaux de France 3 faites-vous référence ?

Je pense, qu’à l’époque, on avait défini trois grosses questions qui se posaient notamment concernant les ‘« ménages’ »

- Qu’est-ce que vous appelez « les ménages » ?

Les ménages, c’est du moins l’expression que l’on emploie dans l’audiovisuel. Pour un journaliste, salarié permanent de la société, il a l’obligation de consacrer la totalité de sa collaboration à la société qui les emploie. Or, on constate que certains d’entre eux, qui acquièrent une certaine notoriété, nationale ou régionale, vous savez le présentateur du journal de 19 h de Clermont-Ferrand est tout aussi célèbre à Clermont-Ferrand que…sont sollicités pour animer des débats dans des entreprises, dans des rassemblements divers, etc. En général assez fortement rémunérés parce que la mode des conventions dans les entreprises a beaucoup prospéré…heu ! Donc vous avez des journalistes qui se prêtent à ce genre de choses et qui de ce fait risquent d’aliéner une part de leur indépendance. France 3 a mis en place un système d’autorisation préalable qui passait par le rédacteur en chef et le directeur régional et qui devait faire l’objet d’un relevé mensuel. (Suite : récit de la fabrication, pour un laboratoire pharmaceutique, d’un faux 19-20)…Donc, on avait fait un travail avec les organisations syndicales, visant à mettre en place un système de transparence.

  • Question n°3 : Pensez-vous, comme l’écrit Philippe Meyer, que «   la déontologie est un pouvoir qui n’est pas prêt d’être partagé  », notamment entre les syndicats de journalistes et les organisations patronales ? (le discours éthique en tant que mode d’arbitrage des jeux de pouvoirs)

Oui, bien sûr. On peut dire, je pense que Meyer a raison, de pointer le fait que vous pouvez brandir la déontologie si vous êtes patrons, vous pouvez brandir la déontologie pour cadrer heu ! Certaines…heu…initiatives de vos journalistes mais à l’inverse c’est vrai aussi que les syndicats de journalistes peuvent être prompts à brandir la déontologie et à crier à l’inféodation, notamment aux partis politiques, dans la direction, en disant ‘« voilà ! La direction a sucré tel reportage parce que ça avait mis en cause tel parti politique ’» C’est vrai que la déontologie, ça peut être utilisé dans un certain affrontement social.

  • Question n°4-5 : Quelle est, selon vous la tendance actuelle des employeurs de l’audiovisuel public à l’égard des questions de déontologie ? Et Que pensez-vous de l’élaboration de «  chartes maison » au sein de France 2 et France 3  ?

L’approche, type convention nationale, sera forcément une approche de l’ordre heu ! Comment dire…de l’ordre de l’idéal, c’est-à-dire que l’on va, à travers la Charte du journaliste, vers un fonctionnement idéal du journalisme qui doit être inscrit quelque part. Dans une profession qui a partie liée avec la vérité de l’information, ça me paraît indispensable et, en ce sens là, le journalisme n’est pas un métier comme les autres. On pourrait dire la même chose, à certains égards des médecins. Ce n’est pas un métier comme un autre. Il a besoin qu’on lui fixe un horizon, sans doute très exigeant, mais périodiquement la profession a besoin de s’interroger si elle est toujours d’accord avec cet horizon. Mais, et ça justifie à mon sens et ça rend nécessaire le travail de chaque entreprise de presse dans la mesure où elle a une spécificité. C’est que le type de problème concret d’ordre déontologique qu’elle va rencontrer ne sera pas forcément le même dans toutes les sociétés. Donc, c’est un effort nécessaire me semble-t-il…

Je crois que l’on peut arriver à un constat quand même. La déontologie c’est une affaire personnelle, on l’a ou on ne l’a pas, donc c’est ça qui…mais vous avez ensuite des journalistes qui, je le répète, sont des salariés permanents d’une société et qui vont donc travailler dans cette société 10, 20 ou 30 ans, qui vont acquérir, comme vous le dîtes, une certaine culture. Ca fait partie, me semble-t-il de la culture d’une rédaction de société d’avoir sa formulation propre, pas forcément différente ou son accentuation propre des incontournables déontologiques. Je prends un exemple, France 3. C’est quand même 1200 ou 1300 journalistes, c’est la plus grosse rédaction de France. Mais vous avez des journalistes qui alimenteront un bureau local à évreux où ils seront deux, vous aurez une édition locale à la Rochelle où ils seront dix, vous aurez des bureaux régionaux à Nantes ou à Rennes où il y a une trentaine de journalistes et puis vous avez la rédaction nationale où là, il doit y en avoir pas loin de deux cents. Les responsables et singulièrement le directeur des Ressources humaines ne peut pas se désintéresser de ce problème car pour lui c’est très important qu’il y ait une vision France 3 des problèmes qui se posent à la déontologie des journalistes. ça n’aliène en rien le fait que les journalistes doivent avoir, avant tout, leur déontologie personnelle, sinon y’a rien. Mais que la société a sa propre vision là-dessus. Le journaliste s’identifie forcément à un moment donné, soit, il s’identifie sous forme d’intégration forte, soit sous forme d’opposition permanente. Il se réfère quand même à cette société France 3 bon et on sait très bien que ce n’est pas pareil de travailler à France 3 ou France 2. Il faut que cela soit une déclinaison de cette espèce d’horizon de la profession que constitue la Charte de déontologie de la profession. C’est important d’avoir en plus une référence interne qui nous permette de dire ‘» vous deviez respecter telle procédure, vous ne l’avez pas fait. Pourquoi ? »’

  • Question n°6 : Dans son Livre Blanc de la déontologie des journalistes, le SNJ se fixait notamment pour objectif de «  montrer comment un patronat plus préoccupé du profit immédiat que d’information est devenu le principal acteur des dérives déontologiques »

Je pense que c’est très cohérent avec les thèses habituelles du SNJ. J’estime que c’est de bonne polémique. Je pense également que l’on trouverait des exemples qui vont dans ce sens effectivement. Maintenant, franchement, le meilleur moyen de faire du profit, excusez-moi, ce n’est pas de faire de l’information. Si vous voulez être une chaîne rentable, il faut réduire les plages d’information et faire du programme. Vous achetez des trucs clés en mains et vous avez une chaîne qui fonctionne et qui est regardée. Donc faire de l’information, ça coûte beaucoup et ça ne rapporte pas grand chose. Donc quand un média fait de l’information et que les patrons veulent absolument maintenir ces créneaux d’information, même les augmenter, on ne peut pas dire qu’ils sont dans une logique de profit.

  • Question n°7 : Ne pensez-vous pas que la multiplication de chartes déontologiques d’entreprise porte atteinte à l’unicité de la profession ?
    (J’ajoute que la Charte d’Antenne de
    FranceTélévision devrait faire l’objet d’une publicité auprès du grand public)

Oui, mais ça fait partie de la communication des sociétés. Elles sont ravies quand elles peuvent faire de la communication sur autre chose que sur des résultats financiers ou sur les programmes type Télé 7 jours. Dès qu’elles peuvent avoir un supplément d’âme à brandir, elles le font. Mais, l’essentiel ce n’est pas qu’il y ait une charte à brandir, c’est qu’il y ait une charte d’antenne qui fasse l’objet d’un accord large, paritaire évidemment, et d’une volonté d’application. Si c’est uniquement pour dire ‘« nous avons traité le problème parce que nous l’avons identifié’ », ça n’aboutirait à rien. Je pense…heu ! Sur la question des ménages, c’est beaucoup plus utile, plutôt que de faire un grand dégagement philosophique du style ‘« on n’a qu’à se référer à la charte, ça suffit ’», bon, heu…mieux vaut prévoir des procédures claires de transparence à ce sujet. C’est ça qui est utile et important.

  • Question n°8 : Qu’est-ce qui selon vous fait ou ferait la spécificité de l’éthique professionnelle des journalistes ?

Ce qui fait la spécificité c’est…Je ne vais pas répondre de manière abstraite. Le journaliste a une responsabilité énorme. Sa responsabilité c’est de faire savoir, c’est de donner une information. Cette information peut entraîner des conséquences, à tout point de vue. ça peut entraîner des conséquences sur la vie privée des gens, sur leur image politique, si ce sont des hommes politiques, ça peut entraîner des mouvements de capitaux énormes…donc je crois que la spécificité du métier de journaliste est qu’il manipule cette denrée très particulière dans les sociétés où nous vivons maintenant. Société de l’instantanéité. L’information, elle peut être vraie, elle peut être fausse et sciemment fausse. On peut faire de la désinformation, c’est bien connu, on peut faire des tas de choses et c’est une profession très très difficile parce qu’elle a constamment à se tenir vigilante à ce sujet. Or, de plus en plus, les journalistes sont tenus de travailler très vite. C’est le cas pour les quotidiens. Alors que le journaliste a cette responsabilité redoutable d’avoir constamment à l’esprit la portée de ce qu’il va publier, il a de moins en moins de temps pour être au clair avec lui-même là-dessus. Maintenant, prenez par exemple, je me faisais la réflexion depuis trois soirs de suite, je regardais le journal de TF1, ce journal pratiquement passe un quart d’heure tous les soirs à des reportages sur l’insécurité. Du début du journal jusqu’à pratiquement 20h15. Bon, dont acte, l’insécurité est un problème de société réel, c’est devenu en même temps un problème politique. Bon alors, le journaliste qui a fait le reportage on lui a dit ‘« tu vas faire un sujet sur les médiateurs dans les cités à risque’ » bon, il va faire son sujet. Il va le faire honnêtement. Le rédacteur en chef ou le présentateur décide d’intégrer ça à un ensemble et le journaliste va découvrir, peut-être avec effroi, que son sujet vient faire nombre avec d’autres sujets et qu’au bout du compte ce qui sort de cet amalgame de sujets ce n’est pas ce qu’il aurait voulu. Pour répondre plus précisément à votre question, je crois que c’est ce rapport en effet à la vérité couplée avec ces infinies possibilités de trucages et de manipulation qui constituent n’importe quel support et avec la rapidité, je pense que c’est là qu’est le nœud de la difficulté.

- Je fais référence au sondage mené par la FNPF qui révèle que ce sont à 62 % les directeurs de publication qui sont en charge des moyens pour la mise en œuvre de la déontologie. Je demande : « qu’en est-il dans l’audiovisuel public ? »

Je ne sais pas comment a été élaborée la Charte d’Antenne de FranceTélévision, je crois qu’elle est un document direction. Personnellement, je crois, si c’est publié comme ça, en disant ‘« voilà c’est une charte octroyée, c’est la direction qui l’a élaborée et qui vous dit comment vous devez vous comporter »’ je pense que ça sera une erreur, limitons nos propos, une erreur de communication. Les journalistes se défient immédiatement et spontanément de quelque chose dont ils ne connaissent pas l’origine. Je pense que ça serait de la sagesse de la part des responsables de FranceTélévision de donner ce document comme base de discussion à leurs organisations syndicales. Maintenant, vouloir faire quelque chose en commun avec les syndicats, c’est très long. Ca peut prendre des années puis on meurt avant que ça soit terminé. C’est peut-être un souci d’efficacité, et là je le comprendrais, qui amène une direction à dire ‘« je dégage trois ou quatre personnes qui vont mettre ça sur pied en quelques mois ’» mais ensuite on va le discuter dans les rédactions. Je ne sais pas quelle voie sera choisie ?

  • Question n°9 : Qu’avez-vous envie de répondre lorsque l’on vous dit : «  Les patrons de presse sont opposés, dans leur majorité, à la démarche déontologique, celle-ci étant facteur d’indépendance de leur personnel » ?

Le thème de la déontologie, s’il est brandi contre eux, sous la forme ‘« vous êtes des pourris et vous voulez nous associer à vos magouilles »’, bon, si c’est brandi comme ça, aucun patron ne peut trouver sympathique de parler de déontologie. Si la déontologie est uniquement quelque chose que le journaliste lui oppose, comme s’il devait se protéger de ce malhonnête individu qu’est le patron, bon je pense que c’est un peu enfantin et de fait, ce n’est pas une bonne base de dialogue. Si maintenant, on est conscient, de part et d’autre, de ce qu’est le métier d’informer, de sa difficulté, et ça vaut pour le patron aussi bien que pour le journaliste, on a intérêt à mon avis à travailler le sujet ensemble et à ne pas se lancer d’invectives. C’est vrai que le journaliste, et c’est dans sa convention et dans sa charte, la clause de conscience, elle existe chez les journalistes, ça lui donne une spécificité. On reconnaît bien, qu’à un moment donné, le journaliste doit avoir la possibilité de rompre avec un changement de direction (…) C’est vrai, vous avez tout à fait raison, il existe une tension entre l’indépendance du journaliste qui est un acquis que l’on ne peut pas renier, sinon il devient un publicitaire…

- Oui, enfin l’indépendance du journaliste est toute relative. En matière de déontologie le journaliste ne reconnaît que la juridiction de ses pairs ce qui n’est pas sans rappeler le lien de subordination qui le lie à son employeur.

Oui, c’est ça, le lien de subordination. Voilà, il y a une tension qui ne peut pas être surmontée. C’est un balancement perpétuel, le journaliste ne peut pas aliéner son indépendance et à partir du moment où il accepte de devenir salarié permanent d’une société, il accepte un lien de subordination. C’est clair. Comment se sortir de cette contradiction ? D’ailleurs, et là c’est une réflexion personnelle qui ne plairait pas au SNJ, je leur ai déjà dit une fois ou l’autre, ‘« vous savez, le journaliste, comme il se voit lui-même, il n’a vraiment de sens que comme pigiste. Ce qui garantit le mieux l’indépendance c’est de n’être lié à aucun organisme de presse »’. ça, c’est de l’utopie.

  • Question n°10 : Qu’avez-vous à répondre à cette question posée par Jean-Marie Charon dans le rapport commandé et remis à l’ancienne ministre de la Culture et de la Communication, Catherine Trautman : «   Comment dans un monde où chacun se soumet à la réflexion, se trouve confronté à l’exigence de transparence, les journalistes pourraient-ils prétendre que leur déontologie, leur éthique ne peuvent être jugés que par eux-mêmes ?  »

C’est une réflexion très intéressante. ça présuppose que le journaliste échappe au jeu social. Or il n’y échappe plus. Je crois qu’il faut que le journaliste accepte, et ça ne le diminue nullement, de considérer qu’il est un acteur social comme une autre, avec une mission pleine de responsabilités. Mais il n’a de sens que par rapport à un lectorat ou des auditeurs et donc il est l’un des acteurs de cette société. Et donc, cette espèce d’idée que, seul un journaliste peut juger de ce qui concerne d’autres journalistes ça me paraît relever d’une époque dépassée qui était celle aussi où les ecclésiastiques disaient qu’ils ne pouvaient relever que des tribunaux ecclésiastiques, que les militaires ne pouvaient être jugés que par des militaires, par des cours martiales etc. Ce sont des mentalités très dix-neuvième siècle. J’admets tout à fait qu’il y ait des organes, des institutions propres à la profession qui sachent mieux que quiconque ce qui est bon pour la profession mais quand il s’agit d’apprécier un acte journalistique, quel qu’il soit, moi je me suis trouvé dans cette situation, je ne suis pas journaliste, je ne l’ai jamais été, je me suis trouvé dans cette situation avec des commissions de discipline à France 3, Bon. On m’a dit ‘« ah ! Les syndicats risquent d’estimer que vous n’avez pas qualité pour les présider »’. J’ai dit ‘« mais halte là. C’est ma fonction de présider la commission de discipline. Qu’elle soit constituée de telle sorte que du côté de la direction, il y ait une majorité de journalistes, certes, mais je maintiens que je suis directeur des Ressources Humaines de cette société »’ et aucun syndicat n’a jamais fait la moindre observation. Donc, je crois que la remarque de Charon est pertinente. C’est peut-être une révision que le journaliste doit faire par rapport à lui-même. Il est un acteur social comme un autre et il relève de l’appréciation de l’ensemble de la société dans l’exercice de la profession.

  • Question n°11 : Pensez-vous que la commission de la Carte (commission paritaire) devrait jouer un rôle en matière d’éthique professionnelle ? (attribution de la carte subordonnée à une adhésion à certains principes communément admis)

Oui mais reste à savoir si les…heu…membres de la commission sont choisis…heu…désignés…si c’est bien avec cette idée derrière. Je n'en suis pas sûr. Pourquoi pas, pourquoi pas que ça soit au moment de l’obtention de la carte de presse qu’on demande au futur journaliste candidat de signer un document où il reconnaît que tel texte s’applique à lui. Pourquoi pas !

- Vous paraissez dubitatif !

Heu ! Non, non. C’est vrai que la commission de la carte a l’avantage d’être le point de passage obligé. Mais…il ne faut pas sous-estimer le fait qu’il y a des journalistes très connus qui n’ont pas la carte.

- Ce n’est pas une raison

Non, non (rires), ce n’est pas une raison mais je le signale au passage. Donc…heu ! Ce que je veux dire c’est que peut-être les membres de la commission de la carte aujourd’hui ne sont pas choisis de telle sorte qu’ils puissent élaborer eux-mêmes un texte mais je pense que la profession est suffisamment équipée, aussi bien du côté employeurs que du côté syndicats pour s’attaquer au toilettage des textes qui existent si nécessaires. Mais il ne faut pas et c’est peut-être là dessus que je voudrais insister, il ne faut pas le faire dans un esprit politique. Si les syndicats disent ‘« la déontologie, c’est pour le patron »’ et si de son côté le patron dit ‘« les journalistes feraient bien quand même de regarder dans leur basse-cour et de nettoyer leur paillasson avant de déposer leurs ordures chez nous ’», si on part sur ces bases là ‘« tous pourris d’un côté, tous vendus de l’autre’ », on n'en sortira pas. Je crois qu’il faut revenir à cette idée que la profession de journaliste, en tout cas tous ceux qui ont partie liée avec l’information, c’est quelque chose d’extrêmement difficile et qu’il faut rester vigilant de part et d’autre.

  • Question n°12 : En juin 1999, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la présomption d’innocence, Jacques Larché, alors président de la commission des lois du Sénat, disait ceci : «   On peut justifier l’amendement dans la mesure où la profession de journaliste n’est pas organisée. Nous lui avons demandé de se doter d’une déontologie. Elle s’y refuse. C’est extrêmement fâcheux. Il y a quelque chose d’extraordinaire à ce que ce pouvoir de la presse, qui s’exerce d’une manière qui bien souvent nous scandalise, soit livré à lui-même  ». Qu’auriez-vous à répondre ?

Qu’est-ce qu’il y a derrière ? C’est ça le problème. Est-ce que monsieur Larché a en tête l’idée d’un Ordre du journalisme comme l’Ordre des médecins ? Je crois que si c’est ça…heu

- Vous ne croyez pas que c’est une invitation à constituer une référence commune en matière de déontologie ?

Oui. Enfin si c’est ça qu’il veut dire, je lui souhaite bien du plaisir. Ce n’est pas le travail des politiques. Parce qu’ils sont les premiers à utiliser la presse et quand je dis utiliser c’est au sens propre du terme, donc ce n’est pas à eux de légiférer ici, d’édicter, heu ! Est-ce que c’est de l’ordre de la loi la déontologie des journalistes ? Je pense que le meilleur moyen de rassurer monsieur Larché et puis de prendre au sérieux la question qu’il soulève, je pense que ce serait que la profession essaie de s’engager dans ce travail. Alors maintenant, est-ce que ça va au-delà d’un vœu pieu ? Heu ! (Souffle) moi évidemment je parle d’un point de vue très particulier qui est celui des sociétés publiques de l’audiovisuel. Ce sont des sociétés qui sont adossées à l’état, elles ont, disons, une solidité institutionnelle qu’est loin d’avoir tel ou tel petit journal qui doit veiller en permanence sur la courbe de ses ventes et qui doit s’équilibrer avec des recettes de publicité, bon tout ça est très compliqué, moi je ne me sens pas le droit de porter un jugement sur la responsabilité de la profession, côté employeurs dans le retard pris sur tous ces sujets. Je pense qu’en tant qu’organisation d’employeurs…heu ! Ils se trompent parce qu’ils se diront ‘« est-ce qu’on va pas là encore se mettre sur le dos des tas de procédures et de contrôles qui va falloir mettre en place pour complaire aux syndicats et on va être perpétuellement tenus de se justifier ’». C’est possible mais si je parle uniquement de mon point de vue d’audiovisuel public je pense qu’il est de l’intérêt des sociétés de l’audiovisuel public d’être claires sur ce sujet. Et d’ailleurs nul ne peut nier que le pouvoir politique, en 20 ans, a complètement changé sa manière de faire vis-à-vis de l’audiovisuel. Moi je verrais deux ordres de pression qui se sont substitués à ça et qui sont plus insidieux. Parce que ça se voit beaucoup moins. Une pression politique c’est facile à identifier. Donc, bon la pression économique et, ça il faut le dire même si ça ne plaît pas aux syndicats, la pression idéologique. Il y a une pression idéologique qui… bon je vais un peu caricaturer les choses. Il y a, plus ou moins diffuse, chez les journalistes ou chez un certain nombre de journalistes, l’idée que le journaliste est une sorte de chevalier blanc, est une sorte de redresseur de torts, qui aurait un accès à la vérité et la seule difficulté du métier serait de faire connaître la vérité. Parce que tous les pouvoirs du mensonge se ligueraient contre la vérité que détient le journaliste et qu’il voudrait porter au monde. Mais il y a tellement de puissances des ténèbres…Je caricature mais il y a de ça et il faut, à mon avis, prendre du recul par rapport à cette idéologie là qui perdure bien que…bon, on pouvait la comprendre dans les années 70. Aujourd’hui elle devient, à mon avis, beaucoup moins pertinente. Par contre, elle dispense de s’interroger sur ce qui est le véritable problème. C’est ‘« qu’est-ce que la vérité ? »’. La vérité n’est pas forcément le contraire de ce que me dit mon patron ou de ce que me dit le politique. Dans certains cas, il faut faire les investigations nécessaires. Mais dans d’autres cas, il faut bien voir, vous le savez si vous avez fait du journalisme vous-même, combien de journalistes répètent, répètent dans leur sujet ou dans leur article, on répète et on ne va pas s’écarter d’une espèce de vox populi qui dit ça. J’ai toujours été frappé et un peu navré quand j’assistais à des conférences de rédaction, quand je me déplaçais en région, je commençais toujours par la conférence de rédaction du matin, de les voir tous plongés dans la presse locale. Comme si on était chargé de faire des images sur les sujets que déterre la presse locale. Et puis le magistère de certains grands journaux qui sont dits d’opinion, à gauche ou à droite, et que selon sa tendance propre on va répéter. Donc il y a cette pression idéologique qui est extrêmement difficile à identifier et dont, à mon avis, on ne peut se prévenir que par une espèce de vigilance permanente vis-à-vis de sa propre pratique.

- Une vigilance qu’il faudrait encoder ?

Je ne crois pas (…) je crois que le journaliste a besoin de textes régulateurs. Il a besoin de textes qui lui indiquent les idéaux de sa profession. Mais après ça relève de la pratique. Que la profession, dans ses instances syndicales et patronales, s’efforce d’objectiver certaines choses, de codifier d’autres, Ok. Mais elle ne pourra se substituer au terrain où le journaliste se pratique, c’est-à-dire à l’entreprise de presse, elle-même.

Notes
921.

Bernard Gourinchas fut directeur des Ressources Humaines à France 3.