introduction

En 1987, soit trois ans après le décès de Julio Cortázar 1 , l’auteur argentin Mempo Giardinelli faisait ce constat acerbe à propos de la critique cortazarienne :

‘Es imprescindible, creo, si hablamos de Cortázar, abordarlo desde otro punto de vista. No soy un crítico, no soy un académico, no soy un investigador, de modo que me inhibo, me declaro incapacitado para tratar al maestro desde los enfoques que cualquiera de los asistentes a Stillwater 2 haría mucho mejor que yo. Pero lo que pasa es que no quiero, tampoco, contribuir, ni siquiera minimamente, a seguir inventando mitos y adorándolos estática y comodamente, como suelo apreciar en cierta crítica, que francamente me disgusta. Me refiero a la crítica que sigue dando vueltas alrededor de lo mismo, como el perro se muerde la cola, y sigue buscando lo poético en tal, lo mágico en cual, lo significante en el cómo, lo mítico-teológico-filosófico-etc. en esto y en lo otro. 3

Depuis, l’état de la question a évolué, nous allons le voir. De nombreux textes inédits ont été publiés dans la « Biblioteca Cortázar » d’Alfaguara 4 , qui a également réédité certains ouvrages épuisés. Enfin, en 2000, cette même maison a édité, sous la direction d’Aurora Bernárdez, la correspondance de Cortázar, sous le titre Cartas : ces trois tomes constituent un apport inestimable, ils décloisonnent les lectures et fourmillent d’informations biographiques inconnues jusqu’alors.

Nous nous trouvons donc actuellement à un tournant de la  vie de l’œuvre de Julio Cortázar : elle est en train de quitter l’actualité littéraire et d’entrer de plain-pied dans l’histoire littéraire. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ceci ne se produit pas exactement au moment de la mort de l’écrivain, mais environ 20 ans après, c’est-à-dire que, pour les lecteurs, la transition n’a pas lieu lorsque aucun texte ne sera plus produit mais quand aucun texte inédit ne sera plus publié par les héritiers. En quelque sorte, l’œuvre reste « vivante » pour le lecteur quelques vingt ans de plus que son auteur.

Parallèlement à ce regain éditorial, on remarque un important renouveau critique, avec notamment les travaux de Daniel Mesa Gancedo sur la poésie de Cortázar 5 , ainsi que des projets comme Cortázar de tous les côtés 6 , dont l’avant-propos affirme :

‘A l’image de certains personnages célèbres des fictions cortazarienne –(…) confrontés à voir l’autre au lieu de tenter de devenir autres–, une partie de la critique s’est engouffrée dans ce dualisme apparent posé par les livres de Cortázar, en choisissant l’un des domaines contre l’autre. Contre ces dualismes (…) Cortázar, de tous les côtés propose une première ébauche de lecture intégrale de l’œuvre, visant à la situer au sein de la littérature du XX° siècle et non pas à la revendiquer ou à l’honorer une fois de plus depuis tel ou tel parti-pris affectif idéologique. 7

On assiste donc à un tournant critique qui tente de pérenniser l’œuvre de Cortázar, en la dégageant d’une lecture contemporaine de l’auteur, parfois trop partisane, et en mettant en exergue la grande littérarité de ses textes.

Les textes de Cortázar ont conquis un nouveau lectorat hispanophone et cet auteur est devenu une figure majeure des lettres hispaniques, au même titre que Borges, par exemple. Certains projets, tels l’ambitieuse exposition itinérante « Cortázar 2004 », conçue par Facundo de Almeida, nous montrent l’actualité de Cortázar auprès d’un large public.

En France, Cortázar n’a pas encore la place et la diffusion qu’il mérite. Nous assistons depuis quelques années à un renouveau éditorial, avec des traductions récentes comme Journal d’Andrés Fava, L’Examen et Rien pour Pehuajó suivi de Adieu Robinson 8 . Notons également qu’il existe un projet de traduction concernant Obra crítica. Malgré cela, il semble que le lectorat français soit pour l’heure constitué de petits foyers de passionnés et non d’un large public : le nom de Cortázar est encore méconnu pour de nombreux lecteurs qui, par contre, connaissent les noms de García Márquez ou de Borges. Nous sommes encore loin d’une Pléiade pour Cortázar et la critique française a un rôle important à jouer pour la revalorisation et la diffusion de l’œuvre de ce dernier. C’est dans cette perspective que nous avons choisi de proposer des traductions en français de toutes les citations en espagnol contenues dans ce travail. 9

Le pari de cette thèse est en quelque sorte de partir du méconnu pour aboutir à une révision du connu. Nous souhaitons ainsi mettre en lumière un pan de l’œuvre de Cortázar jusqu’ici peu fréquenté par la critique : ses traductions littéraires. A partir de cela, nous proposons une problématisation de son œuvre vis-à-vis de la traduction, ce qui, permettra, nous l’espérons, de la découvrir sous un autre jour. Enfin, à cette lumière, nous reviendrons vers un objet plus familier : l’activité si particulière du lecteur dans Rayuela, que nous envisagerons hors des sentiers battus du « lector hembra » opposé au « lecteur complice ». Nous essaierons de montrer que cette activité du lecteur est plutôt à penser en continuité avec la pratique de la traduction littéraire par Cortázar.

Pour ce faire, plusieurs problèmes méthodologiques se posent. Concernant les traductions littéraires réalisées par Julio Cortázar, nous avons constaté qu’aucune bibliothèque européenne, latino-américaine ou étasunienne ne les possédait toutes. Beaucoup de ces traductions, éditées majoritairement dans les années 1940 et 1950 à Buenos Aires (à une époque où Cortázar n’était pas encore célèbre) sont aujourd’hui méconnues, même en Argentine. De plus, la traduction littéraire était considérée jusqu’à récemment encore comme une activité mineure vis-à-vis de l’écriture. Ces livres n’ont donc pas été conservés avec la même constance que les textes propres de Cortázar. Il y a ainsi une très grande dispersion des traductions éditées ainsi que des manuscrits. Nous avons donc dû réaliser une véritable étude de terrain, un peu à la manière d’un historien, afin de recenser, de localiser et de situer biographiquement ces textes, ce qui a nécessité plusieurs voyages de recherches. Nous tenons à souligner le rôle d’Aurora Bernárdez : sa mémoire vive et ses patients conseils ont fourni une aide décisive pour ces recherches.

Une fois ce corpus constitué, il fallait décider d’un cadre théorique pour leur étude. L’intérêt de ces traductions était multiple. Elles ont d’abord la valeur d’un témoignage biographique sur une époque de la vie de Cortázar qui est assez mal documentée. Nous avons essayé d’apporter ici une contribution pour l’éclairage de cette période, en dégageant des charnières et en recoupant ces traductions avec divers témoignages biographiques (issus de la correspondance de Cortázar, de divers documents, mais aussi d’entrevues réalisées auprès de personnes l’ayant connu à une époque ou une autre de sa vie).

Ces traductions valent aussi, nous le verrons, en tant que socle intertextuel pour la production de l’œuvre postérieure de Cortázar. Nous avons ainsi mené une étude comparatiste entre les textes traduits et les productions propres de Cortázar. Nous voudrions montrer par ce biais que la traduction a eu un rôle décisif pour la formation littéraire de notre auteur.

Par ailleurs, ces traductions valent aussi comme telles, et nous souhaitions les étudier non seulement en tant que produits finis, mais aussi en tant que démarche. Or, les théories de la traduction sont multiples et très souvent irréductiblement opposées. Daniel Gile développe par exemple une pensée très intéressante et très pragmatique autour de la traduction technique et de l’interprétation 10  : le traducteur-interprète est vraiment au centre des préoccupations, et son activité est décrite avec une grande précision. Pour ce faire, Daniel Gile n’hésite pas à avoir recours à des outils issus d’autres disciplines, comme la psychologie cognitive. Ses recherches sont très utiles et éclairantes pour l’enseignement de la traduction. Toutefois, il n’aborde pas le problème de la traduction littéraire.

Henri Meschonnic, au contraire, fonde son système sur la traduction littéraire, ses particularités et ses enjeux. Poétique du traduire 11 est réellement passionnant pour sa critique radicale des idées reçues sur la traduction, pour celle des autres modèles d’analyse, pour ses notions de rythme, de rapport à l’altérité et à l’étranger dans une traduction, pour la conception d’une traduction comme métaphore du texte original et pour le questionnement de ce que fait un texte littéraire, et donc une traduction. Mais le champ d’analyse d’Henri Meschonnic est surtout celui de la retraduction de textes classiques (poétiques ou religieux), c’est pourquoi il compare plusieurs traductions. Son propos est surtout de proposer une voie nouvelle pour traduire ces textes, une voie cohérente avec ses positions sur la traduction et la littérature en général. Mais ses théories éludent la chaîne éditoriale : en réalité, les contraintes pour traduire viennent assez souvent des éditeurs, et le traducteur n’a que rarement toute la latitude qu’il souhaiterait. Par ailleurs, Meschonnic n’éclaire pas vraiment ce que fait un traducteur pour que son texte fasse.

L’approche de la critique de la traduction, quant à elle, est inspirée de la grammaire contrastive ; cette démarche est extrêmement fructueuse pour décrire précisemment les difficultés linguistiques ou socio-culturelles posées au traducteur, mais là encore, l’objet d’étude n’est que rarement la traduction littéraire.

Ces systèmes ont tous des vertus, mais ils se trouvent en irréductible opposition car ils dépendent en fait d’une philosophie du langage différente. Chez les uns, le système repose sur l’opposition signifiant/signifié, alors que Meschonnic se fonde sur la distinction sausurienne entre langue et discours ; il récuse donc les théories du signe.

Pour ce travail, il n’est pas question de produire une philosophie du langage ; ce n’est ni notre propos, ni notre finalité. Nous souhaitons simplement décrire de façon satisfaisante les choix de Julio Cortázar en tant que traducteur littéraire. Notre conception est que la traduction littéraire est avant tout de la littérature. Son but est de recréer pour un autre, qui n’a pas accès au texte original, le plaisir de la lecture. S’il y a fidélité, c’est donc d’avantage à l’effet du texte sur le lecteur qu’à la lettre même de celui-ci. La traduction est à nos yeux un acte de communication mais de communication littéraire, c’est-à-dire avec des codes très particuliers qui sont ceux de la lecture littéraire. Tous les problèmes posés au traducteur technique sont également présents, mais les recours du traducteur littéraire sont différents. Il procède à une hiérarchisation de ses choix de traduction en fonction de critères absents de la traduction technique (rythme, image, plaisir…). Nous pensons que la réussite d’une traduction littéraire dépend d’abord de la finesse de la lecture littéraire de départ : on ne peut traduire que ce que l’on a lu d’un texte. Elle dépend ensuite d’une habileté littéraire dans l’usage de sa propre langue : c’est pourquoi le traducteur a le statut légal d’auteur. Il crée dans sa langue un texte littéraire qui n’existait pas. Par ailleurs, les traductions littéraires appartiennent à un lieu et à un temps, ce sont des phénomènes culturels : on ne traduit globalement pas les mêmes textes à différentes époques, on ne les traduit pas non plus de la même manière. La traduction littéraire est aussi un produit commercial, il ne faut pas l’oublier : c’est un travail rémunéré, qui obéit à une demande de l’éditeur, elle-même entraînant certaines contraintes (date de remise du manuscrit, etc.). Enfin, la traduction, si elle est vue comme démarche, est un effort complexe, difficile, elle met en jeu la problématique du bilinguisme, a des enjeux identitaires pour le traducteur et pour le public, et enfin, elle demande de très importants efforts cognitifs.

D’autre part, en ce qui concerne le parallèle entre l’activité de traducteur de Cortázar et celle du lecteur dans Rayuela, notre projet touchait plusieurs champs d’études qu’il n’était pas aisé de concilier. Ainsi, la traduction est souvent la pierre d’achoppement des systèmes qui visent à décrire la littérature 12 . Prenons l’exemple de Gérard Genette dans Palimpsestes 13  : ce livre est essentiel et fondateur pour comprendre les phénomènes littéraires liés à l’intertextualité, tels le pastiche par exemple, mais il élude presque complètement les rapports intertextuels à l’œuvre entre un texte original et sa traduction 14 . Ce rapport de transformation existe pourtant bel et bien, il est même passionnant : que fait réellement un traducteur pour qu’un texte devienne un autre texte, tout en lui restant analogue ?

Afin de prendre en compte et d’analyser cette activité de la traduction ainsi que l’effort de lecture supposé par Rayuela, nous avons finalement préféré nous pencher vers une autre discipline : la psychologie cognitive de l’attention, et notamment sur les travaux de Jean-François Richard et d’Emmanuel Sander. Cette discipline jeune est réellement novatrice et passionnante ; elle permet de prendre en compte des phénomènes complexes, comme la lecture et la traduction, tout en gardant leur caractère irréductible d’activité et en les décrivant avec précision. Par ailleurs, cela permet de transcender la frontière des champs disciplinaires lorsque l’objet d’étude est transversal. Il faut toutefois préciser que nous ne reproduisons pas ici la démarche expérimentale de la psychologie cognitive –notre but n’est pas de découvrir des phénomènes nouveaux à ce propos– ; nous nous appuyons simplement sur les conclusions de ces travaux, en en faisant des instruments critiques pour l’étude de la lecture et de la traduction.

Enfin, l’étude même de Rayuela pose des problèmes méthodologiques : ce livre a l’apparence d’un jeu de miroir, il semble contenir en lui-même sa propre théorie, sa propre critique ; il fait l’effet d’une somme. Dès lors, le critique est tenté de reprendre les termes et les concepts de Cortázar, d’appliquer les parties « théoriques » aux parties « narratives », perdant ainsi toute distance d’avec son objet (il est alors pris dans une sorte de tautologie). Nous avons choisi, pour ce travail, d’éviter de reprendre tels quels les termes du texte et de considérer que tous les chapitres appartiennent en plein à la fiction et donc que les chapitres dits « théoriques » sont à étudier au même titre que les chapitres dits « narratifs ». Par ailleurs, nous considérons les deux ordres de lecture de Rayuela comme valides et légitimes, ce qui nous semble essentiel pour pérenniser la lecture de cette œuvre 15 .

Nous pensons que Rayuela est en grande partie construit en réaction face aux systèmes narratifs traditionnels, et s’il fallait qualifier ce livre, nous dirions d’abord qu’il s’agit, à nos yeux, d’un contre-roman. Or, les systèmes critiques existants tendent justement à décrire des phénomènes narratifs traditionnels plutôt que des phénomènes périphériques ; ils ne sont donc pas très appropriés pour décrire le fonctionnement textuel de Rayuela. Nous avons estimé que, par contre, ils étaient fort utiles pour décrire ce contre quoi Cortázar s’érige, c’est-à-dire les techniques traditionnelles du roman. Ainsi, pour comprendre la portée des innovations romanesques de Rayuela, nous avons établi une sorte de négatif de Rayuela, constitué des pratiques narratives les plus communes.

Enfin, nous avons rencontré une dernière difficulté d’ordre méthodologique : Rayuela est également un livre très particulier au vu de son effet sur les lecteurs. Il est souvent décrit comme une véritable aventure de lecture ayant des répercutions notables sur la vie de ses lecteurs : on pourrait ainsi le qualifier de roman d’apprentissage pour le lecteur. Ceci pose un véritable problème au critique : Rayuela transcenderait les limites de la fiction, ce qui signifie que ce livre serait le lieu d’un apprentissage valable hors-livre. Or, il semble qu’il y ait souvent une sorte de pudeur critique à affirmer que la littérature puisse avoir une action, une fonction cognitive, et cela, même si en chaque critique vit un lecteur passionné qui recherche justement dans la littérature ce très particulier rapport à la vie, à sa vie. Nous pensons qu’il est bon de défendre la fonction cognitive de la littérature : cela a par exemple de nettes vertus pédagogiques pour des adolescents aux prises avec des modèles tout extérieurs et stéréotypés. Leur faire découvrir la littérature et le plaisir de la lecture, c’est aussi leur donner une preuve de la validité de l’expérience intérieure.

Dès lors, nous fondons notre approche sur l’acceptation de ce très particulier « effet-Rayuela » qui renouvelle la perception de soi et du monde. Nous verrons, et c’est important, que cela correspond précisément au projet de Cortázar pour ce livre, et que cette intention de l’auteur structure même tout le texte : il s’agit de la conséquence ultime d’un programme narratif et non d’un effet fortuit ou discutable 16 .

Ce cadre méthodologique étant fixé, nous allons commencer par étudier les traductions littéraires réalisées par Julio Cortázar aux différentes époques de sa vie. Nous verrons ensuite, en deuxième partie, comment les problématiques de la traduction et de l’écriture s’interpénètrent dans l’œuvre propre de Julio Cortázar. Ceci nous amènera à examiner plus en détail la communication littéraire à l’œuvre dans Rayuela et à montrer que l’activité de traducteur de Cortázar n’est pas sans rapport avec sa conception de l’activité du lecteur dans cet ouvrage.

Notes
1.

L’écrivain argentin Julio Cortázar est né à Bruxelles en 1914 et mort en 1984, à Paris, où il vivait depuis 1951.

2.

Un colloque sur Cortázar.

3.

M. Giardinelli, « El encuentro », p. 144-145 de Los ochenta mundos de Cortázar, édition en charge de F. Burgos, Madrid, Edi-6, 1987. « Si l’on parle de Cortázar, il est nécessaire, je crois, de l’aborder autrement. Je ne suis pas un critique, je ne suis pas un universitaire, de sorte que je m’inhibe, que je me déclare incapable de traiter le maître depuis des approches que les participants à ce congrès de Stillwater maîtrisent bien mieux que moi. Mais je ne veux pas non plus, contribuer même de manière infime, à la continuelle invention de mythes et à leur adoration statique et commode –ce que je remarque souvent dans une certaine critique, qui franchement, me déplait–. Je pense à cette critique qui tourne encore et toujours autour des mêmes choses, qui continue à chercher ici le poétique, là, le magique, ailleurs le signifiant, partout le mythico-théologico-philosophique. » (Trad. S.P.)

4.

Les plus récents sont par exemple : Obra crítica (1994), Adiós Robinson (1995), Diario de Andrés Fava (1995), Imagen de John Keats (1996) et Silvalandia (1996). Il faut remarquer que les livres d’Alfaguara sont très bien diffusés dans le monde hispanophone.

5.

Voir Daniel Mesa Gancedo : La apertura órfica. Hacia el sentido de la poesía de Julio Cortázar, Peter Lang, 1999 et La emergencia de la escritura. Para una poética de la poesía cortazariana, Kassel, Ed. Reichenberger, 1998.

6.

La Licorne n° 60 (Cortázar de tous les côtés), ouvrage collectif dirigé par Joaquín Manzi, Poitiers, 2002.

7.

Ibid, J. Manzi, « Avant-propos », p. 4 et 6.

8.

Journal d’Andrés Fava, traduction F. Rosset, Denoël, 2001 ; L’Examen, traduction J‑C. Masson, Denoël, 2001 ; Rien pour Pehuajó suivi de Adieu Robinson traduit par F. Thanas, Éditions Théâtrales, 2001. On voit ainsi que l’édition française a environ dix ans de retard sur les publications posthumes.

9.

Les traductions se trouvent en notes de bas de page. Lorsqu’elle existe, nous citons la traduction éditée ; elle sera alors suivie des initiales du traducteur ou de la traductrice. Lorsqu’il n’existe pas de traduction accessible, nous traduisons nous-même les textes. Dans ce cas, ils seront suivis de la mention « Trad. S.P. ». Nous ne prétendons pas ici fournir de bonnes traductions littéraires ; nous nous contentons de rendre accessible le texte pour les lecteurs francophones. Par ailleurs, à de très rares endroits nous avons été amenée à modifier la traduction éditée pour des besoins de précision critique. Nous tenons à préciser que cela ne constitue en aucun cas une critique de la traduction française éditée.

10.

Voir par exemple Daniel Gile : Basic concepts and models for interpreter and translator training, J. Benjamins Pub. Co., 1995.

11.

Henri Meschonnic : Poétique du traduire, Verdier, 1999.

12.

On peut penser en cela à la première partie de Poétique du traduire d’Henri Meschonnic, intitulé « En commençant par les principes » (p. 10-31) : il y montre, très ironiquement et efficacement, à quel point la traduction pose problème à tout système trop « bien huilé ». Il traite ici majoritairement des systèmes linguistiques, mais le même travail pourrait être envisagé vis-à-vis des systèmes littéraires.

13.

Gérard Genette : Palimpsestes, Seuil, 1982.

14.

Il existe dans Palimpsestes une partie consacrée à la traduction (chapitre XLI), mais qui n’est guère satisfaisante : elle se contente d’abord d’une redite assez sommaire du débat sur la fidélité d’une traduction, puis se concentre sur le problème de l’intraduisibilité de la poésie : il n’y a là aucune idée nouvelle. On dirait que Genette est ici enfermé dans une vision du même, induite par le trop fameux « traduttore, tradittore » : il ne semble pas avoir envisagé la traduction comme métaphore de l’original. En réalité, il semble que Genette n’ait pas d’expérience de traducteur, mais seulement celle d’un lecteur de traduction. Dès lors, il paraît s’en tenir à une vision statique de celle-ci en tant que produit fini. Dans les chapitres suivants, il traite de problèmes connexes qu’il serait très fécond d’appliquer en plein à la traduction, mais cette dernière est comme évacuée : il y fait allusion plus qu’il ne la traite.

15.

En effet, si le principe d’une « lecture par sauts » (c’est-à-dire en suivant des renvois et en construisant une linéarité de l’histoire qui n’est pas celle du livre physique) était réellement novateur en 1963, à la parution de Rayuela, il ne l’est plus aujourd’hui. Dans les années 1980, en France, les adolescents pouvaient lire la collection « Le livre dont vous êtes le héros » qui fonctionnait sur ce principe ; il faut également rapprocher cela des liens intertextuels que l’on trouve sur Internet : le lecteur y suit aussi des renvois visant à élaborer son propre texte. Dès lors, réduire Rayuela au seul effet de surprise du principe de la lecture par sauts, c’est le condamner à l’émoussement, au vieillissement. Rayuela est au contraire un objet pérenne : par sa diversité et sa complexité, c’est le lieu d’une aventure de la lecture.

16.

Cela signifie bien sûr que nous nous contentons de refléter les cas où cette lecture fonctionne, où cet effet induit par le texte se donne réellement. Il faut en effet noter que Rayuela est parfois vu comme un livre difficile, et que certains lecteurs n’arrivent pas à le lire. Nous excluons donc de notre étude ces lectures-ci pour ne nous concentrer que sur les cas où le lecteur actualise le programme narratif et atteint ce très particulier plaisir littéraire.