Villiers de l’Isle Adam, La Sombra de Meyerbeer : une apparition fantastique

La Sombra de Meyerbeer est édité en 1949 par Gulab y Aldabahor et porte le numéro 5 de la collection « Cuadernos del Eco ». Le livre mesure 16 cm par 24, il est de couleur bleu ciel, avec sur la couverture une reproduction couleur orange d’une gravure ancienne représentant un bouquet de fleurs. Le nom de l’auteur (Villiers de L’Isle Adam) n’apparaît d’ailleurs ni sur la couverture ni sur la tranche. La quatrième de couverture porte la mention « Distribuidor exclusivo Argos S.A. editorial, Moreno 640 Buenos Aires » ainsi que le prix : 8 pesos. Sur le revers intérieur de la première page, on trouve une liste des ouvrages parus dans la collection « Cuadernos del Eco », avec un petit texte de présentation se référant au titre présent :

‘VILLIERS DE L’ISLE ADAM : LA SOMBRA DE MEYERBEER. Relato póstumo del autor de los Cuentos crueles. Caso curiosísimo el de Meyerbeer, hoy casi por completo olvidado, y tan vinculado por su producción a la vida artística parisiense que, aludiendo a su propio fin que ya sentía próximo, Henri Murger se despedía del mundo con estas palabras de su Testament : « El cielo no ha querido que pudiera sentarme entre el grupo elegido que verá La Africana… » Por eso, junto al hermoso relato de Villiers y su ajustada apreciación de Meyerbeer, se han agregado dos apéndices : uno, Villiers músico, fundamenta la autoridad del gran escritor sobre materias musicales ; el otro, Fortuna de Meyerbeer, intenta reunir algunos testimonios interesantes sobre el compositor.
Versión y escolio de Julio Cortázar.
Apéndices por Daniel Devoto.
Con un dibujo en colores de Otano.
Precio del ejemplar…. $ 8.– 139

Sur le revers de la quatrième de couverture, apparaît une liste intitulée : « OTRAS EDICIONES DE GULAB & ALDABAHOR ». Y est annoncé entre autres :

‘JULIO CORTAZAR : LOS REYES. Tiraje de 500 ejemplares con un dibujo de Capristo en colores…. $ 8.– 100 ejemplares en papel Ingres con el dibujo coloreado a mano por el autor. 140

La Sombra de Meyerbeer compte 59 pages dont un texte de Cortázar qui, sous le titre de « Noticia », sert d’introduction à l’ouvrage (p. 9 à 12) ; vient ensuite le texte de Villiers proprement dit, traduit par Cortázar (p. 13 à 32) et enfin, on trouve en appendice deux textes de Daniel Devoto : « Villiers músico » (p. 33 à 36) et « Fortuna de Meyerbeer » (p. 37 à 56), qui se subdivise en trois parties (« I. El Hombre y su Obra » ; « II. Intérpretes » ; « III. La ficción »). L’ouvrage est achevé d’imprimer le 28 avril 1949.

Sur la base des notes précédentes, nous pouvons déduire certaines informations biographiques sur Cortázar. Tout d’abord, les éditions Gulab y Aldabahor, qui la même année éditent Los Reyes, comme nous l’avons vu, sont dirigées par Daniel Devoto, un ami intime de Cortázar 141 . Le nom de Devoto apparaît d’ailleurs trois fois dans la liste située au revers de la couverture : outre pour le travail de critique dans La Sombra de Meyerbeer, on le remarqueen tant que traducteur et auteur de notes pour La Velada de Invierno de Isjak De Mosul et Autobiografía inédita de Antonio Eximeno (respectivement n° 1 et 4 de « Cuadernos del Eco »). D’autre part, nous savons que, derrière les éditions Argos qui distribuent cet ouvrage, se cache Luis Baudizzone. De ceci nous pouvons déduire que Cortázar n’est sans doute pas étranger au choix de traduire Villiers, et précisément ce texte-ci. Par ailleurs, on connaît le goût de Daniel Devoto pour la musique et l’on peut facilement imaginer que c’est d’un dialogue amical autour de cette nouvelle et de Meyerbeer qu’a pu naître ce projet de livre. Nous n’avons pas d’informations relatives à la période de production de cette traduction.

Essayons à présent de caractériser le texte original. « L’Ombre de Meyerbeer » est un récit inachevé d’Auguste de Villiers de l’Isle-Adam où tout l’argument repose sur l’apparition du défunt compositeur Meyerbeer. Pour ce faire, un médecin, le Docteur L., hypnotise deux sujets féminins, une Sibylle et une Sorcière. Le triangle magique formé par ces personnages provoque l’apparition de Meyerbeer, sous les yeux incrédules du narrateur 142 . Ce projet appartient très clairement à la veine du roman noir et peut rappeler certains textes de Poe par l’effroi qu’il cherche à provoquer sur le lecteur, toujours pris entre crédulité et scepticisme.

Mais pour mieux comprendre ce projet de traduction, il faut se pencher sur l’histoire génétique de ce très curieux texte. C’est certainement en 1884 143 que Villiers de l’Isle-Adam produit ce manuscrit fragmentaire, qu’il laisse inachevé et bien sûr inédit. Il se perdra jusqu’en 1946 où Émile Drougard en retrouve sept fragments, qu’il va organiser et publier dans la revue L’Arche 144 , sous le titre « L’Ombre de Meyerbeer ».

L’Arche est une revue mensuelle dirigée par Jean Amrouche, fondée en 1944 sous le patronage d’André Gide, et ayant pour comité de rédaction Maurice Blanchot, Albert Camus et Jacques Lassaigne. (En 1946, cette revue paraît à la fois à Alger et à Paris, peut-être du fait de la guerre encore récente.) Il semble possible que Cortázar se soit intéressé à cette revue vers 1947, période à laquelle il traduit L’immoraliste d’André Gide. Quoi qu’il en soit, cela nous en dit long, je crois, sur la dévorante curiosité envers l’Europe et sa littérature qui caractérise Cortázar et certains lecteurs argentins de la première moitié du XX° siècle : je ne pense pas qu’ailleurs dans le monde ce texte ait eu droit, si vite en tout cas, à une traduction et à une publication à part.

En 1986, La Pléiade publie les Œuvres complètes de Villiers et intègre donc ce manuscrit au tome II. Toutefois, Alan Raitt et Pierre-Georges Castex, qui éditent ce texte, retrouvent un autre feuillet qu’ils considèrent comme la fin manquante. Ils proposent, de plus, d’organiser les fragments d’une manière totalement différente de celle de Drougard.

Ceci nous intéresse car Cortázar, dans l’introduction à La Sombra de Meyerbeer, écrit :

‘(...) E. Drougard, descubridor de los fragmentos manuscritos con los cuales –algo precariamente pero dentro de una innegable unidad total– pudo reconstruír este desconocido relato de Villiers de l’Isle Adam. 145

Nous avons donc une première trace d’un doute de Cortázar quant à l’ordre à donner aux fragments afin de reconstituer le récit. Il continue en disant :

‘ el orden de los fragmentos es conjectural, ya que se los encontró escritos en páginas no numeradas; empero, los hiatos (...) no son tales que afecten la comprensión general (e incluso el clima, la intensidad creciente) del relato; la penetrante presencia de misterio y hasta de transgresión que de él emana parece ahondarse en esos bruscos huecos donde el azar ha puesto silencio en el sitio que llenaban la prosa o las intenciones de Villiers. 146

Ces notions de hasard dans la lecture et d’effet des blancs textuels ne sont pas sans rappeler Mallarmé et ses jeux de poésie par permutation, dont Cortázar était un fervent lecteur. Il est donc fort possible que Cortázar, étant familier de ces jeux d’esprit, ait imaginé lapossibilité d’une autre combinaison des fragments que celle proposée par Drougard. Ceci est important car il pourrait s’agir ici de la première expérience de permutation narrative pour l’auteur de Rayuela, livre dont la particularité est justement de pouvoir se lire dans deux ordres différents. On peut ainsi émettre l’hypothèse d’une interaction, même distante, entre cette expérience de traduction de Cortázar et le principe de lecture de Rayuela. De plus, rétablir l’ordre de lecture dans les feuillets épars d’un auteur décédé, cela ne revient-il pas au rôle des membres du Club lorsqu’ils organisent les fragments de Morelli ?

D’autre part, tout le récit de Villiers tourne autour d’une « Sibylle », personnage mystérieux et en communication avec des mondes occultes. Il est curieux de remarquer que lorsque Laure Bataillon et Françoise Rosset traduisent Rayuela en français, le terme choisi pour traduire le nom de La Maga est justement La Sibylle. On sait que Cortázar était en étroit contact avec ses traductrices vers le français : ce choix est-il une simple coïncidence ou bien une réminiscence de Cortázar par rapport à La Sombra de Meyerbeer ?

Voyons à présent le texte de présentation de Cortázar intitulé « Noticia ». Il aborde plusieurs thématiques que nous allons brièvement étudier. Il commence par annoncer la provenance du texte en citant la publication de Drougard et en traduisant même une de ses phrases, puis il caractérise le texte de Villiers en admettant ses limites quant à la complétude du manuscrit et l’achèvement du texte. Ici prend place une note qui nous intéresse car elle aborde les choix de traduction de Cortázar :

‘También se advertirá que la señora L…, se transforma hacia el fin en la señora X…, así como se comprueban palabras y giros repetidos a breve distancia, y que hemos conservado en la traducción. 147  ’

Ce choix de conserver les incohérences et les répétitions, donc les erreurs de style, est important car il nous révèle que Cortázar, traduisant un manuscrit inachevé, veut créer dans son texte en espagnol une illusion d’inachèvement, une impression d’écriture de manuscrit, une spontanéité que ne peut, par définition, avoir une traduction, qui est un texte pensé et prémédité, revu afin d’assurer la cohérence du sens entre les deux langues. Autrement dit, ce qu’annonce Cortázar en parlant de ses choix de traduction, c’est qu’il réalise ici une fiction de manuscrit inachevé.

Mais le texte de présentation dit aussi :

‘El lector lo adivertirá en algunas bruscas interrupciones del pensamiento, que toma otro rumbo sin que el escritor, atento a no trabarse en su expresión original, altere esta bordada que los retoques posteriores hubiesen articulado y pulido. (…) es evidente que Villiers abandonó la tarea sin emprender ese trabajo en que la sinonimia acude con todas sus armas en ayuda del narrador que se repasa. 148

On le voit, ce que cherche à reconstituer ici Cortázar, c’est le déroulement du travail de l’écrivain, avec ses différentes phases dont celle du premier jet, celle de la relecture et de la correction. Ceci renforce notre hypothèse selon laquelle ce travail de traducteur littéraire a servi à Cortázar d’apprentissage du métier d’écrivain, tout comme un apprenti-peintre travaillait autrefois des années dans l’atelier d’un maître pour en observer et en comprendre les techniques.

La suite de « Noticia » propose une datation du manuscrit, puis une problématisation de ce texte par rapport à la foi de Villiers et son intérêt pour le positivisme. Enfin, cette problématique traitant de métaphysique s’ouvre sur un panorama des courants littéraires de l’époque : il cite les symbolistes, Rimbaud, Poe et Baudelaire. La fin de ce texte nous rappelle fortement cette phrase du Diario de Andrés Fava :

‘Conversación de los poetas.
El lector es el puente, el que los presenta y oye su diálogo 149

En effet, c’est bien en sa qualité de lecteur que Cortázar conclue son introduction, par une sorte de mise en scène dramatique du souvenir de lecture :

‘a la podredumbre-oráculo de Valdemar y « La Charogne », responde él [Villiers] con los ojos desorbitados de Claire Lenoir, con la espumante hechicera que apenas vemos pero que jadea sordamente en los fragmentos finales de « La Sombra de Meyerbeer ». 150

A travers ce texte, nous avons donc une sorte de circulation entre différentes figures de Cortázar : le lecteur, le traducteur et l’auteur s’interpénètrent, ce qui abolit une fois de plus la barrière fictive que la critique a placée entre le travail de traduction et le travail d’écriture de Cortázar.

Afin d’analyser la traduction que Cortázar produit de ce manuscrit, nous nous proposons d’aborder quelques points qui nous ont paru pertinents : la ponctuation et la graphie, le travail d’inférence et d’interprétation et enfin, le travail sur le style. Le texte étant court, nous l’avons étudié dans sa totalité et présentons ici quelques exemples pertinents pris au fil de la traduction.

La ponctuation et la graphie

Traduire Villiers n’est certes pas facile vu son amour immodéré pour les jeux sur les graphies et pour l’utilisation de certains mots qu’il revêt d’un sens propre au lieu du sens conventionnel. Voyons pour exemple cette déclaration de Villiers :

‘Ce serait donc une dépense d’esprit inutile que de me reprocher (…) mon luxe exagéré de capitales ; – (à ceci je devais me résoudre puisque (…) une quantité de mots usuels changeaient de sens). 151

C’est ainsi que, dans notre texte, Villiers utilise à foison les italiques et les tirets d’incise ( – ) d’une façon qui pourrait sembler toute anarchique. Ceci semble avoir posé problème à Cortázar car, chez Villiers, les tirets ne marquent justement pas l’incise, mais une sorte de pause dans l’énonciation, qui serait en réalité bien plus proche de l’usage courant de la virgule, du point-virgule ou même parfois des points de suspension. Dès lors, dans la traduction, on ne trouve guère de tirets, sinon pour les incises proprement dites. Pour le reste, Cortázar semble avoir analysé la fonction de chaque tiret et y avoir substitué la marque de ponctuation qui correspondrait en espagnol au sens ou à l’effet recherché par Villiers. Ceci l’amène à revoir la ponctuation entière de certaines phrases, ou mieux, à la recréer. Par exemple, lorsque au début du premier fragment Villiers écrit :

‘vint me chercher pour me rendre témoin, disait-t-il, d’expériences nouvelles, d’un ordre tout à fait extraordinaire, –et en plein Paris.’

Cortázar traduit :

‘vino en mi busca para hacerme testigo (decía él) de nuevas experiencias de un orden enteramente extraordinario … y en pleno París.’

L’exemple est parlant car même si la ponctuation diffère notablement, l’effet sur le lecteur semble bien être le même : le contraste entre « me rendre témoin » et le doute marqué par « , disait-il, » qui semble mis sur un autre plan par les deux virgules, comme dans une prise de recul, est bien rendu en espagnol par les parenthèses. D’autre part, le déplacement de l’adjectif « nuevas » avant le substantif « experiencias », ne rend plus nécessaire la virgule française, qui est donc supprimée dans le texte espagnol. Enfin, le tiret précédé de la virgule (« extraordinaire, –et en plein Paris. ») qui marque la pause dans l’énonciation ainsi qu’une certaine surenchère est remplacé par les points de suspension qui produisent un effet d’attente et de surprise.

Pour ce qui est de l’usage des italiques, cependant, la solution choisie reste plus énigmatique : Cortázar commence par remplacer les italiques par des guillemets, et ce jusqu’à la page 21, mais il décide ensuite de les conserver en espagnol, dans des cas qui semblent pourtant très proches 152 . Peut-être a-t-il voulu ainsi créer une gradation dans le mystère que transmettent ces italiques, puisque le changement correspond dans le récit au moment où la Sibylle est hypnotisée et où la Sorcière entre en scène, c’est-à-dire que le changement ouvre la scène de l’apparition de l’ombre de Meyerbeer proprement dite. Plus prosaïquement, peut-être s’agit-il d’un choix ou d’une erreur du typographe. Nous n’avons pas assez d’éléments pour trancher.

Le travail d’inférence et d’interprétation

Nous allons analyser ici quelques points où le texte français semble assez obscur et où Cortázar a dû réaliser un véritable choix de traducteur, en décidant un sens. Voyons-le dans cette description de la Sorcière :

‘Une femme d’environ cinquante ans, à la figure autrefois belle, –mais d’une cruelle, d’une grossière expression de sens (…) entra.’

On le voit, la « grossière expression de sens » est un terme ambigu : Villiers dit-il ici que le visage de la sorcière est l’expression d’un sens grossier, autrement dit d’une intelligence grossière ? Cela signifie-t-il plutôt qu’il exprime une sensualité grossière ? Une lecture actuelle comprendrait les deux sens, mais il n’est guère possible de traduire cette polysémie ou cette ambiguïté. Dès lors, Cortázar infère un sens et fait un choix interprétatif d’où découle sa traduction :

‘Una mujer, alrededor de los cincuenta años, de rostro antaño bello, pero con una cruel, grosera expresión sensual (…).’

Ce choix produit un portrait de la sorcière intéressant : elle n’est pas laide, comme dans l’image d’Épinal, et ceci renforce son caractère ambigu et attirant.

Mais voyons ce travail d’inférence à l’œuvre dans un autre exemple :

‘Ce corps sidéral, dont le corps physique n’est pour ainsi dire que le repoussé (…) n’est pas plus éteint par la mort qu’allumé par la vie.’

Le « repoussé », voilà bien un problème. Cette métaphore un peu vague fait de plus référence à une théorie tout abstraite : celle du corps sidéral. Si l’on n’est pas spécialiste d’occultisme, il est difficile de trancher : cela revient-il a dire que le corps physique est d’une certaine manière repoussé, refusé par le corps sidéral ? (Dans cette interprétation, l’auteur aurait substantivé l’adjectif repoussé, et c’est une tournure dont Villiers est assez friand…) Cette métaphore fait-elle au contraire référence au procédé de repoussage, qui permet de donner un relief à un matériau, comme le cuir par exemple ? Le repoussé du corps sidéral serait alors une sorte de relief, d’émanation de celui-ci. On le voit, les deux interprétations possibles ne donnent pas du tout le même sens. C’est la première possibilité que choisit Cortázar :

‘Este cuerpo sideral, del que el cuerpo físico no es más, por así decirlo, que el rechazo (…) no se apaga con la muerte más de lo que se ilumina con la vida.’

On voit là encore que la traduction est avant tout lecture, puis interprétation et enfin sélection d’un sens à traduire.

Le travail sur le style

Nous pouvons voir à travers cette traduction un Cortázar très sensible aux problèmes de style, par exemple lorsqu’il écrit :

‘creo en el magnetismo, porque es innegable, y se explica de manera concebible y aún con toda naturalidad (…).’

cela traduit :

‘je crois au magnétisme, parce qu’il est indéniable et très concevable et même très naturellement explicable (…).’

On voit donc qu’il a choisi de changer l’adjectif « explicable » en verbe. Pourquoi cela ? La réponse est simple si l’on rétablit la traduction la plus évidente, la plus littérale, qui serait : « creo en el magnetismo, porque es innegable y muy concebible y aún muy naturalmente explicable ». Trois adjectifs en –ble à la suite écorchent vraiment une oreille hispanophone ; c’est donc bien pour éviter cela, et donc pour des raisons stylistiques, que Cortázar choisit sa traduction.

D’autre part, il faut remarquer qu’en plusieurs endroits, le traducteur choisit des formules qui semblent un peu étranges ou vieillies, comme : « abríase » au lieu de « se abría », ou l’expression « siendo que » dans cette phrase :

‘ver al fin la visión deseada…siendo que nada tendría de exterior (…).’

Enfin, dans l’expression « en torno de ellas » le « de » au lieu de « a » semble un peu étrange. Nous croyons que c’est une manière pour Cortázar de donner l’illusion du style de Villiers : certaines tournures devaient sembler un peu anciennes, même en 1949, ou bizarres. Ceci confirme encore l’idée que toute traduction est une fiction, un mime de la communication entre auteur et lecteur de la langue originale.

Nous avons brièvement mentionné plus haut le rapport intertextuel entre ces deux ouvrages sous l’angle de la permutation narrative et en ce qui concerne le nom français du personnage de la Maga : la Sibylle. Toutefois, il faut aller plus loin car le thème central du récit de Villiers (la « magie » qui permet la matérialisation d’un mort au travers de trois figures médiumniques) peut bien avoir servi de figure centrale à tout un passage de Rayuela. En effet, la séquence qui correspond aux chapitres 43 à 54 (dans l’ordre du « Tablero de dirección » 153 et dans l’ordre linéaire) peut être lue entièrement à travers ce calque. Tout commence justement au chapitre 43 par une anticipation :

‘Entre una palabra y otra de Talita (…) oyó [Horacio] la ridícila frase lusitana que inventaba sin saberlo un futuro de frigoríficos y caña quemada. 154

Ce futur, ce sera la scène du chapitre 54 où Horacio prend Talita pour la Maga, devant les frigos de la morgue de la clinique, pendant que Traveler lit Cerefino en buvant de la caña (chapitre 129). Les chapitres 43 et 54 sont encore unis par un « omphalos » : le premier de ces axes verticaux, ouvert vers le ciel, est représenté par l’orifice du chapiteau du cirque ; le second, plongeant vers les profondeurs, est matérialisé par le « pozo negro » 155 du monte-charge de la clinique. Nous parlons ici d’omphalos car ces deux béances semblent bien tenir le même rôle que celui des puits et des cyprès dans les cloîtres romans : ce sont des « nombrils du monde », des centres, un symbole puissant de transcendance, marquant un lieu sacré, un lieu de la révélation. C’est dans ce décors-là que peut commencer, au chapitre 43, l’analogie avec La Sombra de Meyerbeer :

‘– (…) yo [Talita] estoy en el medio como esta parte de la balanza que nunca sé como se llama.
– Sos nuestra ninfa Egeria, nuestro puente mediúmnico. Ahora que lo pienso, cuando vos estás presente Manú y yo caemos en una especie de trance. Hasta Gekrepten se percata, y me lo ha dicho empleando precisamente este vistoso verbo. 156

Talita est au milieu de Horacio et Traveler, comme elle l’était sur le « tablón » du chapitre 41, et cette position fait d’elle un médium entre les deux figures masculines qui entrent en transe à son contact, tout comme le Docteur L. mettait en transe la Sorcière et la Sibylle dans le récit de Villiers. Ces deux figures féminines étaient opposées en tout point et c’est ainsi que, dès le chapitre 45, Horacio et Traveler vont entrer dans une rivalité muette et sans objet clairement défini ; c’est le pendant nocturne de la scène du « tablón », sa version ésotérique. Traveler épie alors la fenêtre d’Horacio :

‘Era natural porque en el fondo el tablón seguía estando ahí, y la negativa a pleno sol podía quizá ser otra cosa a plena noche, virar a una acquiescencia súbita, y entonces él estaría allí en su ventana, fumando para espantar a los mosquitos y esperando que Talita somnámbula se desgajara suavemente del cuerpo de Traveler para asomarse y mirarlo de oscuridad a oscuridad. Tal vez con lentos movimientos de la mano él dibujaría signos con la brasa del cigarrillo. Triángulos, circunferencias, instantáneos escudos de armas, símbolos del filtro fatal o de la difenilpropilamina, abreviaciones farmaceúticas que ella sabría interpretar, o solamente un vaivén luminoso de la boca al brazo del sillón, del brazo del sillón a la boca, de la boca al brazo del sillón, toda la noche. (…) Si él había estado en alguna parte del pozo negro, metido en el fondo de la pieza y desde allí mirando por la ventana, tenía que haber visto a Traveler, su camiseta blanca como un ectoplasma. 157

Ce passage semble clairement inspiré du roman noir, d’une manière d’ailleurs assez ironique : il y est question de signes hermétiques, de philtre, d’ectoplasme et d’une version moderne de la sorcière, celle qui connaît les ingrédients secrets des philtres : la pharmacienne. Il s’est bien formé ici un triangle magique, comme le dit clairement le chapitre 46, où revient également le thème du philtre :

‘–Ustedes, che, a lo mejor son ese coagulante de que hablamos hace un rato. Me da por pensar que nuestra relación es casi química, un hecho fuera de nosotros mismos. Una especie de dibujo que se va haciendo. 158 (…)
–No tenés más que chasquear los dedos así –dijo Oliveira en voz muy baja– y no me ven más. Sería injusto que por culpa mía, vos y Talita…
–A Talita dejala afuera.
–No –dijo Oliveira–. Ni pienso dejarla afuera. Nosotros somos Talita, vos y yo, un triángulo sumamente trismegístico. 159

Autrement dit, ces trois personnages forment un triangle hermétique –d’Hermès Trismégiste–, une figure ésotérique et magique. Mais c’est au chapitre 47 que se révèle pour le lecteur le caractère réellement magique de Talita. Ceci se joue sur un double plan. Il y a d’un côté ce que Talita perçoit lorsqu’elle réécoute ce qu’elle vient d’enregistrer sur un magnétophone (« Soy yo, soy él ») :

‘Pensaba en Manú y Horacio al mismo tiempo, en el simil de la balanza que tan vistosamente habían manejado Horacio y ella en la casilla del circo. La sensación de estar habitada se hacía entonces más fuerte (…). Soy yo, soy él, lo había dicho sin pensarlo, es decir que estaba más que pensado, venía de un territorio donde la palabras eran como los locos en la clínica, entes amenazadores o absurdos viviendo una vida propia y aislada, saltando de golpe sin que nada pudiera atajarlos : Soy yo, soy él, y él no era Manú, él era Horacio, el habitador, el atacante solapado, la sombra dentro de la sombra de su pieza por la noche, la brasa del cigarrillo dibujando lentamente las formas del insomnio. 160

Si Talita se rend compte du lien qui l’unit à Horacio et interprète cela comme une sorte d’invasion de sa personne, c’est tout autre chose que le lecteur comprend. En effet, lorsque Talita s’enregistre sur le magnétophone, il lit :

‘y Horacio delante de su mesita, con una vela, leyendo y fumando. 161

Mais voici ce qu’il lit lorsqu’elle réécoute la bande :

‘« …Horacio delante de su mesita, con una vela verde… » 162

A l’insu de Talita 163 , il s’est produit un phénomène magique que le lecteur repère : la simple « vela » est devenue « vela verde », ce qui est loin d’être innocent. En effet, dans « Del lado de allá », la première partie de Rayuela, le signe de la « vela verde » est mentionné 15 fois 164 et toujours en association avec la Maga. Le climax de ce signe se trouve page 148 :

‘–Basta, basta. Horacio no me lo perdonará nunca, aunque no esté enamorado de Pola. Es para reírse, una muñeca de nada con cera de vela de Navidad, una preciosa cera verde, me acuerdo.
–Lucía me cuesta creer que haya podido…
–No me lo perdonará nunca, aunque no hablamos de eso. El lo sabe porque vio la muñequita y vio los alfileres. La tiró al suelo, la aplastó con el pie. No se daba cuenta de que era peor, que aumentaba el peligro. Pola vive en la rue Dauphine, él iba a verla casi todas las tardes. ¿Le habrá contado lo de la muñequita verde, Ossip? 165

Ces bougies vertes sont donc un signe de la puissance magique de la Maga, puisqu’elle s’en sert pour fabriquer une poupée d’envoûtement et qu’à ce moment précisément, Pola apprend qu’elle a un cancer du sein. Nous pouvons donc lire l’apparition de la « vela verde » sur la bande enregistrée de Talita comme le premier surgissement en elle de la Maga. Comme chez Villiers, l’ombre de la Maga se prépare à venir.

Au début du chapitre 48, grâce à une focalisation sur Horacio, nous assistons à une archéologie des semblants d’apparitions de la Maga : d’abord sur le pont du bateau qui ramenait Horacio vers l’Argentine, puis, sur le port, à son arrivée :

‘Cuando Traveler le presentó a Talita en el puerto, tan ridícula con este gato en la canasta y un aire entre amable y Alida Valli, volvió a sentir que ciertas remotas semejanzas condensaban bruscamente un falso parecido total, como si de su memoria aparentemente tan bien compartimentada se arrancara de golpe un ectoplasma capaz de habitar y completar otro cuerpo y otra cara, de mirarlo desde fuera con una mirada que él había creído reservada para siempre a los recuerdos. 166

Nous pouvons penser ici à la scène de l’apparition dans La Sombra de Meyerbeer :

‘Una sombra de rostro, un vaho, diafanizado por el mismo resplandor, pareció desgajarse del rostro de la señora L… (…). Muy pálida, trasudaba ella esta pálida irradiación, indistincta, y que se esforzaba por condensarse en una especie de halo diáfano ; se hubiera dicho la máscara de un rostro humano superponiéndose (…) sobre la cabeza misma de la señora X… (…). Aquello quería ser, en efecto, una semejanza del Giácomo Meyerbeer conocido. 167

Nous retrouvons bien entre ces deux textes l’idée d’un visage apparaissant sur un autre visage, diaphane comme un ectoplasme, ressemblant comme un souvenir. Certes, le genre n’est pas le même et dans Rayuela, il n’est pas question d’épouvanter le lecteur par une description quelque peu hyperbolique, mais la ressemblance de ces deux figures narratives ne semble pas à mettre en doute.

Enfin, l’apparition finale a lieu, au chapitre 54, et cette fois, Horacio n’essaie plus de s’en prévenir. Elle a lieu en deux temps et tout d’abord dans la cour de la clinique, jouant à la marelle :

‘Todo había sido un poco como en las pinturas de Leonora Carrington, la noche con Talita, la rayuela, un entrecruzamiento de líneas ignorándose, un chorrito de agua en una fuente. Cuando la figura de rosa salió de alguna parte y se acercó lentamente a la rayuela, sin atreverse a pisarla, Oliveira comprendió que todo volvía al orden, que necesariamente la figura de rosa elegiría una piedra plana de las muchas que el 8 amontonaba al borde del cantero, y que la Maga, porque era la Maga, doblaría la pierna izquierda y con la punta del zapato proyectaría el tejo a la primera casilla de la rayuela. Desde lo alto veía el pelo de la Maga, la curva de los hombros y como levantaba a medias los brazos para mantener el equilibrio (…). Talita alzó la cabeza y vio a Oliveira en la ventana. 168

Horacio a vu la Maga dans Talita. Il se cherche des explications rationnelles à cette vision et l’on retrouve ici le thème du doute face au surnaturel qui apparaissait dans La Sombra de Meyerbeer :

‘“Admití que se parece bastante”, pensó. “Con eso y ser un cretino todo se explica al pelo.” Pero lo mismo se quedó mirando el patio, la rayuela desierta, como para convencerse. 169

Ilconfie peu après cette vision à Talita ; elle non plus ne veut y croire :

‘–Tenés razón –dijo Talita–. ¿Por qué me habré puesto [a jugar a la rayuela]? A mí en realidad no me gustó nunca la rayuela. Pero no te fabriques una de tus teorías de posesión, yo no soy el zombie de nadie.
–No hay necesidad de decirlo a gritos.
–De nadie –repitió Talita bajando la voz–. 170

Après cette première apparition (la fausse, celle dont on doute), Talita donne à boire à Horacio un verre de limonade, tel une figure de philtre magique. Prend alors place une scène digne du roman noir : l’entrée en scène épouvantable du « vieux à la colombe », un malade de la clinique, qui remonte du sous-sol par le monte-charge 171 . Ce personnage tient lieu ici d’ange, au sens étymologique de messager : c’est sa présence qui invite Horacio et Talita à la catabase, cette sorte de descente aux Enfers, à la morgue, où aura lieu la véritable apparition. Notons que Talita présente ainsi le sous-sol de la clinique :

‘El agujero acaba en el sótano –dijo Talita–. Hay cucarachas, si te interesa saberlo, y trapos de colores por el suelo. Todo está húmedo y negro, y poco más lejos empiezan los muertos. 172

Il faut voir dans ce décor de l’apparition une réminiscence de La Sombra de Meyerbeer, dont la scène finale était :

‘Pero, al extender la mano entre ella y yo, sentí una cosa que, para mí, es la última palabra de lo incomprensible. Fué como si mi mano entrara con una sensible dificultad en la atmósfera húmeda, fría y pesada de un sótano. 173

Cette descente à la morgue est bien une catabase, puisque Horacio fait référence à l’Hadès, en disant : « no hay ninguna Euridice que buscar » (« il n’y a pas d’Eurydice à chercher »). Et pourtant, c’est bien une figure d’Eurydice qui va apparaître en Talita : la résurgence d’une femme morte, la Maga. De là naît une résolution : les souvenirs remontent à Horacio, qui enfin parle, parle en français à Talita comme s’il parlait à la Maga. Pendant un moment, ils acceptent lui et elle que Talita soit la Maga et ils s’embrassent comme une cérémonie. Il est alors question de paradis, d’une sorte de ciel pour la marelle, ciel intenable et réellement fantastique, où la logique aristotélicienne a bel et bien cédé puisque l’on peut y être à la fois A et non-A, Talita et la Maga.

Il nous semble à présent avoir réuni suffisamment d’éléments pour établir un parallèle entre La Sombra de Meyerbeer et Rayuela. Il s’agit sans doute d’une de ces figures cachées, qui travaillent sous la surface narrative. Les décoder permet de donner un éclairage nouveau à Rayuela et donc, d’en produire une meilleure lecture. Il semble probable que l’auteur ait eu un souvenir plus ou moins conscient de l’argument et de l’effet du récit de Villiers en écrivant cette séquence. Pour le lecteur, reconnaître ici un intertexte puissant avec Villiers permet d’expliquer la sensation que quelque chose se trame sous le récit, que de petits indices coagulent soudain dans l’apparition de la morgue.

Notes
139.

« VILLIERS DE L’ISLE ADAM : LA SOMBRA DE MEYERBEER. Récit posthume de l’auteur des Contes cruels. Meyerbeer représente un cas très curieux ; il est presque complètement oublié aujourd’hui mais a été tellement lié par sa production à la vie artistique parisienne qu’Henri Murger, parlant de sa propre mort qu’il sentait venir, faisait ses adieux au monde en écrivant dans son Testament : « Le ciel n’a pas voulu me permettre de m’asseoir dans le groupe d’élus qui verra L’Africaine… » C’est pour cette raison que, suite au beau récit de Villiers et à sa juste appréciation de Meyerbeer, on trouvera deux appendices : le premier, Villiers musicien, montre l’autorité de ce grand écrivain en matière de musique ; le second, Fortune de Meyerbeer,essaie de réunir quelques témoignages dignes d’intérêt sur le compositeur./ Prologue et traduction de Julio Cortázar./ Appendices de Daniel Devoto./ Dessin en couleur d’Otano./ Prix de l’exemplaire : 8 pesos. » (Trad. S.P.)

140.

« JULIO CORTAZAR : LOS REYES. Tirage à 500 exemplaires avec un dessin en couleur de Capristo (8 pesos) –100 exemplaires sur papier Ingres avec un dessin coloré à la main par l’auteur. » (Trad. S.P.)

141.

Voir M. GOLOBOFF : Julio Cortázar, la biografía, Buenos Aires, Seix Barral, 1996, p. 72. Voir également « Daniel Devoto : Canciones despeinadas », « reseña » écrite par Cortázar en 1947 sur l’œuvre poétique de Devoto.

142.

Pour une analyse plus détaillée du texte original, voir : S. PROTIN : « Une curiosité : « L’Ombre de Meyerbeer » de Villiers de l’Isle-Adam », p. 115-125 de Textures n°8 (Icare et autres curieux), avril 2002.

143.

Cette estimation est proposée par A. RAITT et P.-G. CASTEX dans la « Notice des esquisses narratives et récits interrompus » pour les Œuvres complètes (tome II) de Villiers de l’Isle-Adam, La Pléiade, 1986.

144.

L’Arche, Paris, juillet 1946. Nous avons consulté ce numéro sur microfilm, à la BNF, sous la cote M-4472.

145.

« E. Drougard, découvreur des fragments manuscrits à partir desquels il a pu –d’une manière un peu précaire, mais dans une évidente unité d’ensemble– reconstruire ce récit inconnu de Villiers de l’Isle Adam. » (Trad. S.P.)

146.

La Sombra de Meyerbeer, opus cit. p.9-10. « L’ordre des fragments est conjectural, puisqu’ils ont été écrits puis retrouvés sur des pages non numérotées ; pourtant, les hiatus (…) ne sont pas de nature à affecter la compréhension générale (ni le climat, l’intensité croissante) du récit ; la pénétrante présence de mystère et même de transgression qui en émane semble se creuser dans ces brusques trous où le hasard a placé le silence à l’endroit que la prose ou les intentions de Villiers remplissaient. » (Trad. S.P.)

147.

« On remarquera aussi que Madame L… se transforme vers la fin en Madame X… ; de même, on note des mots ou des tournures qui se répètent de manière rapprochée et que nous avons conservés dans la traduction. » (Trad. S.P.)

148.

« Le lecteur s’en rendra compte par certaines brusques interruptions de la pensée, qui prend un autre tour sans que l’auteur, attentif à ne pas entraver son expression originale, change ce cap qui aurait été articulé et poli par les retouches postérieures. (…) Il est évident que Villiers a abandonné le texte avant d’entreprendre le travail où la synonymie déploie tous ses recours pour aider le narrateur qui corrige son œuvre. » (Trad. S.P.)

149.

Diario de Andrés Fava, Madrid, Alfaguara, 1995, p. 33. « Conversation des poètes. / Le lecteur est le pont, celui qui les présente et écoute leur dialogue. » Trad. S.P.

150.

« A la pourriture-oracle de Valdemar et à « La Charogne », [Villiers] répond avec les yeux exorbités de Claire Lenoir, avec la sorcière écumante que nous ne voyons qu’à peine mais qui râle sourdement dans les derniers fragments de « L’Ombre de Meyerbeer ». » (Trad. S.P.)

151.

Villiers de l’Isle Adam, in « Avis au lecteur », cité dans l’introduction de L’Ève future des Œuvres Complètes tome I, La Pléiade, 1986.

152.

Comparez p. 21 : « pensad “en otra” persona muerta ! » (« pensez à une autre personne morte », p. 6 de l’original) et p. 32 « llega a ser realmente aquello que representa » (« elle devient réellement ce qu’elle joue », p. 9 de l’original). Dans ces deux cas, la fonction des italiques français est bien celle d’un soulignement.

153.

Il s’agirait des chapitres : 43-125-44-102-45-80-46-47-110-48-111-49-118-50-119-51-69-52-89-53-66-149-54.

154.

Rayuela, p. 272. Dans Marelle, ce passage est tronqué (p. 277-278). Nous traduisons donc : « A travers les paroles de Talita (…) [Horacio] entendit la ridicule phrase portugaise qui inventait sans le savoir un futur de frigos et de caña quemada. » (Trad. S.P.)

155.

« puits noir ».

156.

Rayuela p. 273. « –Moi je suis au milieu de cette partie de la balance dont je ne saurai jamais le nom./ –Tu es notre nymphe égérie, notre pont médiumnique. Maintenant que j’y pense, quand tu es là Manou et moi entrons dans une espèce de transe. Même Gekrepten s’en est aperçue et elle me l’a dit en employant précisément ce mot superbe. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 278)

157.

p. 281-282. « C’était assez normal parce qu’au fond la planche était toujours là et le refus en plein soleil pouvait devenir autre chose en pleine nuit, virer à un acquiescement subit, et il était peut-être là, lui, à sa fenêtre, fumant pour éloigner les moustiques et attendant que Talita, somnambule, se détachât doucement du corps de Traveler et allât se pencher à la fenêtre pour le regarder, d’obscurité à obscurité. Alors, avec de lents mouvements de la main, il tracerait des signes avec la braise de sa cigarette. Triangles, circonférences, blasons instantanés, symboles du philtre fatal ou de la diphénilpropilamine, abréviations pharmaceutiques qu’elle saurait interpréter, ou, simplement, un va-et-vient lumineux du bras du fauteuil à la bouche, de la bouche au bras du fauteuil, toute la nuit. (…) Et s’il s’était trouvé quelque part dans ce puits noir, en train de regarder la fenêtre, il avait forcément vu Traveler, sa chemise blanche comme un ectoplasme. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.286-287)

158.

p. 288. Avant cela, il vient d’être question de mandragore. Ce chapitre est aussi à lire avec l’intertexte de l’Antoine et Cléopâtre de Shakespeare, livre qu’est en train de lire don Crespo et où il est également question d’un triangle formé de deux hommes et d’une femme.

159.

p. 289. « –Vous, eh bien, vous êtes peut-être ce coagulant dont nous parlions tout à l’heure. Cela me donne à penser que nos relations sont presque chimiques, un fait en dehors de nous-mêmes. Une espèce de dessin qui prend forme. (…)/ –Tu n’as qu’à faire un signe et je disparaîtrai, dit Oliveira à voix très basse. Ce serait injuste que par ma faute, Talita et toi…/ –Laisse Talita tranquille./ –Non, dit Oliveira. Non, je n’ai pas l’intention de la laisser tranquille. Nous sommes, Talita, toi et moi, un triangle éminemment trismégiste. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 294)

160.

« Elle pensait à Manou et à Horacio en même temps, au fléau de la balance qu’ils s’étaient si élégamment renvoyé, Horacio et elle, dans le bureau du cirque. La sensation d’être habitée devenait alors plus forte (…). Je suis moi, je suis lui, avait-elle dit sans y penser, c’est-à-dire que c’était plus que pensé, cela venait d’un territoire où les mots étaient comme les fous de l’asile, entités menaçantes ou absurdes vivant une vie propre, isolée, bondissant soudain sans que personne pût les retenir : Je suis moi, je suis lui, et lui ce n’était pas Manou, lui c’était Horacio, l’habitant, l’assaillant sournois, l’ombre dans l’ombre de sa chambre la nuit, la braise de sa cigarette dessinant lentement les formes de l’insomnie. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 298-299).

161.

« et Horacio, devant sa pauvre table, en train de lire ou de fumer, à la lumière d’une bougie. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 297).

162.

« Horacio, devant sa pauvre table, en train de lire ou de fumer, à la lumière d’une bougie verte. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 297).

163.

Talita est victime d’une ironie tragique, puisqu’elle imagine peu avant ce fait magique : « “El ojo mágico es realmente mágico, las estrías verdes que os...” Pero lo realmente mágico sería que mi voz dijese: “El ojo mágico juega a la escondita, las estrías rojas...” » Rayuela p. 291. (« “L’œil magique est réellement magique, les raies vertes qui os…” Mais ce qui serait vraiment magique ce serait que ma voix dise : “L’oeil magique joue à cache-cache, les stries rouges...”» Trad. L. G.-B., Marelle, p. 296).

164.

p. 16 (chap. 1), p. 50 (chap. 9), p.52 (chap. 10), trois fois p. 54 (chap. 11), p. 58 et 59 (chap. 12), p. 76 (chap. 16), deux fois p. 79 (chap. 17), p. 84 et 86 (chap. 18) et enfin deux fois p. 148 (chap. 27).

165.

« –Suffit. Horacio ne me le pardonnera jamais, encore qu’il ne soit pas amoureux de Pola. C’était pour rire, une petite poupée de rien du tout, faite dans la cire d’une bougie de Noël, une très belle cire verte, je me souviens./ –Lucia, il m’en coûte de croire que vous avez pu…/–Il ne me pardonnera jamais, bien que nous n’en parlions pas. Il le sait parce qu’il a vu la poupée, qu’il a vu les aiguilles. Il l’a jetée par terre et l’a écrasée. Il ne se rendait pas compte que c’était encore pire et qu’ainsi le danger devenait plus grand. Pola habite rue Dauphine. Lui, il allait la voir presque tous les après-midi. Est-ce qu’il lui aura parlé de la poupée verte, Ossip ? » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 148).

166.

p. 297. « Et puis quand Traveler lui avait présenté Talita, au port, avec son air mi-aimable, mi-Alida Valli, et ce chat dans un panier, il avait à nouveau senti que certaines ressemblances lointaines se condensaient brusquement en une fausse ressemblance totale, comme si, de sa mémoire, en apparence bien compartimentée, se levait soudain un fantôme capable d’habiter et de compléter un autre corps et un autre visage, de le regarder du dehors avec un regard qu’il avait cru réservé pour toujours aux souvenirs. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 302).

167.

La Sombra de Meyerbeer, p. 31. Il est à noter que la traduction conserve ici les incohérences du manuscrit original : la « señora L… » est bien la même personne que la « señora X… ». (« Une ombre de visage, une buée, diaphanéisée par la lueur même, sembla se dégager du visage de Mme L *** . (…) Fort pâle, elle transsudait ce rayonnement pâle, indistinct, et qui s’efforçait de se condenser en une sorte de buée dia­phane : on eût dit le masque d'un visage humain se superpo­sant (…) sur la tête même de Mme X. (…) Cela voulait être en effet une ressemblance du M. Giacomo Meyerbeer connu. » Texte original, selon la première publication du manuscrit).

168.

p. 321. « Tout s’était passé un peu comme dans les peintures de Léonora Carrington, la nuit avec Talita et la marelle, un croisement de lignes qui s’ignoraient, un petit jet d’eau dans une fontaine. Quand la silhouette rose sortit de l’ombre et s’approcha lentement de la marelle, Oliveira comprit que tout rentrait dans l’ordre, que la forme rose allait obligatoirement choisir une pierre plate parmi celles que le 8 empilait près du parterre et que la Sibylle, car c’était la Sibylle, replierait sa jambe gauche et que, du bout du pied, elle pousserait la pierre dans la marelle. Il voyait d’en haut les cheveux de la Sibylle, la courbe des épaules et les bras à demi levés pour se maintenir en équilibre (…). Talita leva la tête et vit Oliveira à la fenêtre. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 328).

169.

p. 322. « ‘Reconnais qu’elle lui ressemble assez, pensa-t-il. ça, plus le fait que je suis un crétin, et tout s’explique parfaitement.’ Mais il resta quand même encore un moment à la fenêtre à regarder la cour, la marelle déserte, comme pour se convaincre. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.329).

170.

p. 324. « –Tu as raison, dit Talita. Pourquoi diable ai-je joué [à la marelle] ? Parce que au fond, je n’ai jamais aimé la marelle. Mais ne fabrique pas aussitôt une de tes théories de l’envahissement, je ne suis le zombie de personne./ –Pas besoin de crier pour dire ça./ –De personne, répéta Talita en baissant la voix. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 331).

171.

Nous avons déjà étudié de ce personnage dans la partie consacrée à Nacimiento de la Odisea.

172.

p. 324. « Le trou donne sur la cave, dit Talita. Il y a des cafards, si ça t’intéresse, et des chiffons de couleur par terre. Tout est humide et noir, et un peu plus loin commencent les morts. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.332).

173.

La Sombra de Meyerbeer, p. 32. « Mais, en étendant la main entre elle et moi, je ressentis une chose qui, pour moi, me semble le dernier mot de l'incompréhensible. Ce fut comme si ma main entrait avec une difficulté sensible, toujours dans la propor­tion de réalité précédente, dans l'atmosphère humide, froide et lourde d'une cave. » (Texte original, ibid.)