Filosofía de la risa y del llanto paraît pour la première fois en espagnol et à Buenos Aires sous le sceau des éditions Imán, en 1950 (date d’impression). L’ouvrage comporte 273 pages, un texte de présentation non signé sur le revers de la couverture, et sur celui de la quatrième, une liste d’ouvrages de cette collection. Le livre est terminé d’imprimer le 20 novembre 1950, mais nous ne pouvons en donner de description plus précise, faute de le posséder (nous n’en avons que des photocopies). Le traducteur est Julio Cortázar ; il ne rédige qu’une seule note, p. 129, afin d’expliciter un jeu de mots intraduisible. Contrairement à La filosofía de Sartre y el psicoanálisis existencialista (autre ouvrage de Stern traduit par Cortázar), l’original est en français ; il est publié à Paris en 1949, sous le titre de Philosophie du rire et des pleurs.
Il s’agit pour Cortázar, avec Filosofía de la risa y del llanto,de la première traduction qui ne soit pas liée à de la littérature ou à de la critique littéraire : cet ouvrage est celui d’un philosophe français qui a fui la guerre et s’est installé aux États-Unis. Suite au travail de correction sur Moisés, Cortázar collabore une nouvelle fois avec Imán, peut-être grâce à son ami Samuel Kaplan. Nous avons vu qu’il réalise à cette époque un voyage de plusieurs mois en Italie et en France 176 : nous pouvons donc émettre l’hypothèse que cette traduction se situe biographiquement avant le voyage de Cortázar en Europe ; il semble probable que les émoluments qu’il en retire lui aient servi à financer en partie ce voyage.
Essayons de comprendre la portée de cet ouvrage. Le propos de Stern est ici de démontrer que le rire n’obéit pas au contraste, comme le pensent maints philosophes : on ne rit pas, selon lui, parce que l’objet comique est en décalage avec le monde. Il affirme que le rire et les pleurs sont plutôt à penser en relation avec les valeurs. On rit car l’objet comique implique une dégradation de la valeur qu’il représente : lorsque, dans Le Dictateur, Charlie Chaplin tombe de son avion dans un lac et qu’il en ressort couvert de boue, on rit car la « grandeur » du dictateur est dégradée. On pleure au contraire car l’objet en cause nous fait désirer des valeurs menacées, perdues ou irréalisables : si le dictateur tombait dans un lac de sang humain, le spectateur pleurerait les vies anéanties par le nazisme.
C’est sur ce modèle que Stern détaille diverses modalités du rire et des pleurs, pour analyser ensuite leur fonction sociale : en riant de ce qui est autre (minorités ethniques, religieuses, comportements inhabituels…), la société dégrade leurs valeurs intrinsèques et réaffirme par là-même sa cohésion. Par le même biais, l’individu peut rire des valeurs collectives qui se prétendent universelles, ce qui les remet en cause et peut lui permettre de se libérer de cette fausse universalité. Les pleurs collectifs servent au contraire à exacerber les valeurs sociales mises en question et à augmenter ainsi la cohésion du groupe autour d’elles : c’est la fonction du deuil national par exemple 177 .
L’ouvrage de Stern nous a paru intéressant car, somme toute, il aborde le rire et les pleurs sous l’angle de la morale (comme catégorie philosophique), qui n’hésite pas à remettre en cause et à dénoncer la morale sociale.
Nous nous proposons d’analyser la traduction d’un passage du chapitre intitulé « Quelques fonctions sociales du rire et des pleurs ». Nous allons voir que le style de Stern n’est pas complexe comme peut l’être celui d’autres philosophes ; la lecture est agréable car le texte est très didactique 178 :
‘Nous avons déjà vu que quiconque dégrade des valeurs universellement valables, tombe dans le ridicule. Si c’est la société qui se charge de la châtier par le rire, c’est qu’elle a adopté ces valeurs et cherche à les préserver par des sanctions. Mais il n’est pas dit que la société tienne dans son système de valeurs l’exclusivité des valeurs universellement valables, car souvent elle fait passer des valeurs collectives pour des valeurs universelles et stigmatise d’individuelles ou de collectives des valeurs universelles, affirmées par l’individu ou par un groupe social. La société n’est donc pas toujours un administrateur honnête des valeurs universelles.Voici la traduction qu’en fait Cortázar :
‘Ya hemos visto que quienquiera degrade valores universalmente válidos, cae en el ridículo. Si es la sociedad la encargada de castigarlo con la risa, es que ha adoptado esos valores y busca preservarlos mediante sanciones. Pero no está dicho que la sociedad tenga en su sistema de valores la exclusividad de los valores universalmente válidos, pues con frecuencia hace pasar valores colectivos por universales, y estigmatiza como individuales o colectivos a valores universales afirmados por el individuo o por un grupo social. La sociedad no es siempre, pues, una administradora honesta de los valores universales.On le voit, la traduction est très proche de l’original : le style étant relativement lisse, il n’est pas besoin de recréer le texte en le traduisant ; les variations significatives sont donc minimes. La deuxième phrase traduit « c’est la société qui se charge de » par « la sociedad es la encargada de », transformant ainsi la subordonnée en substantif. La seconde phrase fait l’élision du nom « valeurs », répété en maints endroits, mais sans perte de sens : « hace pasar valores colectivos por universales » remplace « fait passer des valeurs collectives pour des valeurs universelles ». A la fin du premier paragraphe, Cortázar fait un accord qui semble logique : « la sociedad no es siempre, pues, una administradora honesta » pour « la société n’est donc pas toujours un administrateur honnête ».
Le second paragraphe ne propose que très peu de variantes significatives ; celles que nous notons le sont à peine : « se hace evidente » pour « il devient manifeste » ; un « sistema de valores en competencia » pour un « système de valeurs concurrent ». De même, dans le troisième paragraphe : « un cimiento de más cohesión » pour « un ciment plus cohésif ». L’ajout d’une virgule dans la dernière phrase introduit une petite pause qui correspond bien au contenu (« este llanto del grupo que constituye el cortejo fúnebre, es consolador »). Par ailleurs, il est intéressant de noter que la traduction très littérale choisie pour « à juste titre » (« a justo título ») ne semble pas entièrement correcte : María Moliner recense plutôt « con justo título », avec le même sens. Il est fort possible que le substrat français ait ici mené à cette traduction sous forme de calque.
Nous pouvons donc voir que Cortázar adapte ses recours de traducteur aux particularités du texte qu’il traduit : très « interventionniste » pour Gide, par exemple, mais extrêmement proche de l’original pour Stern.
Penchons-nous à présent sur le sens du texte que nous venons d’étudier : on le voit, plus que le rire et les pleurs, ce qui intéresse Stern ici, ce sont les valeurs, celles de l’individu face à la société. Sa pensée est critique face aux conventions sociales et ne manque pas de pertinence. Ces préoccupations recoupent d’ailleurs celles de Gide dans L’Immoraliste : ce qui n’est pas correct socialement est-il pourtant inacceptable d’un point de vue philosophique ? N’y a-t-il pas autre chose à chercher que de se plier simplement aux impératifs sociaux ? Ceux-ci, d’ailleurs, sont-ils fondés en raison ? Mènent-ils au bonheur ? Nous croyons que c’est de ce questionnement surtout que naît le chapitre 28 de Rayuela, celui de la mort de Rocamadour. Nous allons à présent essayer de démontrer que la problématique de la remise en question de valeurs sociales prétendument universelles sous-tend tout le chapitre.
Ce dernier s’ouvre sur le désir de la Maga d’écouter un disque, malgré l’heure tardive et l’état de santé de Rocamadour, qui dort dans la même pièce. Gregorovius pose dès le début le problème en termes de valeurs :
‘–¿A usted no le gustaría escuchar música?C’est bien une transgression des valeurs qui scandalise Gregorovius : la Maga n’a pas le comportement d’une mère « normale » dans un tel cas. Il serait logique qu’elle pleure, c’est-à-dire, selon Stern, qu’elle regrette la santé passée de son enfant, et c’est ce que croit voir Gregorovius. Pourtant, la Maga incarne au contraire la remise en question instinctive des conventions sociales et c’est ce que tous les personnages du Club lui envient. Face à elle, le vieil homme de l’étage supérieur représente la norme, l’ordre, l’acceptation totale de ces valeurs sociales. Un peu plus loin, on lit :
‘Los golpes cesaron, por un rato el cuarteto se encaminó a su fin sin que se oyeran siquiera los ronquidos espaciados de Rocamadour. (...) Empezaron a golpear otra vez.On le voit, les pleurs attendus de la Maga sont déplacés vers un autre objet : elle regrette ici la perte de sa liberté individuelle. Gregorovius, lui, persiste dans une attitude conciliante face à la norme. Il faut encore remarquer que ce moment est sans doute celui de la mort de Rocamadour, qui cesse de respirer. Le lecteur s’en rendra compte rétrospectivement : la véritable subvertion des valeurs se joue ici, lorsque la Maga pleure sa liberté au moment même de la mort de son enfant. Pourtant, il n’arrivera pas à blâmer cette « mauvaise mère », plus inconsciente que coupable.
‘La Maga lloraba entrecortadamente, tosiendo y echándole a la cara el aliento cargado de tabaco.La Maga se moque de Gregorovius, rabaisse sa fausse indifférence face aux plaintes du voisin. En outre, il a mal interprété le sens de ses pleurs et cherche à la consoler tout autant qu’à profiter de la situation pour la séduire, nous allons le voir. Dans le manuscrit de Austin 186 , prend en effet place ici une rêverie obscène de Gregorovius, dont les passages en français sont mal transcrits dans l’édition d’Archivos. Nous n’avons pas pu consulter l’original, mais nous pensons que le texte doit être :
‘Ah, poder asistir sin estar, formar parte del poliedro desde la ausencia, ser el espectador sin responsabilidad. Y en realidad hubiera [haría] hecho mucho mejor en meterle la mano //al asunto// a fondo //de ahí de// debajo de la falda. [excitarla] /titilarla/ antes de que me rechazara, inclinarla inevitablemente hacia el abandono... Aunque Horacio estuviera escuchando detrás de la puerta, lo mismo tirados, no, no soy un hombre, la delicadeza puede más que el escroto, pero hubiera sido tan hermoso desnudarla entre plumas negras, adivinando su vientre con las manos, tanteando antes de sentirla aceptar, //colocarse con el gesto// quedarse quieta, entornar las piernas en el ángulo justo para que mi resbalón la enhebrara ad patris inmentinbuliformis, amen. Merde, alors. Et contremerde, et remerde, quoi. / La poisse, et pourquoi ce souvenir de Biribi-la-Dévoine, de l’Ile Saint-Louis, sa bohème et son coeur ? Zut, et dire que même elle aurait consenti à ce que je l’encule tout de suite, rien qu’avec de la salive, et allons donc, et non (ilegible) pleure pas comme ça tu [tú] vas réveiller le gosse, laisse moi encore un tout petit peu, mais oui ça fait mal mais c’est doux et puis tu aimes ça je le sens, il y a quelque chose dans ton derrière [tes fesses] quand tu te promènes. /Demasiado tarde, ni por atrás ni por delante, están hablando ahí fuera, se están peleando, es seguro. Hay un lío de todos los diablos. 187 ’Gregorovius n’est donc pas, dans la première version de ce passage, le défenseur des valeurs sociales qu’il prétend être : il rêve d’une transgression des valeurs bien plus importante encore que la Maga mais n’a pas le courage de la mettre en pratique. Il ressemble bien, en cela, à un « salaud » sartrien (« être le spectateur sans responsabilité »). Toutefois, ce passage est écarté du manuscrit final, et Gregorovius conserve son attitude « bienséante » :
‘“Ridícula subversión de los valores”, pensó Gregorovius. “Están a punto de agarrarse a patadas en el rellano, en plena oscuridad o algo así, y ella sólo piensa en que no va a poder escuchar su sonata.” Pero la Maga tenía razón, era como siempre la única que tenía razón. “Tengo más prejuicios de lo que pensaba”, se dijo Gregorovius. “Uno cree que porque hace la vida del affranchi, acepta los parasitismos materiales y espirituales de Lutecia, está ya del lado preadamita. Pobre idiota, vamos.” 188 ’On le voir clairement, c’est sur le plan des valeurs que la Maga et Gregorovius s’opposent : alors que la « libération » de ce dernier reste toute théorique, la Maga, elle, agit en conformité avec ses idées. Le voisin, lui, ne pense qu’en termes de convenances : ce qui est autre est mauvais.
‘–C’est pas des façons, ça, decía el viejo–. Empêcher les gens de dormir à cette heure c’est trop con. J’me plaindrai à la Police, moi, et puis qu’est-ce que vous foutez là, vous, planqué par terre contre la porte? J’aurais pu me casser la gueule, merde alors. (...) Et en plus ça m’insulte dans son charabia de sales métèques –dijo el viejo–. On est en France, ici. Des salauds, quoi. On devrait vous mettre à la porte, c’est une honte. Qu’est-ce que fait le gouvernement, je me demande. Des Arabes, tous des fripouilles, bande de tueurs. 189 ’Stern mentionnait que la société, perçue en tant qu’entité de valeurs dont la Police et le gouvernement sont les représentants, défendait son identité et son intégrité en rabaissant ceux qui n’obéissent pas à ces valeurs collectives. Ici, il n’est point question de rire, mais le principe reste le même.
Plus loin, Horacio entre en scène et découvre la mort de Rocamadour :
‘La mano de Horacio se deslizó entre las sábanas, le costaba un esfuerzo terrible tocar el diminuto vientre de Rocamadour, los muslos fríos, más arriba parecía haber como un resto de calor, pero no, estaba tan frío. “Calzar en el molde”, pensó Horacio. “Gritar, encender la luz, armar la de mil demonios normal y obligatoria. ¿Por qué?” Pero a lo mejor, todavía... “Entonces quiere decir que este instincto no me sirve de nada, esto que estoy sintiendo desde abajo. Si pego el grito es de nuevo Berthe Trépat, de nuevo la estúpida tentativa, la lástima. Calzar en el guante, hacer lo que debe hacerse en estos casos. Ah, no, basta. ¿para qué encender la luz y gritar si sé que no sirve para nada? Comediante, perfecto cabrón comediante. Lo más que se puede hacer es...” 190 ’Là encore, on lit un conflit de valeurs : il est « normal et obligatoire », lorsqu’on découvre un cadavre, et d’autant plus celui d’un enfant, d’avertir, d’agir face à cela, face à cette absence totale de sens, cet écroulement vers l’absurde. Ce « moule » social permet justement d’éviter l’absurde, de s’en préserver. Horacio remet en question ce modèle d’action parce qu’il refuse ces valeurs : il ne veut pas être ce « cabrón comediante », ce « salaud » sartrien qui endosse un rôle pour éviter la vacuité de sens. Il va adopter une attitude immorale, monstrueuse aux yeux de la société, justement pour ne pas être immoral au sens philosophique ; c’est en cela que se joue le conflit de valeurs qui sous-tend la scène.
Pourtant, donner l’alerte face à la mort semble être une valeur universelle et non une simple valeur sociale. C’est sur ce plan que va continuer la méditation d’Horacio : il se rappelle l’anecdote d’un ami argentin qui arrive à Paris et appelle chez un de ses voisins à une heure tardive. Horacio s’excuse alors devant ses voisins outrés, en alléguant que son ami ne connaît pas les coutumes françaises. Ce que dit en fait Horacio, c’est que la coutume française de ne pas déranger les gens après 10 heures du soir n’a rien d’une valeur universelle : c’est un simple code social. C’est aussi ce que nous lisons ici :
‘dentro de los ojos de eso que estaba ahí a tres metros no habría nada (...) solamente rigor mortis y rodeándolo gentes que ni siquiera eran salteños y mexicanos para seguir oyendo música, armar el velorio del angelito (...). 191 ’La réaction face à la mort n’est donc pas universellement la même : les habitants de Salta 192 ou du Mexique n’auraient pas la même attitude que des Français, par exemple. Il faut donc en conclure que là non plus, il ne s’agit pas de valeurs universelles mais de codes sociaux.
Horacio fait ensuite un retour sur son choix, et le pose en termes métaphysiques :
‘“La cucharada de remedio era a las dos, me parece. Tenemos más de una hora para estar tranquilos.” No comprendía ni quería comprender por qué este aplazamiento, esa especie de negación de algo ya sabido. Negación, negativo... “Sí, esto es como el negativo de la realidad tal-como-debería-ser, es decir... pero no hagas metafísica, Horacio. (...) No lo puedo evitar, me parece que está mejor así que si encendiéramos la luz y soltáramos la noticia como una paloma. Un negativo. La inversión total... 193 ’Remettre en question les valeurs sociales, c’est en fait remettre en cause la réalité telle que nous la percevons, ordonnée par les valeurs. De ceci, va découler dans la suite du chapitre une controverse philosophique entre les membres du Club sur la conception de la réalité. Elle se clôt sur cette utopie : refuser les valeurs sociales, c’est peut-être inventer un autre ordre qui permette un accès au monde plus acceptable :
‘–El absurdo es que no parezca absurdo –dijo sibilinamente Oliveira–. El absurdo es que salgas por la mañana a la puerta y encuentres la botella de leche en el umbral y te quedes tan tranquilo porque ayer pasó lo mismo y mañana te volverá a pasar. (...) Yo no sé, che, habría que intentar otro camino. (...) Si hay pueblos capaces de sobrevivir dentro de un orden mágico... Cierto que los pobres comen gusanos crudos, pero también eso es una cuestión de valores. 194 ’Mais le délai inventé par Horacio pour retarder l’annonce de la mort de Rocamadour s’est écoulé et le dénouement approche. Oliveira se dit alors :
‘¿Qué he hecho esta noche? Ligeramente monstruoso, a priori. 195 ’Ce à quoi Ronald répondra un peu plus loin :
‘–Qué joder, hubiéramos tenido que prepararla –dijo Ronald–. No hay derecho, es una infamia. Todo el mundo hablando de pavadas, y esto, esto... 196 ’A travers la douleur de la Maga qui a découvert la mort de son enfant, reviennent au galop les valeurs qu’Horacio remettait en cause. Même le voisin, c’est-à-dire symboliquement la convention sociale, finit par s’accorder sur ces valeurs :
‘Qu’est-ce que ça me fait, moi, un gosse qu’a claqué? C’est pas une façon d’agir, quand même, on est à Paris, pas en Amazonie. (...) Eh bien, moi, messieurs, je respecte la douleur d’une mère –dijo la voz del viejo–. Allez, bonsoir messieurs, dames. 197 ’Mais Horacio est allé si loin dans la remise en question des valeurs sociales et surtout l’a fait d’une manière si théorique qu’il ne lui reste aucune autre alternative que de s’enfoncer dans une attitude qui semble toujours plus monstrueuse, alors qu’au fond, elle est vertueuse :
‘Oliveira se dijo que no sería tan difícil llegarse hasta la cama, agacharse para decirle unas palabras al oído a la Maga. “Pero eso lo haría por mí”, pensó. “Ella está más allá de cualquier cosa. Soy yo el que después, dormiría mejor, aunque no sea más que una manera de decir.” 198 ’Nous avons donc montré que tout le chapitre 28 de Rayuela est construit sur une philosophie des valeurs qui rappelle très fortement la thèse d’Alfred Stern. On pense aussi bien sûr à L’Immoraliste de Gide et à la philosophie de Sartre. Nous allons voir que Cortázar a d’ailleurs également traduit un ouvrage de Stern portant sur Sartre.
Un mois à Paris et deux en Italie, si l’on en croit Miguel Herráez, p. 98 de Julio Cortázar, Intitució Alfons el Magnánim, Diputacio de Valencia, 2001.
Qu’on repense en cela au controversé « Nous sommes tous américains » qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 : ce deuil avait effectivement une fonction sociale et géopolitique importante.
Voir notamment l’usage des italiques.
Philosophie du rire et des pleurs, p. 219.
Ibid., p. 231.
Filosofía de la risa y del llanto, p. 233.
Ibid., p. 245.
Rayuela, p. 150. « –Vous n’aimeriez pas écouter un peu de musique ?/ –A cette heure ? ça va réveiller l’enfant. (…) Gregorovius, un peu scandalisé, se mit à bourrer sa pipe. Il n’aimait pas Schönberg, mais ça c’était une autre histoire, non, l’heure plutôt, l’enfant malade, une espèce de transgression. Oui, c’est cela, une transgression. C’était idiot d’ailleurs. Mais il y avait parfois des instants où un ordre, quel qu’il fût, se vengeait de l’oubli où il le tenait. (…) De temps en temps, on entendait un léger ronflement de Rocamadour, mais Gregorovius se perdit aussitôt dans la musique, il découvrit qu’il pouvait céder et se laisser entraîner sans protester, qu’il pouvait s’en remettre un moment à ce viennois mort et enterré. La Sibylle fumait, couchée par terre (…), les joues brillantes comme si elle pleurait, mais elle ne pleurait sans doute pas, c’était stupide d’imaginer qu’elle pouvait pleurer, elle serrait plutôt rageusement les lèvres en entendant le premier coup sec au plafond, le second coup, le troisième. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 150-151).
Ibid., p. 151. « les coups s’arrêtèrent et le quatuor se déroula jusqu’à la fin sans qu’on entendît même les ronflements espacés de Rocamadour. (…) On recommença à frapper./ –Quel imbécile dit la Sibylle. Et tout est comme ça, toujours./ –Ne vous obstinez pas, Lucie./ –Et vous, ne soyez pas idiot. J’en ai marre, je les enverrais tous promener. Et si j’ai envie, moi, d’écouter Schönberg, si, pour une fois…/ Elle se mit à pleurer (…). » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.151-152).
Ibid., p. 152. « La Sibylle pleurait convulsivement, toussait et lui envoyait au visage une haleine lourde de tabac./ –Pauvre, pauvre petite, dit Gregorovius, joignant la parole au geste. Tout le monde est si méchant avec elle./ –Idiot, dit la Sibylle avalant ses larmes avec beaucoup de délectation. Je pleure parce que je veux bien et surtout pour qu’on ne me console pas. (…)/ –Laissez-le frapper, conseilla inopinément Gregorovius./ La Sibylle éclata de rire./ –Mais c’est vous que ça gênait tout à l’heure ! » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.152).
Il s’agit d’un manuscrit de Rayuela antérieur à la version finale. Il comporte certaines variations vis-à-vis de celle-ci. Conservé à la Benson Latin American Collection de l’Université du Texas, à Austin, ce texte a été reproduit dans l’édition critique de Rayuela réalisée par Archivos, en 1991.
Rayuela, Archivos, 1991, p. 124-125. « Ah ! pouvoir assister sans y être, faire partie du polyèdre depuis l’absence, être le spectateur sans responsabilité. Et en réalité, j’aurais bien mieux fait de m’impliquer là-dedans, de m’impliquer à fond sous cette jupe. La branler avant qu’elle me repousse, l’amener inévitablement à l’abandon…Oui, vautrés par terre, même si Horacio était en train d’écouter à la porte ; non, non je ne suis pas un homme, la délicatesse est supérieure au scrotum, mais qu’est-ce que ça aurait été beau de la dénuder, entourée de plumes noires, devinant son ventre de mes mains, la toucher peu à peu avant de la sentir accepter, ne plus bouger, ouvrir ses jambes dans l’angle parfait pour que je glisse et que je l’enfile ad patris inmentinbuliformis, amen. Merde, alors. Et contremerde, et remerde, quoi. / La poisse, et pourquoi ce souvenir de Biribi-la-Dévoine, de l’Ile Saint-Louis, sa bohème et son cœur ? Zut, et dire que même elle aurait consenti à ce que je l’encule tout de suite, rien qu’avec de la salive, et allons donc, et non pleure pas comme ça tu vas réveiller le gosse, laisse moi encore un tout petit peu, mais oui ça fait mal mais c’est doux et puis tu aimes ça je le sens, il y a quelque chose dans ton derrière quand tu te promènes. / Trop tard, ni par derrière, ni par devant ; on parle là dehors, on se bat, c’est sûr. Il y a un sacré bordel. » (Trad. S.P. ; nous ne traduisons que l’état le plus avancé du manuscrit et nous mettons en italiques ce qui était en français dans le texte original).
« ‘Ridicule renversement des valeurs, pensa Gregorovius. ils sont à deux doigts d’en venir aux coups là, sur le palier, et elle elle ne pense qu’à la sonate qu’elle ne pourra pas écouter.’ Mais la Sibylle avait raison, elle était comme toujours la seule qui eût raison. ‘J’ai plus de préjugés que je ne pensais, se dit Gregorovius. Parce qu’on mène une vie d’affranchi, qu’on accepte les parasitismes intellectuels de Lutèce, on se croit revenu à une innocence édénique. Pauvre idiot, va. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.154).
En français dans le texte.
« Horacio glissa sa main sous les draps, il lui fallut faire un terrible effort sur lui-même pour toucher le petit ventre de Rocamadour, les cuisses froides, plus haut il semblait y avoir un reste de chaleur mais non, le même froid partout. ‘Faire comme tout le monde, pensa Horacio. Crier, allumer la lumière, sacrifier au tapage normal et obligatoire. Pourquoi ?’ mais c’est que peut-être il reste encore… ‘Alors ça veut dire que cet instinct ne me sert à rien, cette chose que je sais au fond de moi. Si je pousse un cri c’est de nouveau Berthe Trépat, de nouveau la stupide tentative, la pitié. Suivre le sentier battu, faire ce qu’on doit faire en pareil cas. Ah non, ça suffit. Pourquoi allumer la lumière et crier puisque je sais que cela ne sert à rien ? Comédien, parfait saligaud de comédien. La seule chose qu’on puisse faire c’est…’ » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.158-159).
« Rien que la rigor mortis et les gens qui l’entouraient n’étaient même pas corses ou mexicains pour préparer la veillée funèbre du petit ange (…). » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.164).
Salta : province du nord de l’Argentine, majoritairement peuplée d’Indiens.
« ‘La cuillerée de remède est pour deux heures, je crois bien. Nous avons encore plus d’une heure devant nous.’ Il ne comprenait pas ni ne voulait comprendre ce sursis, cette espèce de négation d’une chose connue. Négation, négatif… ‘Oui, c’est comme le négatif de la réalité telle-qu’elle-devrait-être, c’est-à-dire… Mais ne fais pas de métaphysique, Horacio. (…) Je ne peux pas m’en empêcher, il me semble que ça vaut mieux que d’allumer la lumière et de lâcher la nouvelle comme un pigeon. Un négatif. L’inversion totale…’ » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.166).
« L’absurde c’est que cela ne paraisse point absurde, dit Oliveira, sibyllin. L’absurde c’est de trouver devant ta porte la bouteille de lait et ça te laisse froid parce que tu en as déjà trouvé une hier et que tu en trouveras une autre demain. (…) Je ne sais pas, il faudrait essayer un autre chemin. (…) Puisqu’il y a des peuples capables de survivre à l’intérieur d’un ordre magique. Il est vrai que, les pauvres, ils mangent des vers crus, mais ceci est une question d’appréciation. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 177-178).
« Qu’ai-je fait cette nuit ? Légèrement monstrueux a priori. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.179).
« Putain de putain, dit Ronald, on aurait dû la préparer. C’est infâme ce qu’on a fait là. Tout le monde en train de dégoiser des conneries et… » (Trad. L. G.-B., Marelle, p. 181).
En français dans le texte.
« Oliveira se dit qu’il ne serait pas si difficile de s’approcher du lit, de se pencher pour dire quelques mots à l’oreille de la Sibylle. ‘Mais si je faisais ça, je le ferais pour moi. Elle est au-delà de tout ce qu’on peut dire. C’est plutôt moi, après, qui dormirait mieux, encore que ce soit une façon de parler. » (Trad. L. G.-B., Marelle, p.183).