Interlude

Pour la période 1949-1951, nous avons analysé deux traductions du français correspondant à des processus clairement distincts : pour La Sombra de Meyerbeer, Cortázar cherche à recréer l’effet du texte sur son lecteur original, tout comme il le faisait dans la période antérieure (1945-1947). Ainsi, il modifie substantiellement la ponctuation et la graphie qui sont porteuses de sens chez Villiers : pour transmettre ce sens, il faut adapter le code aux coutumes hispanophones. Par ailleurs, il créé une fiction d’inachèvement afin de donner au lecteur la sensation de se trouver face à un manuscrit resté en suspens, ce qui n’est pas le cas d’une traduction revue et peaufinée. Face à cette problématique d’une traduction très littéraire, on trouve au contraire Filosofía de la risa y del llanto, où le style presque blanc ne demande pas de travail littéraire particulier. Il nous semble que la thématique de ce livre devait intéresser Cortázar, mais que la réalisation de la traduction devait lui demander moins d’efforts que pour Giono, par exemple. Or nous avons vu que, sur cette période, notre auteur désire partir pour l’Europe : ce genre de traduction devait certainement lui permettre de financer en partie son voyage sans lui prendre trop de temps.

Au niveau intertextuel, les textes traduits à cette époque ont néanmoins des répercutions importantes dans l’œuvre de Cortázar. C’est ainsi que bon nombre de figures comme le triangle médiumnique, le fait qu’un personnage en soit à la fois un autre, ainsi que la notion d’apparition fantastique, semblent unir La Sombra de Meyerbeer à Rayuela. Pour ce qui est des deux ouvrages de Stern, nous croyons qu’il faut les penser dynamiquement avec d’autres textes : ainsi, le problème du fondement des valeurs collectives qui travaillera Rayuela naît certainement de Filosofía de la risa y del llanto, mais conjointement avec certains textes de Sartre qui intéressent Cortázar à cette époque, ou même avec un livre comme L’Immoraliste ; il semble que cette question ait été en quelque sorte dans l’air du temps. De même, il faut penser La filosofía de Sartre y el psicoanálisis existencialista en relation avec les écrits de Sartre et avec l’existentialisme en général pour pouvoir comprendre la fonction de ces théories dans la fondation de la poétique cortazarienne.

Voyons à présent quelle est la place de la traduction littéraire dans la période suivante.