Quelques fantômes (Pistes de traductions de Péret, Supervielle, Depreux, Juin et Queneau)

Au cours de nos recherches, nous avons ouvert plusieurs pistes concernant des traductions de poésie, pistes que nous n’avons, hélas, pas pu clore. Nous trouvons ainsi ces indications dans « Tombeau de Mallarmé » :

‘En un tiempo bibiotecario que ya me parece mítico (Barnaboth subía en un wagon-lit, Dargelos petrificaba su bola de nieve, Jesús caminaba sobre el Támesis en el poema de Francis Thompson), traduje a Jules Supervielle, a Keats, a Jean Cocteau, a Benjamin Péret. (…) En alguna esquina de esos años (era Stalingrado, era Okinawa, era Hiroshima, y en la Argentina íbamos y veníamos hablando de T. S. Eliot) me despedí de mi doble traidor con una ceremonia purificadora, este Tombeau de Mallarmé. 353

Nous avons retrouvé les traductions de Cocteau, nous l’avons vu, et cela nous permet d’authentifier ce témoignage. Pour ce qui est des traductions de poèmes de Keats, nombreuses sont celles qui apparaissent dans le manuscrit de Imagen de John Keats ; toutefois, nous ne sommes pas en mesure de dire si Cortázar en a également produit d’autres. Nous savons que ces deux textes (la traduction de Cocteau et Imagen de John Keats) n’ont pas été publiés du vivant de Cortázar. Nous pouvons donc supposer que les traductions de Supervielle et de Péret sont également restées à l’état de manuscrit, d’autant plus que nous n’avons trouvé aucune piste d’édition pour ces traductions.

Les datations ici nous donnent du fil à retordre : la première parenthèse fait référence à des lectures de Cortázar à l’époque où il traduisait ces poètes. A. O. Barnabooth, par exemple, est un personnage de fiction dont Valéry Larbaud publie les poésies et le journal intime en 1913. Cette datation n’a donc rien d’extérieur ; elle peut servir à recomposer la constellation de lectures de Cortázar au moment de ces traductions, mais non à dater les traductions elles-mêmes. La seconde parenthèse est plus claire et plus simple à situer dans le temps : il s’agit de célèbres références à la seconde guerre mondiale (Stalingrad correspond à l’hiver 1942-1943, tandis que Okinawa et Hiroshima ont lieu en 1945). Cortázar explique donc ici qu’il renonce à traduire de la poésie aux alentours de 1945 comme date la plus tardive. Or, nous savons que la traduction de Cocteau se situe en 1947. Par ailleurs, la première traduction de Vida y Cartas de John Keats remonte à 1947. Il se peut donc qu’il y ait une certaine confusion dans les dates.

Contentons-nous donc d’avancer que les traductions de Supervielle et de Péret doivent dater des années 40 et qu’elles restent encore à retrouver.

Cartas nous donne deux pistes supplémentaires de traduction de poésie. Dans une lettre à Anton Arrufat datée du 2 avril 1965, Cortázar propose différents textes en vue d’une publication dans la revue cubaine Casa de las Américas :

‘Siguen poemas de Jacques Depreux. Tú mismo los escogiste de una serie que te mostré en París. Creo que cinco está bien, pero si necesitaras más, tengo nuevas traducciones.
CURRÍCULUM VITAE: Nacido en 1922, en Saint-Omer (Pas-de-Calais). Francia. Aunque escribe poesía desde hace varios años, no las ha reunido en volumen.
Iba a agregar aquí el « Canto de amor » de Hubert Juin, pero en el momento de releerlo descubrí que puedo mejorar todavía la traducción, de modo que lo retengo y te lo envío por separado un día de estos. 354

Or nous avons consulté la collection de Casa de las Américas disponible à l’Université de Montpellier, et nous n’avons trouvé aucune trace de « Canto de amor » de Hubert Juin, ni d’aucun poème de Jacques Depreux. Nous avons écrit à Antón Arrufat afin de savoir si ces manuscrits ne se trouvaient pas dans les archives de la revue à Cuba. Nous n’avons pas obtenu de réponse. Nous avons également écrit à Jacques Depreux qui nous a très aimablement répondu :

‘Malheureusement, je ne puis vous donner aucun renseignement sur les poèmes que Julio Cortázar a traduits en 1965. Il est exact qu’il devait confier ces traductions à une revue cubaine, mais, m’a-t-il dit à l’époque, ses relations avec cette revue s’étant détériorées, il a cessé de collaborer avec elle. Je lui avais demandé ses traductions mais il ne me les a jamais communiquées. A ma connaissance, elle n’ont pas été publiées ailleurs. ’

Il semble pour l’heure que ces traductions soient donc perdues. Hubert Juin étant décédé, nous n’avons pas pu aller plus loin quant à la traduction de « Canto de amor ».

Une nouvelle piste nous est donnée par Laure Guille-Bataillon, dans un texte très intéressant, intitulé « Traduire Cortázar avec Cortázar » 355  :

‘Julio Cortázar n’hésitait jamais à me pousser plus loin que son texte n’y autorisait, que la demande vînt de moi ou de lui (le savoir traducteur de Poe, de Keats et Queneau me confirmait dans cette option).’

Nous n’avons pu recouper ce témoignage avec aucune autre information (publication, manuscrits…). Nous laissons donc ouverte la piste d’une traduction de Raymond Queneau par Julio Cortázar.

Notes
353.

« A une époque de ma bibliothèque qui me paraît à présent mythique (Barnabooth montait dans un wagon-lit, Dargelos pétrifiait sa boule de neige, Jésus marchait sur la Tamise dans le poème de Francis Thompson), j’ai traduit Jules Supervielle, Keats, Jean Cocteau, Benjamin Péret.(…) Au coin d’une de ces années (c’était Stalingrad, c’était Okinawa, c’était Hiroshma, et en Argentine, nous allions et venions en parlant de T. S. Eliot), je me suis séparé de mon double, ce traître, par une cérémonie purificatoire, ce Tombeau de Mallarmé. » (Trad. S.P.)

354.

Cartas, p. 884. « Suivent des poèmes de Jacques Depreux. Tu les as toi-même choisis parmi une série que je t’ai montrée à Paris. Je crois que cinq, c’est bien, mais s’il t’en faut d’autres, j’ai de nouvelles traductions./ C.V. : Né en 1922, à St-Omer (Pas-de-Calais). Il écrit des poèmes depuis de nombreuses années, mais ne les a jamais réunis sous forme de livre./ J’allais ajouter ici « Chant d’amour » d’Hubert Juin, mais en le relisant, je me suis rendu compte que je peux encore améliorer la traduction : je la garde donc, mais je te l’enverrai séparément un de ces jours. » (Trad. S.P.)

355.

L. BATAILLON : Traduire, écrire, Arcane n°17, 1991. La citation est extraite de la p. 55 et appartient à l’article : « Traduire Cortázar avec Cortázar » (première publication dans Sud, n° 69-70, juin 1987).