Se mettre en scène en traducteur

Imagen de John Keats, met donc en scène et commente l’acte de traduction. Mais nous allons voir que d’autres textes de Cortázar abordent cette problématique. Nous pensons notamment à « Tombeau de Mallarmé », que nous avons déjà amplement étudié, et au « zipper sonnet » de « Lucas sus sonetos » 403 , où Cortázar met en scène la traduction à contraintes réalisée par son ami Haroldo de Campos et se nomme lui-même « trujamán veterano » 404 . La traduction y est une activité, un jeu, un laboratoire d’écriture, mais toujours en parallèle avec des éléments biographiques (le jeune Cortázar traducteur de poésie ou Haroldo de Campos, le grand écrivain brésilien, traduisant en portugais un de ses textes).

Nous retrouvons aussi ce phénomène dans « Diario para un cuento », où deux portraits du Cortázar-traducteur sont dressés : celui des années 40 qui travaille comme traducteur technique et peine à traduire un brevet industriel comme nous l’avons vu en première partie, et le Cortázar de 1982, composant le texte de ce cahier et y réalisant une traduction de Jacques Derrida :

‘por eso (…) ahora las ganas de traducir ese fragmento de Jacques Derrida que encontré anoche en La vérité en peinture y que no tiene absolutamente nada que ver con todo esto pero que se le aplica lo mismo en una inexplicable relación analógica, como esas piedras semipreciosas cuyas facetas revelan paisajes identificables, castillos o ciudades o montañas reconocibles. El fragmento es de dificil comprensión, como se acostumbra en Derrida, y lo traduzco un poco a la que te criaste (pero él también escribe así, sólo que parece que lo criaron mejor). 405

Cette manière de se représenter en train de traduire est un beau recours pour « fendiller » le rapport décharné du lecteur à l’auteur : se présenter en tant que traducteur, c’est remettre en quelque sorte du corps dans le texte, y réinjecter de la vie, une vision de l’écriture en marche.

Notes
403.

in Un tal Lucas, Cuentos 2, p. 313-316.

404.

« Traducteur vétéran ».

405.

Cuentos 2, p. 490. « Voilà pourquoi (…) cette envie, à présent, de traduire ce bout de texte de Jacques Derrida que j’ai trouvé dans La Vérité en peinture et qui n’a absolument rien à voir avec tout ceci mais peut quand même s’y appliquer par une inexplicable relation analogique, comme ces pierres semi-précieuses dont les facettes laissent apparaître des paysages identifiables, des châteaux, des villes, des montagnes reconnaissables. Ce fragment est difficile à comprendre comme souvent chez Derrida, et je le traduis un peu à la va comme je te pousse (mais lui aussi l’a écrit comme ça, sauf qu’il a l’air d’avoir été mieux poussé que moi). » Trad. F. C.-T., Nouvelles, p. 1009.