Rayuela est un livre très particulier qui a été beaucoup étudié pour ses thématiques ou les problèmes théoriques qu’il pose face au genre romanesque 443 . Toutefois, il semble que l’essentiel du livre, à nos yeux, ait souvent été éclipsé. L’essentiel, c’est-à-dire l’effet sur le lecteur, le « feroz sacudón por la solapa » 444 , cette sensation d’éveil, de prise de conscience, cette force vitale qui pousse à travers le livre. Il semble qu’il y ait eu parfois une sorte de pudeur à affirmer qu’en deçà de la lecture critique discursive, il y ait eu une lecture de plaisir, de fascination, et, en tout cas, peu sont ceux qui ont fondé leur étude sur la très particulière expérience de lecture que propose Rayuela. Nous choisissons ici, au contraire, de nous « réconcilier » avec la lecture de plaisir, en nous plaçant dans une problématique de l’effet. Il semble que ce genre de positionnement de l’interprétant comme centre et motivation de l’étude théorique soit de plus en plus de mise. Nous en voulons pour preuve un titre comme L’Effet-personnage dans le roman de Vincent Jouve 445 ou une collection telle que « La Philosophie en effet » 446 , qui affirme :
‘Ne plus prétendre à la neutralité transparente et arbitrale, tenir compte de l’efficacité philosophique, de ses armes, instruments et stratagèmes, intervenir de façon pratique et critique : faire travailler la philosophie en effet.’Nous pensons aussi à cette phrase d’Umberto Eco :
‘Par suite, toute poétique (…) est projet sur un objet et sur ses effets. Parallèlement, identifier une poétique implicite revient à retrouver le projet à travers la manière dont nous jouissons –ou d’autres jouissent– de l’objet. 447 ’A partir de l’effet sur le lecteur, nous essaierons donc de comprendre les raisons de cet effet, en retrouvant la poétique à l’œuvre dans Rayuela.
Pour un historique de la réception de Rayuela, voir G. MONTALDO « Destinos y recepción », p. 597-612 de Rayuela, ed. critique dirigée par J. ORTEGA et S. YURKIEVICH, CSIC, coll. Archivos, Madrid, 1991, 814 pages.
Selon CORTÁZAR lui-même : Cartas, ibid., p. 621. Lettre à A. M. BARRENECHEA suite à la parution du livre à Buenos Aires (21/10/63). (« le fait qu’elle secoue méchamment par le revers du veston » Trad. S.P.)
V. Jouve : L’Effet-personnage dans le roman, PUF écriture, 1992.
éditions Galilée. La collection est dirigée par J. DERRIDA, S. KOFMAN, P. LACOUE-LABARTHE et J.L. NANCY.
p. 11 de la « Préface » à L’œuvre ouverte, Seuil, 1965, traduction de C. ROUX DE BÉZIEUX.