Interlude

Nous avons vu dans cette sous-partie que les personnages de Rayuela sont des lecteurs : Cortázar caractérise indirectement les actants par leurs lectures et non par leurs actions, ce qui lui permet d’échapper au « psychologisme » tout en conservant un impact psychologique fort sur le lecteur réel.

Par ailleurs, cela lui permet aussi de suggérer au lecteur réel (qui ne peut pas lire comme à son habitude) d’autres modèles de lecture. Ceci constitue réellement un tour de force car, par la répétition de ces modèles, le lecteur réel va finir par acquérir de nouvelles modalités de lectures, qui seront valables en dehors de Rayuela.

D’autre part, le lecteur réel assiste à des lectures, il voit sa propre activité fabulatrice redoublée. Or, redoubler l’illusion l’annule : ici l’illusion littéraire se dénonce elle-même en tant qu’illusion, comme dans la théâtralisation brechtienne. Dès lors, une nouvelle compréhension prend racine ; elle admet les contradictions 554 et est d’une nature différente 555  : l’effort du lecteur ne se limitera pas à l’histoire racontée ; son travail d’intellection portera aussi sur le rapport entre l’illusion et le monde réel –c’est pourquoi Brecht parle de « possibilité d’application pratique du savoir ». On le voit, ce procédé est extrêmement novateur sur le plan romanesque.

Notes
554.

Brecht parlait ici de « l’unité des termes contradictoires ».

555.

Ceci correspond au bond dialectique ou saltus naturae de Brecht.