Conclusion provisoire : L’activité du lecteur réel et la traduction, la rayonnante analogie

On le voit, le texte de Rayuela, qu’il soit lu par sauts ou linéairement, a une fonction cognitive importante : ce texte modifie le lecteur, qui n’en sort pas indemne. Il a appris à lire autrement qu’à l’habitude, il s’est découvert autre lui-même au fil du livre, un peu comme le fait normalement un personnage de roman dans un schéma de quête. Rayuela est donc un roman d’apprentissage, mais ici celui qui apprend, c’est le lecteur, qui est justement traité comme un personnage, nous l’avons vu.

Le lecteur a en quelque sorte été traduit par le texte qu’il a lu. Son attention au détail est différente, il est aussi plus attentif à certains fonctionnements de son esprit, comme l’inférence et la mémoire. Il a beaucoup moins de respect pour le texte littéraire, qui cesse d’être perçu comme une œuvre d’art intouchable. Au contraire, la littérature s’avère être le lieu d’une communication active, plus que d’une contemplation. Par ailleurs, ce lecteur accepte à présent les contradictions logiques : il a découvert un autre fonctionnement de sa pensée, il a découvert la puissance de la pensée analogique. Ceci entraîne ou peut entraîner un questionnement identitaire et ontologique du lecteur, qui est amené à revoir ses comportements de lecture et même ses positionnements vitaux.

Nous sommes ainsi fort éloignés de l’effet qu’a traditionnellement sur le lecteur la littérature d’illusion, qui n’est que passe-temps et où, une fois sorti de l’illusion, le lecteur est le même qu’avant sa lecture. Nous allons voir qu’au contraire, l’activité si particulière du lecteur dans Rayuela offre de nombreux points communs avec celle d’un traducteur.