Analogie

Mais ce qui, au fond, rapproche plus que tout l’activité du lecteur dans Rayuela de celle d’un traducteur, c’est la découverte de la pensée analogique. Dans la traduction, tout est analogie ; il ne faut pas se laisser abuser par l’illusion des dictionnaires bilingues : aucune langue n’est superposable à une autre et il n’existe pas d’équivalent figé d’un mot d’une langue vers un mot d’une autre langue. Au contraire, le traducteur procède par analogies : ce mot dans ce contexte a un sens analogue à celui-ci dans ma langue. Il faut ainsi remarquer que les traducteurs littéraires n’utilisent que très rarement les dictionnaires bilingues : ils préfèrent à raison le dictionnaire monolingue et analogique, qui par son système de renvois, leur permet d’explorer les connotations des mots, toute la frange du sens qui permet de créer les nuances. Quand on parle de traduction, les notions de fidélité et de trahison sont issues d’une pensée du même. Or, les deux textes sont différents, irréductiblement, puisqu’ils ne sont pas écrits dans la même langue. Ainsi, le texte traduit ne peut jamais être le même que le texte original ; il peut par contre lui être analogue. Pour clore cet ex-cursus, disons simplement qu’il serait sans doute plus fructueux pour concevoir la traduction de remplacer cette pensée du même par une pensée de l’analogie.

Dans Rayuela, nous l’avons vu, c’est justement cette découverte de l’analogie comme instrument efficace qui est l’élément le plus marquant. De plus, si traduire, c’est être entre deux, être autre et soi-même à la fois, c’est bien ce qui arrive aussi au lecteur de Rayuela. On peut même dire que le maniement physique du livre dans la lecture par sauts rappelle très fortement celui d’un dictionnaire analogique, où l’on suit les renvois d’un mot à l’autre en quête de sens, en quête du sens juste. En littérature comme dans la réalité, le sens est toujours à construire et l’analogie est un instrument efficace pour y parvenir. Cortázar nous dit :

‘cabe preguntarse –no por primera vez– si la dirección analógica no será mucho más que un auxiliar instintivo, un lujo coexitiendo con la razón razonante y echándole cabos para ayudarla a conceptuar y a juzgar. Al contestar a esta pregunta, el poeta se propone como el hombre que reconoce en la dirección analógica una facultad esencial, un medio instrumental eficaz; no un « surplus » sino un sentido espiritual –algo como ojos y oídos y tacto proyectados fuera de lo sensible, aprehensores de relaciones y constantes exploradores de un mundo irreductible en su esencia a toda razón. 610

Notes
610.

Imagen de John Keats, p. 516. Remarquons en cela la troublante coïncidence avec cette phrase de LAKOFF et JOHNSON, citée par E. SANDER : « le sens métaphorique fait partie de notre fonctionnement comme notre sens du toucher et est aussi précieux » (L’Analogie, du Naïf au Créatif, p. 189). (« Il convient de se demander –une fois de plus– si la direction analogique ne serait pas beaucoup plus qu’un auxiliaire instinctif, un luxe qui coexiste avec la raison raisonnante et lui donne un coup de main pour conceptualiser et juger. En répondant à cette question, le poète se présente comme un homme qui reconnaît dans la direction analogique une faculté essentielle, un moyen instrumental efficace ; pas un « surplus » mais un sens spirituel –quelque chose comme des yeux, des oreilles ou du toucher qui seraient projetés hors du domaine sensible, appréhendant des relations et des constantes, explorant un monde dont l’essence est irréductible à toute raison. » Trad. S.P.)