conclusion

Nous avons essayé dans cette thèse, d’éclairer un pan méconnu de l’œuvre de Julio Cortázar : ses traductions littéraires, de l’anglais et du français. Ce faisant, nous avons fourni un certain nombre d’informations biographiques permettant de mieux se représenter la période de sa vie où l’écriture se fonde. En retrouvant ses préparations de cours à l’université de Mendoza, par exemple, nous avons vu la très grande cohérence entre les programmes qu’il établit et ses préoccupations littéraires : grâce à ces cours, il organise et structure ses lectures. Étudier ses traductions littéraires permet aussi de dresser un portrait de Cortázar en tant que lecteur : il s’intéresse à des textes très variés, allant de la philosophie à la littérature pour enfants, en passant par de la poésie, des biographies, des nouvelles, des romans et même des curiosités bibliographiques telles le manuscrit inachevé de Villiers de l’Isle Adam. Au niveau des thèmes traités par les ouvrages qu’il traduit, nous trouvons là encore une grande cohérence avec ses intérêts personnels : le questionnement métaphysique, moral et existentialiste s’accompagne d’une réflexion sur le romantisme, le fantastique et l’oralité. Ces traductions semblent donc s’intégrer à tous points de vue à ce que nous savons par ailleurs de Cortázar ; elles ne méritent donc pas d’être traitées par la critique comme une activité annexe et purement lucrative.

Nous pouvons au contraire retracer le parcours biographique de notre auteur à la lumière de ses traductions littéraires, et comprendre par ce biais comment naît le grand écrivain que nous connaissons.

Les traductions littéraires de Cortázar s’organisent autour de cinq périodes biographiques : il y a d’abord les origines obscures, de la fin des années 30 au début des années 40, où il travaille pour la revue Leoplán et les éditions Sopena, en compagnie de ses amis Francisco Reta et Eduardo Jonquières ; autour de ses 25 ans, Cortázar prend donc un tournant décisif : vivre de l’enseignement et lire de la littérature durant ses loisirs ne suffit plus. Il devient aussi auteur, auteur de poésie avec Presencia, auteur de traductions littéraires, et auteur de nouvelles qu’il ne publie pas. Il ne publie pas non plus les traductions de poèmes anglais et français réalisées dans ces années-là. Traduire, à ce moment-là de sa vie, signifie déjà faire sienne une autre culture et parallèlement se rêver soi-même autre. C’est dans cette période assez solitaire que l’écriture se fonde : la traduction lui permet de tester les limites de sa propre langue, comme l’atteste le manuscrit traduisant Valéry. On a vu avec Tombeau de Mallarmé et la première partie de La otra orilla, intitulée « Plagios y traducciones », qu’elle mène aussi au pastiche, qui lui-même accompagne la naissance d’une écriture autonome.

Durant la période suivante, entre 1945 et 1947, Cortázar appartient plus nettement encore au monde intellectuel : à 31 ans, il enseigne la littérature anglaise et française à l’université et travaille comme traducteur littéraire pour des éditeurs de Buenos Aires qui sont sans doute plus « classiques » que Sopena et le reconnaissent mieux. Ainsi, sous le regard complice de son ami Jorge d’Urbano, il publie chez Viau en 1945 son Robinson Crusoe, traduit de Defoe. En 1946, il entre chez Nova, où travaille Luis Baudizzone, avec sa traduction de Memorias de una enana de Walter de la Mare, qui remporte le prix du Libro del mes. Il démissionne bientôt de son poste à l’université : le péronisme devenant étouffant, il quitte Mendoza et retourne à Buenos Aires, où il commence à travailler comme gérant de la Cámara argentina del Libro. Cette charnière est importante : il quitte à tout jamais ses fonctions d’enseignant et se professionnalise toujours plus dans la littérature, en se rapprochant du monde éditorial. C’est ainsi qu’il commence à publier chez Argos, où son ami Luis Baudizzone co-dirige une collection : y paraissent successivement ses traductions de Giono (Nacimiento de la Odisea en 1946), de l’abbé Brémond (La Poesía pura en 1947), et de Gide (El Inmoralista en 1947). Il continue aussi à traduire pour Nova, qui publie en 1946 El Hombre que sabía demasiado de Chesterton. Par ailleurs, en collaboration avec Natacha Guthmann, il traduit un volume complet de poèmes de Jean Cocteau, qui reste inédit. Il écrit aussi des « reseñas » dans la revue Cabalgata et publie son premier conte, « Bruja », dans La Gaceta Literaria. Cette période de 1945-1947 est fondamentale pour Cortázar : il a pris un tournant de vie radical qui va préparer la suite de sa carrière d’écrivain, en se faisant un nom dans le milieu éditorial argentin. Par ailleurs, cette période est aussi celle de sa chrysalide littéraire : il traduit des maîtres de la littérature et ses traductions font montre d’un incroyable travail stylistique et rythmique. L’art du pastiche fonctionne à plein : il étudie, remotive et remet en mots des procédés, des techniques, des savoir-faire qui vont fonder sa pratique de l’écriture.

En 1948, Cortázar réalise ses études de traducteur technique dans un temps record. Dès lors, il quitte la Cámara argentina del Libro et vit exclusivement de la traduction, qu’elle soit littéraire ou non. Dans la période qui s’ouvre, entre 1949 et 1951, il n’a qu’un rêve : s’échapper du cocon argentin, partir pour l’Europe, vivre dans une autre langue, devenir enfin lui-même cet autre dont il rêve depuis une dizaine d’années. Mis à part La Sombra de Meyerbeer de Villiers de l’Isle Adam (projet de traduction né de sa complicité avec Daniel Devoto et publié en 1949 par Gulab y Aldabahor), pendant ces deux années, il va traduire des textes moins complexes littérairement, qui lui demandent sans doute moins de temps, de recherches et de travail, mais dont les problématiques l’intéressent de près. Ainsi, il traduit pour les éditions Imán deux livres du philosophe Alfred Stern (Filosofía de la risa y del llanto en 1950 et La filosofía de Sartre y el psicoanálisis existencialista en 1951) et pour Codex, deux livres pour enfants (Mujercitas de Luisa May Alcott et Tom Brown en la escuela de Thomas Hughes, tous deux en 1951). Samuel Kaplan lui demande aussi de revoir la traduction du Moisés de Martin Bubber, qui paraît 1949 chez Imán. Ces traductions sont donc peut-être plus « alimentaires » que les précédentes, mais elles lui permettent sans doute de réunir les sommes nécessaires à son projet de gagner l’Europe. Par ailleurs, cela lui permet certainement aussi de garder du temps libre pour sa production propre : en 1949, il publie Los Reyes chez Gulab y Aldabahor, en 1950, il écrit El examen et Diario de Andrés Fava qu’il ne publiera pas. Dans cette période, il prépare aussi Bestiario, qu’édite Sudamericana en 1951, et il commence l’énorme somme d’Imagen de John Keats, qui restera elle aussi inédite.

Enfin, en 1951, Cortázar obtient une bourse de dix mois du gouvernement français, ce qui lui permet de s’installer à Paris. La période qui s’ouvre (1952-1958) constitue une éclosion pour Cortázar, tant sur le plan personnel que littéraire. Les textes qu’il traduisait jusqu’à présent étaient plutôt des « classiques », écrits au mieux vingt ans plus tôt par ces grands aînés que sont Gide, Giono ou Villiers. Pour La Víbora, parue en en 1952 chez Sudamericana, il n’y a plus que neuf ans de battement entre le texte de Marcel Aymé et sa traduction.

Dès son arrivée à Paris, Cortázar va se pencher vers les nouveautés : La v ida de los otros de Dormandi paraît en 1952 chez Sudamericana, alors que l’original est de 1950 ; en 1953 paraît, toujours chez Sudamericana, Así sea o la suerte está echada, le dernier cahier de Gide, publié à Paris l’année précédente. De même, en 1955, sortira Memorias de Adriano de Yourcenar, dont l’original est de 1951. C’est un peu comme si Cortázar quittait l’histoire littéraire pour s’installer dans un présent de la littérature.

Avec Vida y cartas de John Keats, de Lord Houghton, qui paraît chez Imán en 1955, le problème est un peu différent : il s’agit d’une traduction que Cortázar avait réalisée en 1947 et qui n’est publiée qu’à ce moment-là par son ami Samuel Kaplan. En 1956, paraît Obras en prosa d’Edgar Poe, édité par l’Université de San Juan de Puerto Rico : Francisco Ayala, qui avait bien connu Cortázar en Argentine, se souvient de leurs conversations sur Poe et lui confie la première traduction en espagnol de toutes les œuvres en prose de cet auteur. Enfin, en 1958, paraît une curiosité : Cortázar collabore avec Laure Bataillon pour traduire en français « L’homme au coin du mur rose » de Borges, pour les éditions du Rocher.

De même qu’entre 1945 et 1947, on voit que Cortázar retrouve sur la période 1952-1958 une traduction très littéraire : il explore des styles, des techniques et des imaginaires très divers et produit des versions d’une grande qualité. Sur cette période, il est également traducteur technique, interprète de conférence et correcteur de traductions pour de grands organismes internationaux comme l’Unesco. Il publie également en 1956 son deuxième recueil de contes, Final del juego, qui sera augmenté d’autres textes en 1964. Il prépare également Las armas secretas, qui sortira en 1959.

Dès 1958, Cortázar forme un grand projet narratif, qui se concrétisera en 1963, avec la parution de Rayuela qui lui octroie bientôt une renommée mondiale. Par la suite, Cortázar ne va plus cesser de publier et les titres vont s’enchaîner à un rythme très soutenu 613 . Il est devenu l’écrivain majeur que nous connaissons.

Dès lors, la traduction littéraire ne semble plus, à première vue, occuper autant de place qu’auparavant. Il n’en publie plus que trois : en 1964, il collabore au Diccionario Oxford de la música de Sudamericana, en 1966, il traduit la préface du livre de Daniel Devoto intitulé Música en Buenos Aires et en 1983, au Nicaragua, il publie une traduction de Llenos de niños los árboles de Carol Dunlop, son épouse, qui vient de mourir.

Mais ces trois traductions sont l’arbre qui cache la forêt : en 1965, Cortázar réalise par exemple de très belles traductions de poèmes de Paul Blackburn, son ami, son agent littéraire et son traducteur aux États-Unis. Il souhaite publier ces traductions de poèmes dans différentes revues, comme Casa de las Américas à Cuba, mais elles semblent finalement rester inédites.

Par ailleurs, cette même année, Cortázar écrit une série de textes directement en français ; ils seront publiés sous les titres : « Comme quoi on est très handicapés par les jaguars », Discours du Pince-Gueule et On déplore la. Nous avons montré que ces textes appartiennent en plein à la problématique de l’auto-traduction, et même de l’écriture bilingue, puisque Cortázar les traduit lui-même en espagnol afin de les intégrer dans ses almanachs et notamment dans ú ltimo Round. Certains des textes de Cortázar, considérés depuis leur sortie comme des textes « normaux », c’est-à-dire écrits directement par l’auteur dans sa langue maternelle, sont en réalité issus du bilinguisme et de la traduction. Mais cela va plus loin : nous avons montré que pratiquement toute l’œuvre de Cortázar est traversée par la traduction.

Lui qui lit directement en français et en anglais depuis longtemps et sans difficulté veut faire partager son plaisir à son lecteur de référence, qui reste toujours le lecteur argentin : il doit donc traduire lorsqu’il cite ; au contraire, il lui arrive d’écrire parce qu’il ne peut pas traduire ce qu’il ressent à la lecture de l’original. D’autre part, il se met parfois lui-même en scène en train de traduire, comme pour désacraliser le texte et lui redonner, aux yeux du lecteur, son caractère essentiel de mouvement. Enfin, il utilise la traduction comme moteur et motif narratif : certains de ses personnages sont des traducteurs, ce que Cortázar utilise pour figurer leur complexité psychologique d’une manière très économique. Enfin, nous avons vu que dans Rayuela, il a recours à une fiction de traduction comme jeu métaleptique qui fait produire au lecteur une série d’hypothèses aberrantes.

Dès lors, on peut affirmer que la traduction littéraire a eue pour Cortázar une fonction de formation pratique, qu’elle a été une véritable école d’écriture durant des années. Cette pratique lui a permis de fonder une conception de la traduction littéraire qui sera aussi une conception de l’écriture : nous l’avons vu, lorsqu’il traduit, il est toujours fidèle à l’effet du texte sur son lecteur, il est très attentif au souffle du texte, à sa ponctuation, à sa littérarité, il a une grande dextérité en matière de style, ce qui lui permet d’adapter son écriture à des manières et à des textes très différents, c’est un véritable virtuose de l’écriture.

Cette pratique de la traduction lui a aussi donné un répertoire de techniques et de procédés littéraires : ils serviront, nous l’avons vu, de socle intertextuel pour ses œuvres postérieures. Ainsi, Rayuela semble battre au cœur de cette constellation, de ce réseau d’influences et de rapports. Presque tous les textes traduits par Cortázar dans la vingtaine d’années précédant l’écriture de Rayuela trouveront une répercussion dans ce livre, nous l’avons montré. Rayuela est bien alors l’œuvre d’une vie.

Ainsi, la problématique de la traduction dépasse largement les traductions littéraires stricto sensu : l’œuvre de Cortázar prend racine dans la traduction, dans ce passage, dans le fait d’être autre et soi-même à la fois. C’est qu’on ne se débarrasse pas si facilement de ce pli de l’esprit qu’est la traduction, de cette si particulière activité cognitive. La traduction agit sur et dans les textes de Cortázar parce qu’elle agit sur et dans Cortázar lui-même. Elle ressurgit inévitablement sur sa lecture, sur sa conception du Lecteur Modèle et sur son écriture ; sans doute ressurgissait-elle aussi au quotidien, dans ses jeux de mots par exemple.

Nous avons expliqué que la traduction demande d’acquérir une gestion de l’attention très complexe, et qu’elle met en branle l’inférence, la mémoire de travail, et surtout l’analogie. Traduire, c’est établir de nouveaux rapports pour faire naître une nouvelle compréhension, une familiarité avec l’autre ; on le voit, cela définit aussi très bien la nature, la fonction et le fonctionnement de l’analogie elle-même. Par ailleurs, traduire implique un questionnement du langage, un questionnement du rapport entre le langage et le réel, un questionnement du réel, même. Traduire a aussi une vertu auto-réflexive : on y questionne les connaissances acquises, leur validité, on se souvient, on se corrige, on se critique… On le voit, la traduction travaille les certitudes, la « Gran Costumbre » dira Cortázar, elle met en question le Fameux qui dort en chacun de nous.

Tout cela, on le voit, rejoint de très près les problématiques cortazariennes et permet de mieux les comprendre. En réalité, pour nous, la force extrême de Rayuela n’est pas dans le fait de montrer ces problématiques mais de les faire ressentir, de les faire vivre au lecteur.

Nous avons vu en effet que ce texte est programmé pour déplacer son lecteur, pour lui faire subir une sorte de translation, en un mot, pour le traduire.

En effet, Rayuela empêche son lecteur de lire comme à l’habitude : l’histoire est pauvre, l’énonciation est instable et les personnages « volent » le rôle traditionnel du lecteur. Mais la grande force de ce livre est qu’il transcende ces pratiques frustrantes, proches du roman comique : le texte propose aussi d’autres modèles de lecture, modèles que le lecteur va acquérir peu à peu par la répétition et le souvenir. Par ailleurs, le lecteur est incité à avoir une attention toute particulière au détail, il est invité à en avoir une lecture symbolique et analogique. Rayuela convoque aussi singulièrement ses souvenirs de lecture : la mémoire de travail du lecteur est donc anormalement sollicitée. Il est amené à procéder par inférence, à relier tel fait avec tel autre par analogie et à produire ainsi un sens absent de la surface du texte.

Mais, comme on l’a dit, on procède par analogie « en s’apuyant sur des similitudes perçues mais sans avoir la certitude qu’elles relèvent de la même catégorie et donc qu’elles sont pertinentes. » 614 La lecture programmée par Rayuela est donc celle de l’incertitude, du doute, et plus encore dans l’ordre de lecture par sauts, où le texte profite de la distraction du lecteur pour lui faire produire des hypothèses aberrantes, pour mettre en conflit sa lecture analogique et sa lecture rationnelle.

Ce « long dérèglement de tous les sens » crée un lecteur suractif dont le portrait se rapproche de l’activité cognitive nécessaire à la traduction littéraire. Le lecteur de Rayuela a appris la portée et la puissance de la pensée analogique durant sa lecture. Il est enfin violemment expulsé du texte. Il emporte avec lui, et peut-être à son insu, l’innovation majeure de Rayuela, cette pensée analogique comme instrument efficace pour réformer la « Gran Costumbre ».

On le voit, l’approche transversale que nous proposons ici permet de redonner sens à l’œuvre de Cortázar, et ce, tout en gardant la cohérence de son cheminement vital et intellectuel. Ainsi, cet auteur s’inscrit dans l’histoire littéraire comme l’un des écrivains les plus brillants de sa génération.

C’est sur ce point-ci que nous souhaitons clore cette étude : Julio Cortázar appartient à un lieu et à un temps. Dans la première moitié du XX° siècle, en Argentine (et en Amérique latine plus généralement) naît une génération de lecteurs et d’écrivains dont Cortázar dit en 1951 :

‘Con Gide muerto, Valéry muerto, ¿qué queda de una juventud plantada a su clara sombra, atenta a las dos voces más altas de Francia?. 615

Cette jeune génération, tout entière tendue vers l’Europe, se forme dans et par la littérature européenne. Leur curiosité est dévorante, leur culture encyclopédique. Le plus souvent, ils lisent ces textes en langue originale. On remarque même que le Cortázar de 1941, qui ne lit pas l’allemand, a recours a une traduction anglaise pour lire Rilke 616 . Ainsi, les membres de cette génération sont souvent polyglottes, du fait de leur histoire familiale 617 mais aussi par nécessité : les textes qu’ils souhaitent lire ne sont souvent pas encore traduits en espagnol.

L’édition argentine des années 40 est à ce propos tout à fait passionnante : Viau publie à Buenos Aires une collection de textes français, sans traduction vers l’espagnol 618 . Ces publications n’ont pas été sporadiques : les titres sont au contraire nombreux, ce qui signifie qu’ils sont sans doute rentables d’un point de vue commercial. Les lecteurs argentins de cette époque lisent donc bien en langue originale ; Cortázar n’est pas une exception.

Mais, parallèlement à cela, il existe aussi des collections comme la Biblioteca Mundial Sopena, qui réalise un véritable travail de fond en matière de traduction de la littérature classique européenne en espagnol ; c’est un important outil de diffusion culturelle vers le lectorat populaire. Ainsi, certains libraires argentins nous ont expliqué que le nom Leoplán, formé sur « leo » (je lis) et « plan » (plan, programme), renvoyait à un véritable plan de lecture : tous les quinze jours parassait une traduction inédite.

Mais qui étaient ces traducteurs ? Entre autres, cette jeune génération, justement. Ainsi, autour de Cortázar, nous avons remarqué d’autres jeunes gens ayant le même profil que lui, comme Eduardo Jonquières et Francisco Reta qui traduisent Verne, Amiel et Hugo pour Sopena 619 . Ainsi, il ne serait pas très étonnant que d’autres auteurs que Cortázar, appartenant plus ou moins à la même génération 620 , se soient également formés ainsi, via la traduction littéraire.

Cette appropriation de la culture européenne, en tant que traducteurs ou même simples lecteurs, semble ainsi correspondre au processus de fondation de l’identité latino-américaine, qui intéressa tant les auteurs du « boom ». Il serait ainsi envisageable d’étendre ce genre d’études transversales entre lecture, traduction et écriture à d’autres auteurs que Julio Cortázar.

Notes
613.

Todos los fuegos el fuego en 1966, La vuelta al día en ochenta mundos en 1967, 62, modelo para armar en 1968, Último Round en 1969, Pameos y meopas en 1971, Prosa del observatorio en 1972, Libro de Manuel en 1973, Octaedro en 1974, Un tal Lucas et Alguién que anda por ahí en 1977, Queremos tanto a Glenda en 1980, Los Autonautas de la cosmopista et enfin Deshoras en 1983.

614.

J.F. Richard, préface à L’ a nalogie, du Naïf au Créatif, d’E. Sander (l’Harmattan, 2000, p. III).

615.

Imagen de John Keats, p. 288-289. (« Une fois Gide mort, Valéry mort, que reste-t-il d’une jeunesse ayant grandi à leur ombre claire, attentive aux deux voix majeures de la France ? » Trad. S.P.)

616.

Cartas p. 109. Il s’agit de Elegias del Duino de Rilke dans une traduction anglaise de H.B. Leishman.

617.

Les mouvements migratoires vers l’Argentine sont encore très récents à cette date : chacun a amené sa langue avec soi et l’a généralement transmise à ses enfants.

618.

On trouve même dans cette collection Les poèmes d’Edgar Poe traduits par Stéphane Mallarmé (Viau, 1944), c’est-à-dire qu’ils sont traduits d’une langue étrangère vers une autre langue étrangère pour le lecteur hispanophone.

619.

Dans la liste de l’annexe n°2, on remarque aussi qu’apparaît Clara Campoamor au titre de traductrice. Cette grande Républicaine et féministe espagnole a vécu un exil de dix ans à Buenos Aires, suite à la guerre civile. A cette période troublée, le milieu éditorial argentin fourmille de noms célèbres, tels Gombrowicz et Caillois.

620.

Dans la génération née autour de 1900, on sait que Jorge Luis Borges et Victoria Ocampo, par exemple, étaient des traducteurs littéraires. (Voir en cela la fonction de la revue et de la maison d’édition Sur pour la diffusion de la culture européenne en traduction vers l’espagnol.)