B - Un milieu actuel aride fortement occupé

La région se localise précisément à cheval entre la bordure occidentale des marges arides et la zone un peu moins aride à l’ouest de ces marges. Elle reçoit, en effet, entre 200 mm (au sud-est) et 300 mm (au nord-ouest) de précipitations en moyenne par an. En plus de cette forte aridité, la région se caractérise par un climat au caractère méditerranéen 17 , marqué par des précipitations hivernales, une longue saison sèche de mai à septembre et des saisons intermédiaires très irrégulières au plan des précipitations. L’observateur qui traverse cette zone en été est frappé par la sécheresse de la région, accentuée par le poids de la très forte chaleur (30°C en moyenne aux mois de juillet et d’août) et révélée par la rareté de la végétation (absence quasi totale des arbres) et la rareté des cours d’eau actifs. La vie semble s’être arrêtée dans cette région au paysage uniforme qui décline la dominante beige dans presque toutes ses nuances. Par endroits cependant, des carrés de verdure signalent des espaces irrigués qui rompent la monotonie du paysage et rappellent que l’activité humaine se maintient encore malgré le contexte climatique très sec. Le lac Jabbûl, dont certains secteurs conservent encore une fine pellicule d’eau, ne fait illusion qu’un court instant : c’est une eau saumâtre, inutilisable. L’observateur, poursuivant plus avant sa visite de la région, est néanmoins surpris par la densité de l’occupation humaine (nombreuses petites agglomérations) et par les traces nombreuses d’une culture pluviale (champs moissonnés). Enfin, s’il approfondit son investigation et si son œil est quelque peu exercé, il peut découvrir les innombrables témoins d’une occupation antérieure : des sites archéologiques, souvent vastes, parfois plus vastes que les villages qui les réoccupent aujourd’hui ; une grande densité d’aménagements agricoles dans le secteur des plateaux (murs, enclos, terrasses de versant 18 ...) ; de nombreuses traces d’aménagements hydrauliques (qanât 19 , puits, citernes...).

Ce premier contact fait donc apparaître un paradoxe entre une occupation dense et une aridité forte. Pour dépasser cette contradiction, il faut observer la région au printemps. On découvre alors un pays vert, marqué par une forte activité agricole se traduisant, dans le paysage, par de vastes étendues de cultures pluviales d’orge, de blé, de lentilles, de pois-chiches... L’observateur constate également l’intense irrigation dans les fonds de vallées ou sur les glacis en périphérie du lac. Il croise enfin du bétail, et plus régulièrement encore vers le sud-est. Dans cette direction, les cultures ont une moindre ampleur et disparaissent tout à fait, sauf exception, dans le sud-est de la région. Au cours de sa visite, il sera possible au voyageur, moins écrasé de chaleur, d’admirer le lac Jabbûl entièrement en eau, mais il n’en constatera pas moins sa forte salinité.

À l’issue de ces deux visites, s’impose l’image d’un espace contrasté, dont l’aridité et la « méditerranéité » sont les caractères marquants. Cependant, de nombreuses questions, nées de la rencontre avec la région, sa nature, ses occupants, son passé, restent irrésolues, au terme d’une observation superficielle. Seule l’analyse détaillée du milieu et la mise en évidence des conditions fondamentales du développement des sociétés humaines dans cette région au cours des temps permettra de dépasser cette première perception.

Notes
17.

Type de temps caractérisé par la sécheresse de la saison estivale et la douceur de la saison hivernale ; les précipitations, peu fréquentes, y sont souvent violentes. Le climat méditerranéen syrien, spécifique à la Syrie continentale, connaît une longue sécheresse et de fortes chaleurs en été et un maximum de pluies en hiver.

18.

« Champs construits par les hommes, pour décomposer des pentes trop fortes, séparés [à leurs extrémités] par des murettes ou des talus (...) » (J. Despois, in P. George et F. Verger 1996).

19.

Galerie drainante subhorizontale destinée à capter l’eau d’une nappe souterraine et à la conduire, par gravité, vers un débouché où elle servira à l’irrigation des cultures ou aux usages domestiques. Pour une synthèse récente sur les qanâts, voir P. Briant (dir.) (2001).